«Hocine Zahouane a été tout au long de son existence, de celles et ceux qui nous ont ouvert les yeux et ouvert la voie dans la lutte pour la liberté, l’indépendance, la dignité et la défense des droits humains. Qu’il repose en paix parmi les Justes», écrit l’historien Daho Djerbal en réaction à la disparition de Me Zahouane, décédé lundi soir.
Ce lundi 17 mars 2025, veille de la commémoration du 63e anniversaire des Accords d’Evian, maître Hocine Zahouane nous a quittés.
Il avait 89 ans. Sa biographie témoigne d’une vie pleine et intense où il aura combattu sur tous les fronts. Au fond, il poursuivait un même idéal et était attaché à la défense de la même cause, depuis le combat anticolonial, où il s’est engagé très jeune jusqu’à son ultime souffle : la dignité humaine.
Le moins que l’on puisse dire quand on repense à lui, qu’on réécoute ses interventions ou qu’on relise ses écrits, c’est que Hocine Zahouane, c’est avant tout un authentique militant de gauche, à l’ancienne, plein de verve et de fougue.
Son caractère bien trempé et son tempérament de feu ont fait de lui un personnage à part ; un enfant terrible de la scène politique algérienne. Avec sa disparition, nous perdons une voix singulière. Et c’est un pan entier de notre mémoire des luttes qui s’en va. La perte de Hocine Zahouane est d’autant plus cruelle qu’il nous a laissés orphelins de ses Mémoires, un projet qui, pourtant, lui tenait à cœur.
Il rejoint le FLN dès 1954
Dans une notice établie par Amar Benamrouche et René Gallissot pour le dictionnaire biographique en ligne Le Maitron auquel contribuent d’éminents historiens, il est précisé que Hocine Zahouane «est né le 13 août 1935 à Mirabeau (Draa Ben Khedda)». Dès le lycée, il adhère au PPA-MTLD, puis rejoint le FLN peu après sa création en 1954, dans la foulée du déclenchement de la Guerre de libération nationale. «Emprisonné de 1955 à 1957, à sa sortie de prison, il gagne le maquis de Kabylie.
En mars 1960, officier (aspirant) de la Wilaya III, il rejoint le GPRA à Tunis pour l’informer de la situation difficile en Kabylie», indique la même note. En tant qu’officier de l’ALN, il est «envoyé de Tunis en 1960 pour arbitrer les conflits et enquêter sur les purges pratiquées dans les maquis des Wilayas III et IV». Et les auteurs de souligner : «Hocine Zahouane s’affirme comme un officier politique attentif à la pratique démocratique et à la finalité sociale de la lutte de libération dont il ne dissimule pas l’affaissement sous les coups des opérations Challe, et la déperdition des relations avec la population, nouées auparavant à travers l’Organisation politico-administrative […].»
Après le cessez-le-feu et la création de «l’Exécutif provisoire établi à Rocher Noir (Boumerdès) pour appliquer les Accords d’Evian, et la reconstitution, dans la lutte contre l’OAS, de la Zone autonome d’Alger (…) émanation de la Wilaya IV, Hocine Zahouane fait partie des envoyés du GPRA pour renouer les fils d’une organisation syndicale et politique», écrivent Amar Benamrouche et René Gallissot. «Il est l’homme des relations entre les autorités concurrentes, les groupes politiques et l’UGTA.»
Hocine Zahouane «bénéficie de l’appui des quelques dizaines de progressistes français d’option algérienne, intellectuels et syndicalistes communistes ou chrétiens», poursuivent les deux historiens, avant d’ajouter : «Il contribue ainsi au redémarrage de l’UGTA à Alger. Il tente encore l’impossible dans l’éphémère Comité de conciliation de l’été 1962 dans l’affrontement entre bureau politique du FLN, état-major général, Wilayas et GPRA.»
Un opposant farouche au coup d’état de 1965
Pleinement investi dans le combat syndical, Zahouane «reste proche de l’UGTA». Par ailleurs, il est «lié à la nouvelle équipe de Révolution africaine autour de Mohammed Harbi». En 1964, il «entre au bureau politique du FLN où il est chargé de la Commission d’orientation, s’intéressant notamment à la relance des Jeunesses FLN», précise le même document. «Partisan de la Charte d’Alger (1964) et du programme progressiste de l’UGTA en concordance avec les orientations socialistes assumées par Ben Bella, il participe au congrès de l’Union régionale de l’UGTA d’Alger où il déclare : ‘Les travailleurs algériens doivent accéder au pouvoir politique’’», affirment Amar Benamrouche et René Gallissot.
Après le coup d’Etat de Boumediène le 19 juin 1965, Hocine Zahouane va être pris dans la tourmente de la répression féroce qui s’abattra sur tous les opposants au putsch, dont il était parmi les plus farouches. Dans une note publiée sur la page Facebook de la revue Naqd qu’il dirige, l’historien Daho Djerbal qui était proche du défunt, fournit de précieux éléments sur l’itinéraire trépidant de Me Zahouane.
Il nous apprend ainsi que «suite au coup d’Etat militaire du 19 juin 1965, il passe à la clandestinité et lance, avec Mohammed Harbi et la gauche communiste, l’Organisation de la résistance populaire (ORP). Emprisonné de 1965 à 1971 dans le Sud algérien puis assigné à résidence à Tizi Ouzou, il échappe en 1973 à la surveillance de la sécurité militaire et traverse avec Mohammed Harbi la frontière tunisienne.
Exilé en France en passant par l’Italie, il ne rentre au pays qu’en 1979. Devenu avocat après des études en droit, il participe à la fondation de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme (LADDH) dont il devient le président. Il plaide tout au long des années 1980 aux procès contre la sûreté de l’Etat intentés aux militants des mouvements démocratiques.
Il prend fait et cause pour les victimes de la répression du 5 Octobre 1988». Daho Djerbal souligne, par ailleurs, qu’en «décembre 1991, il est avec Mohammed Harbi, Lemnouer Merouche, Tahar Zeggagh un des membres fondateurs de la revue NAQD d’études et de critique sociale». Feu Hocine Zahouane, relève l’historien, «a été tout au long de son existence, de celles et ceux qui nous ont ouvert les yeux et ouvert la voie dans la lutte pour la liberté, l’indépendance, la dignité et la défense des droits humains. Qu’il repose en paix parmi les Justes».
«Un défenseur courageux des détenus de Berrouaghia»
L’ancien dirigeant du Parti socialiste des travailleurs (PST) Chawki Salhi, qui a bien connu le regretté Hocine Zahouane, a été l’un des premiers à réagir à la triste nouvelle de sa mort. «Mon ami, mon frère, mon camarade Hocine Zahouane, est décédé hier (lundi 17 mars, ndlr), tard. Je l’ai vu lundi dernier, à l’hôpital. Il était toujours lucide mais épuisé par une maladie soudaine qui a eu raison de ses 89 ans», écrit-il dans un post publié ce mardi sur Facebook.
Retraçant le parcours militant du défunt, Chawki Salhi révèle : «Jeune militant du PPA, il avait été un témoin privilégié du 1er Novembre. Arrêté peu après, il anime une grève de la faim des détenus politiques. Il monte au maquis dans sa région de Draa Ben Khedda et se retrouve commissaire politique de la Wilaya III. C’est lui qui rapporte à Krim Belkacem les drames de la Bleuite.»
A l’indépendance, Zahouane est «dans le noyau militant qui construit la Fédération d’Alger du FLN». «C’est là qu’il jouera ce rôle précieux, historique, d’appui aux initiatives autogestionnaires dans l’agriculture et dans l’industrie», affirme Salhi. «Il fut ensuite le défenseur farouche de l’autogestion instituée par les décrets de mars 1963 contre les volontés de mise au pas». «Avec Mohammed Harbi, qui joua un rôle essentiel dans l’organisation de l’autogestion, Hocine Zahouane a constitué le binôme dirigeant de l’aile gauche du FLN», précise-t-il.
A son retour au pays après la mort de Boumediène, Hocine Zahouane «s’installe comme avocat et fut le défenseur courageux de divers détenus de Berrouaghia», fait remarquer l’ancien porte-parole du PST. «Durant les décennies suivantes, ajoute-t-il, il continue son combat sur le terrain des droits de l’homme.
Il sera vice-président, puis président de la LADDH.» Chawki Salhi garde également du défunt le souvenir d’un homme qui était «d’un anti-impérialisme inébranlable». Un engagement qui l’amènera naturellement à défendre ardemment la cause palestinienne et à dénoncer le génocide perpétré à Ghaza ou encore à s’élever contre «la destruction de la Libye». «Il se voulait toujours militant de gauche, militant au service des travailleurs et des masses populaires.
Il rêvait d’une ligue populaire qui priorise les droits naturels sur les libertés formelles», insiste Chawki Salhi. Et de confier : «Nous étions très proches et très complices. Nous avions commencé à travailler pour ses Mémoires, mais Hocine, fort comme un roc, n'en ressentait pas l'urgence.» «Je pleure sa perte. Mais je n’oublie pas que sa longue vie a été riche et utile. Il a fait sa part. Qu’il repose en paix. Nous ne l’oublierons pas», conclut-il.
«Une figure historique de la gauche algérienne»
Mahmoud Rechidi, autre figure de proue du PST, s’est fendu à son tour d’un bel hommage en mettant l’accent sur la stature politique de Hocine Zahouane : «C’est un grand militant, un homme de principes et une figure historique de la gauche algérienne qui s’en va. Il a été un bon ami et un précieux compagnon de notre courant politique, le PST», a-t-il réagi via Facebook. Mahmoud Rechidi observe qu’en tant que défenseur des droits humains, Hocine Zahouane «n’avait de cesse de se battre pour les libertés et les droits de l’homme, tout en associant à ce combat les droits économiques et la dimension sociale».
Il rappelle qu’en 1993-1994, Zahouane s’est dressé «contre les accords signés avec le FMI». «Il fut parmi les principaux animateurs et fondateurs de l’association nationale l’A.I.R.S (Les Amis de l’Initiative pour la Résistance Sociale), avec moi même, ainsi que les défunts amis et camarades Redouane Osmane et Nagi Chermat», se remémore-t-il.
Mahmoud Rechidi rapporte également cette anecdote édifiante : «En 2009, alors que Ghaza était bombardée et le peuple palestinien subissait un autre massacre, Hocine Zahouane n’a pas hésité une seconde pour nous ouvrir le local de la LADDH qu’il présidait pour la fondation du Comité de soutien au peuple palestinien.»
L’ancien secrétaire général du PST se souvient aussi que «pendant le hirak, on le croisait certains vendredis, avec son sourire éternel et malicieux, en train de débattre avec des jeunes et des moins jeunes dans les rues du centre-ville d’Alger, se laissant parfois déborder par son M. B. optimisme du cœur en dépit de son réalisme et de sa méfiance légendaire du pouvoir».
Car l’ancien maquisard de la Wilaya III restait malgré tout un incorrigible optimiste, en effet. Hocine Zahouane a été inhumé hier au cimetière El Alia. Puisse son âme d’éternel révolté reposer en paix.
Par Mustapha Benfodil