Sous l’appellation «Hayat Tahrir Al Sham» (HTS), l’organisation islamiste qui a initié et mené l’offensive contre Bachar Al Assad existe sous cette appellation depuis 2017, mais son histoire remonte à bien des années plus tôt et a connu beaucoup de soubresauts et de changements de cap avérés ou feints et c’est selon.
C’est à l’image de son principal fondateur, le surnommé Abou Mohamed Al Joulani, de son vrai nom Ahmed Al Chareh, est né en 1982 en Arabie Saoudite où son père travaillait dans le domaine du pétrole mais a grandi dans un quartier chic de la capitale syrienne, Damas.
Issu d’une famille aisée, le hasard a voulu que lui aussi entame des études en médecine mais qu’il abandonnera pour rejoindre, dès 2003 et déjà radicalisé, les rangs du groupe Al Qaïda en Irak, le pays voisin qui venait d’être envahi par les Etats-Unis.
Il explique lui-même que son surnom Al Joulani a été choisi en référence au plateau du Golan d’où sa famille a été chassée après la guerre des Six-Jours de 1967 perdue contre l’occupant sioniste. En Irak, il a été emprisonné durant cinq années et ce n’est qu’après, en 2011, qu’il rentre dans son pays pour fonder d’abord, une année plus tard, le «Front Al Nosrah» considéré au départ comme la branche syrienne d’Al Qaïda mais qui prendra ses distances graduellement peu après.
D’abord en 2013, lorsque Al Joulani refuse de répondre à l’appel d’Abou Bakr Al Baghdadi pour une fusion sous la bannière de l’Etat islamique en Irak et au Levant, lui préférant Ayman Zawahiri dans ce conflit opposant les deux chefs «djihadistes», et ensuite en 2015, lorsqu’il déclare ne pas avoir l’intention de lancer des attaques contre l’Occident.
Une intention confortée en 2016 avec la création (un changement de dénomination) de l’organisation intermédiaire «Djabhat Fath Al Sham» qui, selon ses déclarations d’alors, n’est affiliée à aucune organisation internationale. Une rupture avec le «djihadisme» international pour se concentrer sur l’action interne mais qui n’a pas été sans conséquences sur le reste des éléments les plus radicaux de son groupe.
Les analystes notent qu’il y a eu des défections mais aussi, en contrepartie, des ralliements et c’est dans ce sillage que HTS est né avec la fusion de plusieurs autres groupes radicaux du nord de la Syrie. Contrôlant la région d’Idleb, HTS a entrepris de mettre en place les bases d’une gouvernance régionale avec une administration civile, mais avec un autoritarisme certain, font remarquer les observateurs, malgré les gestes multipliés envers les chrétiens de cette province.
Rejet de la vengeance ?
Des gestes considérés comme un gage de bonne volonté et de rupture avec l’extrémisme radical. Mais ils font également état d’exactions, selon les témoignages recueillis auprès d’autres habitants, notamment ceux proches des détenus. Quoi qu’il en soit, c’est de là qu’a été entreprise l’offensive soudaine entamée il y a une dizaine de jours.
Une avancée sur Alep puis Hama et Homs avant d’atteindre la capitale syrienne. Dans cette action, Al Joulani a, note-t-on, réitéré un appel rassurant envers les habitants d’Alep où vivent beaucoup de chrétiens, tout en sommant ses combattants de préserver la sécurité dans les régions conquises.
Bachar Al Assad est déclaré en fuite mais, finalement, contrairement à ce qui s’est passé plus de 20 ans auparavant en Tunisie ou même en Egypte, la chute de ce dernier n’a pas succédé directement au soulèvement populaire et toute la différence est là.
Abou Mohamed Al Joulani et son organisation vont-ils revendiquer une légitimité de prise de pouvoir ? Certains observateurs de la scène internationale estiment que ses changements d’attitude y compris vestimentaires (tenue militaire conventionnelle par opposition aux tenues privilégiées par les djihadistes), l’appel au rejet de la violence et surtout de la vengeance (notamment contre la minorité alaouite) dénotent son ambition de se faire accepter par les Syriens et de prétendre à gouverner le pays.
Rien n’est sûr et la situation est d’autant plus complexe qu’il n’est pas le seul acteur dans un pays plus que jamais divisé avec des groupes qui détiennent encore des territoires échappant à tout contrôle.
A cela il faut ajouter l’influence des pays qui se sont fortement impliqués jusque-là en Syrie, à l’instar de l’Iran, la Russie, la Turquie et les Etats-Unis. La dénomination «Al Sham», qui renvoie à une époque révolue, est en elle-même assez vague pour ne concerner que la Syrie en tant qu’Etat nation.