Hamadi Jebali en détention préventive en Tunisie : Véritable coup de filet anti-islamiste ou pressions politiques ?

26/06/2022 mis à jour: 01:16
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Photo : D. R.

L’ex-chef de gouvernement, l’islamiste Hamadi Jebali, en détention préventive dans une affaire de financements suspects. Tentative d’atteinte à la présidence de la République tunisienne, annoncée par le ministère de l’Intérieur. Entre les faits et les enjeux politiques.

Alors que la Tunisie se prépare au référendum du 25 juillet prochain, c’est loin d’être la joie du côté des islamistes ! En effet, un mois après l’interdiction de voyage  prononcée le 27 mai dernier contre le président des islamistes d’Ennahdha, Rached Ghannouchi, dans le cadre de l’affaire de l’organisation secrète de ce parti, c’est au tour de Hamadi Jebali, l’autre dirigeant islamiste et ex-chef de gouvernement de la troïka (décembre 2011-mars 2013) d’être arrêté, avant-hier, à titre préventif, en rapport avec des investigations sur des fonds suspects reçus du Qatar par une ONG de développement.

Il s’agit, semble-t-il, d’un début de reddition des comptes, avec des dossiers régulièrement évoqués par certains médias depuis 2012. Mais, c’est la première fois où il y a de véritables investigations judiciaires impliquant des islamistes de haut rang.

Il est clair que le camp du président Saïed veut faire un sans-faute lors du prochain référendum, pour acquérir une légitimité populaire et, surtout, institutionnelle, qui lui fait défaut depuis le 25 juillet dernier. Et c’est pour cette raison que les forces de l’ordre public veillent au grain sur la bonne tenue des réunions de l’opposition, allant jusqu’à la dispersion des rassemblements cherchant à empêcher les meetings des opposants.

Le camp Saïed veut surtout priver les opposants d’alibis à de prétendues revendications d’oppression. Le camp présidentiel veille également à s’assurer que l’opposition, notamment islamiste, soit occupée à autre chose que le rejet du référendum.

Et c’est ainsi que si la première étape, celle des premiers mois après le 25 juillet, a été réservée à l’éradication des islamistes dans les institutions de l’Intérieur et de la Défense ; l’étape suivante est consacrée à la stabilisation de la relève et l’ouverture de dossiers, afin de faire vivre les islamistes politisés dans la crainte d’être rattrapés par leur passé.

Ce n’est donc pas un hasard si le dossier de l’affaire de l’organisation secrète d’Ennahdha ait été ouvert ces derniers mois par la justice, et que Rached Ghannouchi soit interdit de voyage. Pourtant, tous les éléments de l’affaire étaient depuis des années à la disposition de la justice.

Mais, il a fallu changer le juge en charge de l’instruction. Et c’est chose faite un mois avant l’interdiction de voyage, survenue suite à l’audition de Ghannouchi. L’arrestation de Hamadi Jebali à un mois du référendum s’inscrit, elle-aussi, dans cette même logique de faire peur d’un éventuel retour du passé, surtout qu’il y a aujourd’hui des faits qui leur sont reprochés. L’ONG de Jebali a reçu des dizaines de millions d’euros de la part du Qatar durant la dernière décennie, sans que son administration n’ait pu justifier de dépenses conséquentes.

De là à les accuser de financements occultes ou de malversations, il n’y a qu’un pas, que les enquêteurs se sont permis de franchir, surtout que des signes de richesse extravagante sont apparus chez son beau-fils. Des éléments suffisants pour occuper les islamistes d’Ennahdha à essayer de se déculpabiliser devant la justice. Le camp Saïed s’occupe, quant à lui, à son référendum.

Contexte

La Tunisie prépare en ce moment le référendum sur la nouvelle Constitution, prévu le 25 juillet prochain. Le président Saïed veut valider constitutionnellement le coup de force, opéré depuis le 25 juillet dernier, par une nouvelle Constitution, accordant plus de pouvoir au président de la République. La majorité des partis, composant le Parlement dissous, refusent ce processus et réclame d’être écoutés.

Vœu pieux puisque le président Saïed veut se remettre exclusivement à l’arbitrage du peuple, à travers un référendum. Les grandes lignes de la nouvelle Constitution se sont inspirées d’une consultation populaire en ligne, organisée entre le 15 janvier et le 20 mars.

Des séances de concertation ont permis à certaines organisations et personnalités nationales d’avancer des idées dans le cadre de la commission consultative pour la nouvelle République, créée le 20 mai et présidée par le juriste Sadok Belaïd. Ce dernier a synthétisé les propositions et remis le 20 juin au président Saïed le projet de la nouvelle Constitution. C’était donc une course contre la montre pour le doyen et les experts qui l’accompagnaient.

Le processus de Constitution de la nouvelle République a pris forme rapidement ces trois derniers mois. L’idée se limitait au départ à un référendum pour amender la Constitution de 2014, concernant le régime politique. Mais, voilà que le doyen Sadok Belaïd et le constitutionnaliste Amine Mahfoudh convainquent le président Saïed qu’une nouvelle Constitution, préservant les acquis de celles qui l’ont précédée et annonçant la Tunisie de demain, aurait un meilleur impact surtout qu’elle sera validée par un Référendum populaire.

Toutefois, la majorité des partis politiques, colonne vertébrale de l’ancien Parlement, a continué à refuser l’état de fait, imposé par le président Saïed, qui a pris de court tout le monde, alors que l’opposition est divisée et n’arrive pas à se faire entendre par la rue. Les deux dernières manifestations populaires de l’opposition, organisées le week-end du 11/12 juin, n’ont pas eu la réussite escomptée, avec quelques centaines de personnes pour Ennahdha et ses alliés, et un petit millier pour Abir Moussi et son Parti destourien libre.

Pourtant, les médias ne cessent de critiquer ouvertement le processus entamé depuis le 25 juillet par le président Saïed et choisissent des invités et des chroniqueurs en harmonie avec cette ligne. Pourtant, la rue continue à donner pleine confiance au président Saïed, selon les derniers sondages d’opinion, lui accordant près de 80% d’avis très favorables. La Tunisie retient son souffle. 

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