Guerre contre Ghaza / Tribune de juristes internationaux : «Respecter le droit international»

01/03/2025 mis à jour: 10:25
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Cette tribune est à l’initiative de juristes indépendants, rédigée par Marie-Laure Guislain, avocate de formation en France, spécialisée dans les crimes internationaux, à l’origine notamment des plaintes pour complicité de crimes contre l’humanité contre Lafarge ou complicité de génocide contre BNP au Rwanda ; et Tamsin Malbrand, avocate de formation en France, spécialisée dans les crimes internationaux, à l’origine notamment de la plainte pour complicité de génocide contre BNP au Rwanda. Elle a été signée par plus de 225 juristes du monde entier.

 

Pour des juristes internationaux signataires d’une tribune sur le génocide avéré à Ghaza, «le débat public a besoin de s’enrichir de connaissances juridiques et de revenir au droit en la matière pour que la notion de génocide retrouve son sens premier». Dénonçant l’absence d’application des poursuites pénales internationales, ils demandent, au terme d’une tribune concise mais documentée, de «soutenir l’application des ordonnances de mesures conservatoires de la CIJ, arrêter les responsables contre lesquels un mandat d’arrêt a été émis par la Cour pénale internationale et poursuivre dans leurs systèmes judiciaires les personnes physiques et morales responsables et complices du génocide, notamment au titre de la compétence universelle».

Il est urgent pour tous les Etats de «respecter leurs obligations de droit international : prévenir tout acte génocidaire envers les Palestiniens à Gaza et dans les autres territoires palestiniens occupés, mettre tout en œuvre pour maintenir un cessez-le-feu durable, imposer un embargo total sur les armes et des sanctions économiques à Israël, cesser tout type d’aide financière, militaire à Israël ou tout soutien passible de poursuites pour complicité de génocide et suspendre les accords de coopération avec Israël». Leur texte a été proposé à plusieurs journaux dont El Watan (les titres et intertitres sont de notre rédaction).

France
De notre correspondant  Walid Mebarek

«L’intention génocidaire  d’Israël peut être démontrée par des preuves directes»

Si le cessez-le-feu de janvier laisse entrevoir la fin des massacres systématiques à Gaza, l’histoire enseigne que la paix durable ne peut être construite sans justice. Il est donc impératif de ne pas y laisser mourir aussi le droit international, en commençant par qualifier correctement les crimes commis par Israël au regard de ce droit. Des dizaines de juristes, avocats, juges et professeurs de droit du monde entier se joignent aux experts et rapporteurs de l’ONU pour affirmer dans cette tribune qu’il convient de qualifier ces crimes de génocide, et rappeler ainsi les obligations légales des Etats dès lors qu’il existe un ‘’risque sérieux’’ de génocide». 
«La Convention sur le génocide de 1948 définit le crime de génocide comme un seul ou plusieurs «actes commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux». Israël a commis au moins trois de ces actes à Gaza : «le meurtre, l’atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale, et la soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle».

 

«Israël a méthodiquement bombardé les moyens de subsistance»

Premièrement, depuis le 8 octobre 2023, les frappes israéliennes ont tué directement plus de 47 354 personnes à Gaza, dont plus de 14 500 enfants, sans compter les milliers sous les décombres.

Deuxièmement, on compte plus de 111 563 blessés, le plus grand nombre d’enfants amputés par habitant au monde, et le climat de terreur a causé des traumatismes massifs. Un recours généralisé à la torture et aux mauvais traitements a été observé en cas de détention, atteignant là encore gravement l’intégrité physique et psychologique des Palestiniens à Gaza». «Troisièmement, Israël a méthodiquement bombardé les moyens de subsistance (les points d’accès à l’eau, les terres agricoles...), 92% des logements, 84% des établissements de santé, les installations sanitaires et électriques (entraînant un nombre record d’infections et de maladies) et déplacé 90% de la population dans des camps, qu’il a continué de bombarder». 

«De plus, Israël a ordonné 'un siège complet' de Gaza, laissant l’aide humanitaire passer au compte-gouttes. La malnutrition  aiguë 'atteint des niveaux alarmants', menaçant 'de perdre une génération entière'», selon l’Unicef. En juillet 2024, le rapporteur spécial de l’ONU sur le droit à l’alimentation confirme qu’«Israël utilise la famine comme stratégie dans le cadre du génocide qu’il mène actuellement». 

Ces conditions sont bien de nature à entraîner «la destruction totale ou partielle» des Palestiniens à Gaza, les condamnant «à mourir à petit feu», au sens de la jurisprudence de la Cour internationale de justice (CIJ). «Contrairement à l’idée répandue, le génocide ne requiert pas de nombre plancher de victimes.

Plusieurs juridictions ont qualifié de génocide des exactions impliquant des massacres de moindre ampleur, comme ceux des Yézidis ou des musulmans bosniaques à Srebrenica». «En ce qui concerne l’élément intentionnel du génocide, la volonté d’anéantir une partie du groupe suffit, si elle est substantielle. La jurisprudence admet que la partie ciblée peut être dans 'une zone géographique précise', appréciant le contrôle et l’opportunité de l’auteur du génocide sur cette zone. Gaza est enclavée et sous le contrôle d’Israël, il a donc la 'possibilité' d’en anéantir la population».

«En outre, les Gazaouis représentent 40% des 5,5 millions de Palestiniens des territoires occupés, soit une partie 'suffisamment importante pour que sa disparition ait des effets sur le groupe tout entier'. Le critère quantitatif étant tragiquement rempli, la CIJ a reconnu en janvier 2024 qu’il s’agissait d’une partie 'substantielle' du groupe, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres critères».

«Rhétorique manifestement déshumanisante des hauts responsables israéliens»

Aussi, l’intention génocidaire d’Israël peut être démontrée par des preuves directes puisque les responsables israéliens ont publié des déclarations et documents la traduisant clairement. Yoav Gallant révélait : «Nous combattons des animaux humains et nous agissons en conséquence (…) Gaza ne reviendra pas à ce qu’elle était avant. Nous détruirons tout.» Le président d’Israël, Isaac Herzog, ajoutait : «Nous nous battrons jusqu’à leur briser la colonne vertébrale.» 37 experts et rapporteurs de l’ONU, dès novembre 2023, se sont alarmés d’une «rhétorique manifestement génocidaire et déshumanisante des hauts responsables israéliens», appelant à la «destruction totale» et «à l’effacement» de Gaza, et à la nécessité de «les achever tous», rhétorique largement répandue dans plusieurs secteurs de la société israélienne.

  «En matière de preuves indirectes de l’intention génocidaire, les experts ont relevé des frappes systématiques visant les civils, prohibées par le droit des conflits armés, causant parmi eux des pertes disproportionnées : '25 000 tonnes d’explosifs', soit deux bombes nucléaires, ont été larguées les premiers mois sur une surface équivalant à la moitié de Madrid, visant des quartiers densément peuplés et souvent la nuit.» 

Des méthodes planifiées et inhabituelles ont aussi été retenues : des tirs sur les civils venant récupérer des denrées alimentaires, des attaques sur la route empruntée par la population alors qu’elle était évacuée de force en 24 heures, des déplacements forcés et répétés des Gazaouis vers des 'zones de sécurité' désignées comme des camps de réfugiés ensuite bombardés, la destruction des hôpitaux et des écoles où se réfugiaient les survivants. 

La poursuite des crimes par Israël, malgré les avertissements répétés de l’ONU et de la CIJ ayant établi qu’il existe un 'risque réel et imminent' de génocide, est un indice également déterminant pour la qualification de l’élément intentionnel.

«Enfin, Israël ne saurait invoquer le droit à la légitime défense sans respecter les principes de nécessité et de proportionnalité. En tout état de cause, un Etat occupant ne peut y recourir si la menace émane du territoire occupé».

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