Fattoum Lakhdari. Chercheuse agroécologiste et spécialiste de la sécurité alimentaire, ancienne directrice du CRSTRA de Biskra : «La dépendance aux marchés mondiaux est une menace pour la sécurité alimentaire»

30/05/2023 mis à jour: 04:00
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Fattoun Lakhdari, chercheuse agroécologiste - Photo : D. R.

Chercheuse en agroalimentaire, spécialiste de la sécurité alimentaire et ancienne directrice du Centre de recherche scientifique et technique sur les régions arides (CRSTRA) de Biskra, Fattoum Lakhdari est revenue, par les chiffres et les analyses, pour décortiquer la problématique de la sécurité alimentaire dans le monde arabe, lors d’une conférence pertinente donnée dimanche dernier 28 mai, au premier jour de la rencontre scientifique organisée à l’Ecole nationale supérieure de la biotechnologie de l’université Salah Boubnider à Constantine.

«Nous avons déjà été touchés par les conséquences de la Covid-19 et maintenant, nous faisons face à celles de la guerre en Urkaine ; nous devons en tirer les leçons, car la situation est devenue très inquiétante, et elle sera encore plus critique dans les années à venir, avec ce réchauffement climatique qui influera inéluctablement sur les ressources hydriques, mais aussi sur la productivité des terres agricoles, provoquant aussi des phénomènes de désertification ; nous devons réagir en toute urgence et retrousser les manches pour travailler, car nous devons compter sur nos capacités et ne pas nous diriger à chaque fois vers les marchés mondiaux pour importer ; même avec une aisance financière, notre dépendance aux marchés mondiaux est une menace pour notre sécurité alimentaire», a-elle alerté dans sa longue intervention suivie avec grande attention par l’assistance, dont des experts arabes venus y participer.

Il faut dire qu’en ces temps difficiles, de crises et de conflits armés, viendra le jour où même avec l’argent du pétrole et du gaz, on ne pourra plus acheter du blé. L’intervenante a tenu à rappeler, encore une fois, ce qu’elle a qualifié d’«égoïsme» des pays européens durant l’épisode de la Covid-19, s’agissant de vendre des masques et des vaccins aux autres pays.

«Nous devons agir dès maintenant pour assurer notre autosuffisance alimentaire dans les 5 à 10 ans à venir, notamment en matière de céréales, et surtout le blé, car le fossé entre la production et les besoins de consommation est en train de se creuser, et si on n’intervient pas maintenant, il nous sera difficile de le combler», a-t-elle expliqué.

Des chiffres alarmants

Pour étayer ses dires, Fattoum Lakhdari a exposé les chiffres inquiétants des organismes de l’ONU et ceux résultant des études menées à l’échelle arabe.

La croissance démographique a fait exploser la consommation de blé, produit de large consommation pour les peuples arabes, face à une production qui n’arrive pas suivre dans leurs pays. Le rendement moyen de blé est de 30 q/ha. Si l’autosuffisance est bien assurée pour les fruits et légumes, la dépendance en matière de blé, de lait et d’huiles végétales reste importante.

Les efforts pour développer la pêche et l’aquaculture pour équilibrer la ration alimentaire sont encore insuffisants.

L’Algérie, qui compte 1200 km de côtes, demeure bien loin dans ce secteur, derrière des pays qui n’ont pas ses richesses, comme le Maroc, Oman, la Mauritanie et l’Egypte. Mme Lakhdari a noté que bien que la ration alimentaire ait évolué dans le monde arabe, passant de 2600 kcal/personne/jour à 3500 kcal/personne/jour, des indices montrent qu’un enfant sur cinq âgé de moins de 5 ans souffre d’une baisse de croissance due à une sous-alimentation. Avant la Covid-19, on a recensé pas moins de 70 millions de personnes souffrant de la faim dans le monde arabe.

En 2020, l’insécurité alimentaire a touché 154 millions de personnes, alors que plus de 162 millions de personnes peinent à avoir un régime alimentaire équilibré. «Nous faisons face à des conditions climatiques difficiles, sachant que les hausses de température provoquent des évaporations importantes, à cela, il faut ajouter la faible pluviométrie et la hausse de la salinité, ce qui menace sérieusement les ressources hydriques et la productivité des terres agricoles», a affirmé la conférencière.

Selon elle, 12 pays arabes ont atteint le seuil critique de 500 m3 d’eau/habitant/an, alors que les autres pays restent menacés de sécheresse.

Sans tomber dans le défaitisme, Fattoum Lakhdari préconise une série de mesures que les décideurs dans les Etats arabes auront à prendre à court terme, en commençant par une gestion rigoureuse des ressources en eau.

«Il n’y a pas de sécurité alimentaire sans sécurité hydrique», a-t-elle affirmé, insistant sur la révision des pratiques agricoles, la vulgarisation des techniques, l’organisation des agriculteurs en coopératives, arrêter le gaspillage de l’eau et des aliments et surtout cesser de construire sur des terres agricoles et exploiter tout le potentiel possible de terres arables. Fattoum Lakhdar n’a pas manqué de dénoncer la marginalisation de la recherche scientifique, capable d’apporter des solutions à tous ces problèmes.

«Je recommande la création d’un conseil arabe de la sécurité alimentaire, qui prendra en charge toutes les propositions des chercheurs et des experts, établir des cartes agricoles afin de cerner les besoins alimentaires et en eau et adopter une organisation efficace par tous les pays, car il s’agit d’un défi collectif», a-t-elle conclu. 

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