Dans cet entretien, l’économiste et expert international Abdelrahmi Bessaha décortique la stratégie de la nouvelle politique douanière américaine et ses retombées tant sur l’économie mondiale qu’algérienne.
Propos recueillis par Mahmoud Mamart
Quelle est la stratégie économique derrière les nouvelles taxes douanières infligées par l’administration Trump à beaucoup de pays et zones économiques dans le monde ?
La nouvelle stratégie économique de l’administration Trump est articulée autour de quatre grands axes, y compris les réformes fiscales, les baisses d’impôt sur les sociétés, les hausses de droits de douane et la déréglementation pour stimuler la croissance. Cependant, les politiques commerciales et budgétaires de Trump ont suscité des critiques nationales et internationales, les droits de douane provoquant des mesures de rétorsion de la part d’autres pays et des inquiétudes quant à une éventuelle guerre commerciale. Malgré le regain de confiance des entreprises à court terme induit par les réductions d’impôts, les projections à long terme laissent entrevoir une croissance économique modeste, accompagnée d’une augmentation de la dette fédérale et des inégalités de revenus.
Les politiques budgétaires de son administration ont contribué à l’augmentation des déficits budgétaires, notamment en raison du déséquilibre entre les réductions d’impôts et les réductions de dépenses. Les réactions internationales à ces politiques témoignent d’inquiétudes croissantes quant aux perturbations du commerce mondial, avec de possibles modifications des chaînes d’approvisionnement mondiales, les entreprises cherchant à éviter les droits de douane.
L’escalade actuelle de la guerre commerciale américaine présente des similitudes frappantes avec les périodes passées de droits de douane élevés, comme celles observées au XIXe siècle, qui ont entraîné des conséquences, telles que des mesures de rétorsion, une hausse des coûts à la consommation, des difficultés économiques et des réactions politiques négatives. Une réunion d’information d’un groupe commercial représentant les fabricants de chaussures américains souligne que ces effets sont restés constants au fil du temps, les droits de douane produisant des résultats prévisibles.
C’est-à-dire…
Par exemple, le tarif McKinley de 1890, qui imposait un prélèvement de 50% sur la plupart des importations afin de protéger les industries nationales, a entraîné des mesures de rétorsion de la part de pays comme le Canada. Cela a déclenché une hausse des prix agricoles et une modification des relations commerciales, le Canada renforçant ses liens avec la Grande-Bretagne. De même, le tarif Smoot-Hawley, qui a porté les droits de douane moyens à près de 60%, a provoqué une hausse des prix et des tensions économiques, en particulier sur les produits agricoles. La guerre commerciale «Trump 1.0» de 2018 a reflété ces effets, faisant grimper les prix de produits tels que les machines à laver, les meubles et les vêtements. Le président Trump, qui a salué les politiques tarifaires de McKinley en pleine croissance industrielle, semble ignorer les effets économiques négatifs à long terme que McKinley lui-même a regrettés par la suite. Si les droits de douane de Trump ont persisté sous l’administration Biden, qui en a déjà imposé davantage que lors de son premier mandat, l’avenir du protectionnisme demeure incertain. Cependant, il est clair que le protectionnisme commercial est plus enraciné aujourd’hui que par le passé, ce qui rend un renversement complet peu probable.
Donc, il faut s’attendre à un effet boomerang de ces mesures ?
Le tarif Smoot-Hawley de 1930, l’une des politiques commerciales les plus importantes et les plus controversées de l’histoire des Etats-Unis, a porté les droits de douane moyens américains à près de 60%, afin de protéger les emplois et les industries américaines pendant la Grande Dépression. Au contraire, cette mesure a eu des conséquences dévastatrices, déclenchant des représailles douanières de la part d’autres pays et provoquant une forte baisse du commerce international. Ce tarif a aggravé et prolongé le ralentissement économique mondial, contribuant à la propagation mondiale de la Grande Dépression. La hausse des prix des biens importés, notamment des produits agricoles, comme le sucre et les œufs, qui en a résulté, a engendré d’importantes difficultés pour les consommateurs. De nombreux économistes et historiens affirment que le tarif Smoot-Hawley a joué un rôle clé dans l’aggravation de la crise économique, soulignant les dangers des politiques protectionnistes dans une économie mondialisée.
Quelles sont les retombées sur les entreprises, les consommateurs et les partenaires internationaux ?
Les droits de douane imposés par l’administration Trump devraient entraîner une hausse des prix, freinant la croissance économique et minant la confiance des consommateurs et des entreprises.
Le marché boursier a déjà réagi négativement, avec des corrections rapides et des prévisions de croissance revues à la baisse. Les droits de douane sur l’acier et l’aluminium, visant à stimuler l’industrie manufacturière nationale, ont montré des effets limités. Si ces droits pourraient soutenir certains emplois dans le secteur sidérurgique, ils ont déjà entraîné des pertes d’emplois dans les industries utilisatrices d’acier. L’impact plus large des droits de douane menace de freiner les efforts du secteur manufacturier américain, en particulier dans des secteurs stratégiques comme l’IA, où la hausse des coûts de construction et les pénuries d’équipements constituent des obstacles.
Par ailleurs, les dirigeants du Canada, de la France et de la Chine expriment leurs inquiétudes quant aux conséquences potentielles pour l’économie mondiale.
Le Canada a déjà annoncé des droits de douane de rétorsion, tandis que l’Union européenne a mis en garde contre des contre-mesures. Les responsables européens ont notamment dénoncé l’impact sur les chaînes de valeur et le risque de destruction d’emplois. L’industrie automobile est particulièrement préoccupée : des analystes du Michigan prévoient une hausse des prix de 3500 à 12 000 dollars par véhicule en raison des droits de douane sur les importations automobiles. En somme, les hausses de droits de douane annoncées représentent une escalade significative de sa politique commerciale, affectant un large éventail de biens importés et potentiellement remodelant les relations commerciales mondiales.
L’Algérie n’a pas échappé à la nouvelle politique douanière des Etats-Unis. Quel en sera l’impact sur l’économie nationale ?
L’économie algérienne repose fortement sur les exportations de pétrole et de gaz naturel, qui représentent plus de 98% de ses recettes d’exportation. En 2024, le total des échanges de biens entre les Etats-Unis et l’Algérie s’élevait à 3,8 milliards de dollars, en baisse par rapport à l’année précédente (4,4 milliards de dollars). Les exportations algériennes vers les USA ont diminué, les principaux produits étant le pétrole raffiné et le pétrole brut. Cette tendance à la baisse devrait s’accélérer en raison du nouveau contexte tarifaire, qui pourrait peser davantage sur la balance commerciale entre les deux pays.
De plus, la fin potentielle de l’African Growth and Opportunity Act (AGOA), qui accorde un accès en franchise de droits de douane au marché américain à plus de 30 pays africains, pourrait limiter davantage les possibilités de diversification économique de l’Algérie. Les droits de douane américains pourraient désormais faire apparaître un déficit, impactant les réserves de change de l’Algérie, qui ont constitué un amortisseur essentiel pour l’économie. La réduction des recettes d’exportation affecterait également la situation budgétaire de l’Algérie, pouvant entraîner des déficits budgétaires et une réduction de la capacité d’investissement public.
Par ailleurs, l’Algérie a déployé des efforts pour diversifier son économie, en investissant dans des secteurs tels que l’agroalimentaire, l’industrie pharmaceutique et l’électronique. Toutefois, les droits de douane américains pourraient compromettre ces efforts de diversification en réduisant l’accès au marché des exportations hors hydrocarbures. Cela pourrait également décourager les investissements directs étrangers (IDE) dans les secteurs non énergétiques algériens, limitant ainsi davantage la croissance économique. Le faible indice de complexité économique (ICE) de l’Algérie, à -0,64, la rend vulnérable aux perturbations commerciales, et les droits de douane sur ses produits pourraient dissuader les investisseurs internationaux.
Quelles sont les marges de manœuvres dont dispose l’Algérie pour y faire face ?
Certes, les effets immédiats des droits de douane américains sur l’économie algérienne sont préoccupants : baisse potentielle des recettes d’exportation, aggravation des difficultés budgétaires et entrave aux efforts de diversification. Cependant, l’Algérie pourrait atténuer ces impacts en diversifiant davantage son économie et en recherchant des marchés alternatifs. Le renforcement du commerce régional en Afrique et la capitalisation des partenariats avec la Chine, l’UE et d’autres économies émergentes pourraient offrir des opportunités de croissance.
Les perspectives à long terme des relations économiques algéro-américaines dépendront de la durée et de la portée des mesures tarifaires, ainsi que de la capacité de l’Algérie à s’adapter à cet environnement commercial en mutation. Bien que les impacts immédiats puissent être négatifs, des réponses stratégiques pourraient contribuer à atténuer ces effets et potentiellement créer de nouvelles perspectives de croissance et de développement économiques.
Propos recueillis par Mahmoud Mamart