Dossier / Explosions nucléaires françaises en Algérie : «Un crime odieux contre une terre pure»

15/02/2025 mis à jour: 17:01
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Explosions nucléaires françaises en Algérie : un crime contre l’humanité et l’environnement», est le thème de la journée d’étude organisée jeudi au Centre international de conférences (CIC) à Alger, sous l’égide de la deuxième Chambre du Parlement. 

Cette manifestation coïncide avec le 65e anniversaire de la première explosion atomique française à Reggane le 13 février 1960, et intervient aussi dans un contexte marqué par la détérioration des relations algéro-françaises. 

Lors de cette rencontre, à laquelle ont pris part des membres du gouvernement, des experts en droit, en santé et en environnement et des parlementaires, l’accent a été mis sur les effets dévastateurs de ces essais nucléaires, dont les séquelles continuent de peser sur les populations et l’écosystème algérien. 

A travers cette initiative, les organisateurs visent à sensibiliser l’opinion publique sur l’ampleur de cette tragédie et à ouvrir le débat sur les voies permettant d’accéder à la justice environnementale, de défendre les droits des victimes et d’œuvrer à la réparation des préjudices causés. 

Les intervenants ont tous formulé l’exigence de la reconnaissance, la justice, le nettoyage des sites, la levée du secret d’Etat et la remise des archives et tous ont affirmé que ces essais sont l’un des «plus grands crimes contre l’humanité». 

A cet effet, le président de l’Assemblée populaire nationale (APN), Brahim Boughali, a, dans sa prise de parole, appelé la France à reconnaître officiellement «sa pleine responsabilité dans ces crimes nucléaires». Le premier responsable de cette institution parlementaire a indiqué que cette reconnaissance ne devrait pas être «seulement un aveu politique superficiel, mais un aveu suivi d’un engagement moral clair». 

La France est également appelée à «rendre justice aux victimes des explosions nucléaires et à leurs familles à la mesure de l’ampleur du drame qu’elles ont vécu» et à «garantir le droit légitime du peuple algérien à la justice». 

Le président de l’hémicycle a soutenu que la France a la responsabilité de nettoyer les zones contaminées par les radiations et les déchets nucléaires et de remettre à l’Algérie les archives complètes des sites d’essais, afin, dit-il, «que nos experts puissent évaluer les dégâts et prendre les mesures appropriées à leur égard». 

Le troisième homme de l’Etat a dénoncé «un crime odieux, commis contre une terre pure et un peuple innocent, un crime dont les blessures saignent encore aujourd’hui sans trouver d’issue». 

Ces essais ont été effectués, relève-t-il, sans que les autorités coloniales se soucient de leurs «effets dangereux sur la population, sur l’environnement ou sur le sort des générations», ils ont eu lieu «au mépris total de toutes les valeurs humaines et en violation flagrante de toutes les conventions internationales». 

Et à Brahim Boughali de délivrer le nombre total d’explosions nucléaires réalisées par la France dans le désert algérien et qui s’élève, selon lui, à 17 explosions, dont les effets dévastateurs nous hantent, dit-il, encore aujourd’hui, avec des maladies cancéreuses et des malformations congénitales résultant des radiations laissées. 


Collaboration entre la France et l’entité sioniste

Aussi, la France ne doit pas se soustraire à sa responsabilité «en tentant en vain de contourner le problème et d’ignorer les faits», a indiqué Brahim Boughali, qui a souligné que le recours de la France à une loi censée viser à indemniser les victimes des explosions nucléaires «n’est qu’une tentative superficielle, pleine de mensonges et de vente d’illusions, qui n’engage que ses rédacteurs», car, selon lui, cette loi ignore les explosions dans le Sahara algérien et «pose des conditions d’indemnisation impossibles». 

M. Boughali a évoqué une autre séquelle du colonialisme qui a continué à tuer même après l’indépendance, les mines disséminées le long des frontières est et ouest du pays. Les opérations, rappelle-t-il, de déminage menées par l’Armée nationale populaire (ANP) ont été achevées en 2016 et 11 millions de mines ont été détruites. 

De son côté, Me Fatima Benbraham, avocate et chercheur en droit de l’histoire, a révélé avoir découvert accidentellement un «document secret» qui parle d’un accord entre la France et l’entité sioniste dans le domaine de la technologie nucléaire et qui date de l’ère de l’ancien président français Charles de Gaulle. Ceci, selon elle, nous renvoie à la genèse de la bombe nucléaire. 

Le document montre que des scientifiques français «ont collaboré avec l’entité sioniste et (lui) ont obéi» afin de mettre sur pied la bombe nucléaire. «Dans ce document, il est écrit que dans le cadre du développement de la bombe nucléaire, des scientifiques français faisaient partie d’un projet secret. Ils ont été envoyés en Palestine occupée pour apprendre la technologie nucléaire, sous la supervision de scientifiques sionistes.» 

Cette opération était menée, selon l’avocate, dans la discrétion totale. Elle rappelle que cette affaire a eu des répercussions néfastes sur l’Algérie, car il y a eu des opérations clandestines dans les régions du Sud, à l’instar de Reggane. Il est temps, selon Me Benbraham, de révéler ces secrets liés à l’énergie nucléaire et à ses danger. «L’Algérie devrait aujourd’hui être consciente de ce qui s’est passé à cette époque. Et je confirme que toutes les expériences menées dans le Sud ont échoué parce que très mal préparées et on nous fait croire que ces expériences sont propres», s’indigne la défenseure des droits de l’homme, qui réclame les dossiers sur la coopération nucléaire entre la France et l’entité sioniste. 

Pour Me Benbraham, la France est responsable moralement et juridiquement devant le droit international humanitaire des souffrances et des ravages infligés à la population locale, au milieu naturel et à l’équilibre écologique. 

Des prisonniers comme «cobayes»

Pis encore, «on parle aujourd’hui de crime continu. Jusqu’à présent, ces explosions continuent de tuer des gens et la radio activité dort jusqu’à ce jour sous les sables du Sahara», résume-t-elle. Aujourd’hui, l’Algérie a demandé, précise l’intervenante, officiellement la décontamination et la remise du plan d’enfouissement des déchets nucléaires. C’est une avancée. Cette opération doit être menée par la France au nom du principe international «du pollueur-payeur», mais la France refuse de reconnaître l’ampleur des dégâts. Elle estime que le seuil qui existe actuellement est un seuil admissible pour l’être humain en matière de radiation. 

Pour sa part, le professeur Ammar Mansouri, chercheur dans le domaine génie nucléaire, a rappelé, en évoquant l’impact catastrophique de ces explosions nucléaires effectuées par l’armée française dans les régions de Reggane et à In Ekker, que la propagation des radiations dans de vastes zones à l’intérieur et à l’extérieur du pays, y compris dans 26 pays africains. Il a affirmé que ces explosions dépassaient la puissance totale des premiers essais des Etats-Unis, de l’Union soviétique et du Royaume-Uni. 

Le chercheur a abordé les effets dévastateurs de ces explosions sur la santé, qui ont engendré des taux élevés de cancer, de malformations congénitales et de maladies respiratoires au sein de la population locale. 

Le Pr Mansouri a révélé que de prisonniers algériens ont été utilisés comme «cobayes» lors de certains essais nucléaires. Enfin, les parlementaires ont insisté dans leur intervention sur l’importance d’ouvrir le dossier de la criminalisation du colonialisme français en Algérie. 

 

 

Brahim Boughali : «Le dossier de la criminalisation du colonialisme sera ouvert»

La chambre basse du Parlement procédera à l’ouverture du dossier de la criminalisation du colonialisme français en Algérie.» C’est ce qu’a révélé jeudi Brahim Boughali en marge des travaux de la journée d’étude sur les essais nucléaires. «En réponse à la revendication populaire en Algérie, le dossier de la criminalisation du colonialisme sera ouvert au sein de l’APN et suivra son cours», affirmant que l’Assemblée «plaidera pour la défense des chouhada et des droits des victimes des explosions nucléaires». Cette démarche est «une responsabilité qui nous incombe et que nous devons assumer, ces explosions sont un crime imprescriptible, notamment avec la persistance de leurs effets sur la santé, en raison des radiations présentes sur les sites où elles ont eu lieu». Dans le même sillage, M. Boughali a insisté sur «l’importance de rectifier les termes liés à ces crimes (explosions au lieu d’essais)». Le président de l’APN a proposé, en outre, d’instituer une journée internationale pour les victimes des explosions nucléaires, coïncidant avec le 13 février, et l’organisation d’une conférence parlementaire sur cette affaire importante, afin d’échanger les expertises et les expériences, et d’examiner les voies juridiques pour soutenir les victimes et leur rendre justice. 

Les exigences formulées par les participants

A l’issue des travaux de cette rencontre portant sur les explosions nucléaires en Algérie, les recommandations ont été formulées et ont porté sur l’importance «de consigner les témoignages vivants des moudjahidine et de la population ayant vécu la période des explosions nucléaires et leur intégration dans les archives nationales». Dans le cadre de l’examen des effets continus de ces explosions, les participants ont appelé «à la création d’un centre national de la mémoire nucléaire qui s’attellera à examiner l’impact de ces explosions sur l’environnement et la santé», en sus du lancement «d’études de terrain périodiques pour contrôler l’état de santé de la population affectée et apporter un soutien médical spécial aux victimes des radiations nucléaires». Afin d’ancrer le dossier de la mémoire chez les nouvelles générations, il a été proposé d’inclure le dossier des explosions nucléaires dans les manuels scolaires et de renforcer le débat scientifique et historique autour du sujet. Autres recommandations :  la promulgation d’une loi criminalisant le colonialisme français et obligeant la France à reconnaître sa responsabilité dans ses crimes contre l’humanité, notamment le génocide et les essais nucléaires, et ouvrant la voie à une responsabilité pénale et civile, le maintien d’une pression internationale pour exiger que la France assume ses responsabilités et l’encouragement des victimes et leurs familles à porter plainte devant les tribunaux internationaux et à exiger une juste réparation des dommages subis.

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