Crise libyenne : Tripoli et Tobrouk s’entendent sur le pétrole et oublient le reste

09/07/2023 mis à jour: 18:00
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Le maréchal Khalifa Haftar réclame sa part des revenus des hydrocarbures

La quasi-totalité des belligérants libyens a été représentée dans la commission supérieure de contrôle financier, décrétée (18/2023) le jeudi 6 juillet 2023 par le Conseil présidentiel et sous sa présidence, pour veiller à la transparence dans l’affectation et la distribution des revenus du pétrole. Une formation de 17 membres en plus du président et du vice-président. 
 

Elle représente le Conseil présidentiel, le gouvernement d’Union nationale, le Parlement, le Conseil supérieur de l’Etat, le Commandement général de Haftar, la Cour des comptes, la Banque centrale, l’Entreprise nationale de pétrole ainsi que l’Instance de contrôle administratif. 

Un communiqué de la délégation de l’ONU, publié le jour-même, a exprimé «sa satisfaction d’un tel processus consensuel pour résoudre les différends». L’envoyé spécial des Etats-Unis, Richard Norland, a participé aux discussions pour la formation de cette instance.
 

Conçue de cette manière, ladite commission permet aux Libyens de garder l’initiative à l’opposé de la conférence de Genève des années 2020/21, parrainée par l’ONU et les puissances internationales. A Genève, le Parlement et le Conseil supérieur de l’Etat ont risqué de perdre à jamais leurs rôles acquis respectivement lors des élections de juin 2014 et juillet 2012. L’élection de Abdelhamid Debeiba a été faite par une commission formée par les représentants des deux chambres en plus d’autres de la société civile libyenne. 

Après Genève, l’ONU et les puissances internationales ont préféré reconnaître une représentation tronquée du peuple libyen, par le Parlement et le Conseil supérieur de l’Etat, mieux que l’absence de toute représentation dans un pays dominé par le chaos. Depuis Genève, les décideurs libyens préfèrent laver leur «linge sale» loin des yeux de la communauté internationale. Toutefois, «le pétrole coule à flot et les puissances étrangères n’ont pas à s’inquiéter outre-mesure concernant l’énergie. Pour le peuple libyen, Dieu s’en occupera», remarque le juge libyen Jamel Bennour. 
 

Jeu d’intérêts

L’accord obtenu sur la commission supérieure de contrôle des finances indique clairement que les diverses composantes de l’actuelle classe politique libyenne n’ont plus d’intérêt à faire la guerre. «C’est la même situation en 2019 avec une demande de la part du bloc de l’Est libyen, dirigé de fait par Khalifa Haftar, de plus d’équité et de transparence dans la répartition des ressources du pétrole. Toutefois, la manière a changé cette fois. Si Haftar a tenté de s’emparer de Tripoli en 2019, il a préféré aujourd’hui la négociation», remarque le politologue Ezzeddine Aguil. «Il est clair que toutes les parties libyennes préfèrent la prudence face à une population qui les a haïs tous», ajoute-t-il. «Le Libyen Lambda est la victime principale de ce semblant de conflit qui perdure, alors que les politiques et les puissances internationales tirent profit», conclut-il. 
 

Par ailleurs, le juge libyen Jamel Bennoura attiré l’attention sur un détail important. Il a rapporté que des sites internationaux spécialisés dans les faits d’armes ont relevé qu’un avion Iliouchine 76, au service des troupes Wagner, a été détruit le 30 juin dernier sur la piste de la base militaire El Khadem, 165 km au sud de Benghazi. L’avion aurait été abattu par un drone turc Akinci, parti de la base aérienne El Watya, 125 km au sud de Tripoli, et à moins de 30 km des frontières tunisiennes. 
 

«L’ordre aurait donc été donné par Tripoli ou Ankara pour attaquer cet avion, en exploitant la brouille entre Moscou et les Wagner», a remarqué le juge, en ajoutant que «pareille offense aurait causé une guerre en d’autres moments». «Les belligérants libyens seraient devenus plus conciliants dans le traitement de leurs différends ; les rémunérations juteuses ne seraient pas étrangères à ces comportements», conclut-il. La Libye a intérêt à rajeunir sa classe politique pour sortir du chaos actuel.

 

Tunis
De notre correspondant Mourad Sellami

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