Outil d’influence des instituts français de par le monde, les Choix Goncourt internationaux se déclinent en Algérie. Cette année, la 7e édition (2025) n’aura pas lieu à cause de la «polémique» Daoud. Explications.
Les étudiants et lycéens algériens adeptes de littérature française prestigieuse attendaient avec impatience de pouvoir lire les livres en lice pour le Goncourt 2024 en plus de «Houris» de Kamel Daoud qui l’a décroché cette année. C’est manqué ! Ils sont punis par une institution qui prône faussement les valeurs de liberté.
En rangs serrés derrière Daoud, au pas quasi militaire dont ils affublent hypocritement les autorités algériennes, ses membres ont été unanimes à décider de suspendre l’édition algérienne du Choix Goncourt, une suspension qui pourrait bien être une annulation purement et simplement. L’académie craignait-elle que son poulain fabriqué de toute pièce n’en sorte pas vainqueur ?
Contrairement au prix 2024, une splendeur, «Veiller sur elle», de Jean-Baptiste Andrea. Même si tous les prix Goncourt parisiens n’ont pas toujours été adoubés à Alger depuis 2018, dans ce Choix local, Kamel Daoud l’aurait-il emporté cette année chez les lecteurs algériens ? On ne le sait pas, mais on en doute.
Punition collective pour les Algériens férus de vraie littérature
Le nombre de villes participant à l’événement ne cesse de croître avec dix villes représentées en 2023 (Annaba, Alger, Batna, Béjaïa, Constantine, Oran, Tiaret, Mascara, Saïda et Tlemcen) «pour un prix qui suscite beaucoup d’intérêt au sein du paysage littéraire et universitaire algérien», écrivait l’académie Goncourt, alors que les critiques du livre de Daoud n’ont cessé d’emplir les réseaux sociaux.
Donc, les Algériens sont punis comme des enfants turbulents qui contestent la voix du maître. Cette mesure arbitraire étonnante de la part d’une institution qui fustige le prétendu arbitraire algérien dont les instances légales et constitutionnelles poursuivent «l’écrivain Boualem Sansal arbitrairement incarcéré en raison de ses écrits et propos», comme l’écrit sentencieusement Le Figaro.
Outre Daoud, c’est donc en raison de «l’emprisonnement de l’écrivain franco-algérien», comme le note le quotidien de droite français, contre lequel les Goncourt prennent une position, non plus littéraire, mais bel et bien politique. Ils auraient pu noter que l’Académie française, sollicitée pour faire entrer Sansal chez les immortels, a refusé par un vote net et sans contestation possible.
Pour finir de s’expliquer, l’académie Goncourt «réaffirme sa condamnation de toute atteinte à la liberté d’expression». Quant à la liberté de lire pour les Algériens qui sont assez adultes pour savoir quel est leur «choix», ils en seront privés. Une mentalité de supériorité, pour ne pas dire néocoloniale, qui empêchera les lecteurs algériens de se faire une idée de livres présentés au jury Goncourt et peut-être porter leurs voix sur un autre ouvrage que celui de Daoud.
L’édition suspendue devait se dérouler en 2025 et le prix algérien prononcé en juillet. On peut se demander si la suspension de ce Choix Goncourt de l’Algérie ne marque pas simplement sa belle mort et ne sera plus renouvelée en Algérie.
Kamel Daoud se défend
Au même moment, dans l’hebdomadaire Le Point où il tient une rubrique chaque semaine à charge contre l’Algérie, Kamel Daoud, sous la manchette «exclusif», réagit aux poursuites dont il fait l’objet devant le tribunal d’Oran. Il estime que ce sont les «calomnies» d’une «campagne de diffamation orchestrée par le régime algérien».
Alors que les plaintes sont devant le juge, il répond que le drame de Saâda Arbane qui l’accuse d’avoir écrit son histoire sans son autorisation, l’écrivain la traite de menteuse avec une certaine suffisance : « Cette jeune femme malheureuse clame que c’est son histoire. Si je peux comprendre sa tragédie, ma réponse est claire : c’est complètement faux. A part la blessure apparente, il n’y a aucun point commun entre la tragédie insoutenable de cette femme et le personnage Aube.»
Il reprend de nouveau le terme de «guerre civile» que de nombreux historiens réfutent quant aux années noires, parlant «d’autres personnes, victimes de la guerre civile algérienne et en particulier des groupes armés islamistes», qui «présentent les mêmes séquelles que la jeune femme.
‘Houris’ ne dévoile aucun secret médical », selon Daoud. «La canule, la cicatrice et les tatouages ne sont pas des secrets médicaux, et la vie de cette femme n’est pas un secret, comme le prouvent ses propres témoignages. Il suffit de lire ce roman pour voir qu’il n’y a aucun lien, sinon la tragédie d’un pays.»
C’est ce qu’élucidera le tribunal.