Bouleversement politique au Proche-Orient : Bachar Al Assad chassé du pouvoir

09/12/2024 mis à jour: 17:37
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Photo : D. R.

Au bout de 13 ans de guerre civile et de 12 jours d’une offensive fulgurante, le régime de Bachar Al Assad est tombé ce dimanche 8 décembre à Damas. Cette fois, le président syrien n’a guère pu compter sur ses alliés traditionnels. La Russie est embourbée dans le conflit ukrainien. Et l’Iran et le Hezbollah ont laissé beaucoup de force sur le front de la résistance contre Israël.

Douze jours. C’est le temps qu’il aura fallu à l’opposition armée syrienne pour faire tomber le régime de Bachar Al Assad au terme d’une offensive-éclair. En chassant du pouvoir l’autocrate de 59 ans, cette insurrection fulgurante a mis fin à 24 ans de longévité à la tête de l’Etat du fils de Hafez Al Assad et à 54 ans d’un règne sans partage de la «dynastie» Al Assad, si on y ajoute les trente ans de pouvoir du père (1970-2000).

Le président déchu a quitté le pays dans la nuit de samedi à dimanche, et jusqu’à l’heure où nous écrivons ces lignes, nul ne sait où son avion a atterri. Hier, la Russie, soutien indéfectible du dirigeant syrien jusqu’aux dernières heures, a annoncé par la voix de la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova : «Suite aux négociations entre Bachar Al Assad avec un certain nombre de participants au conflit armé sur le territoire de la Syrie, il a décidé de démissionner de son poste présidentiel et a quitté le pays en donnant l’instruction de procéder au transfert du pouvoir de manière pacifique.» L’épouse et les enfants de Bachar Al Assad auraient gagné Moscou la semaine dernière selon le Wall Street Journal.

Le film des événements

Depuis le lancement de cette offensive spectaculaire le 27 novembre à partir des provinces du Nord, les événements se sont accélérés de façon vertigineuse. Après Idleb, fief de l’opposition armée syrienne, la coalition dominée par Hayat Tahrir Al Sham de Mohammad Al Joulani a enchaîné les conquêtes territoriales sans rencontrer une véritable résistance de la part d’une armée aux abois.

Celle-ci pouvait à peine compter sur le soutien aérien de l’aviation russe, dont le rôle, au final, sera révélé limité et sans réel impact sur la marche des événements. Le 27 novembre donc, les milices dissidentes assiègent Alep qui tombe trois jours après aux mains des insurgés. Ces derniers marchent ensuite sur l’autre ville importante du Nord : Hama.

Celle-ci cède à son tour après d’âpres combats contre les forces loyalistes syriennes soutenues par les Russes. Les rebelles ne sont plus qu’à 200 km de la capitale. Vendredi, les voici aux portes de Homs, troisième métropole du pays située à 160 km seulement de Damas.

Samedi, les djihadistes et leurs alliés s’emparent des localités du Sud, proches de Damas, avant de donner l’assaut final. Ainsi, en vingt-quatre heures, ils ont réussi à conquérir les villes de Homs, Deraa, Al Souwaida et Qouneitira. Hier, les insurgés sont entrés triomphalement à Lattaquié, la belle ville côtière où est concentrée une grande partie de la communauté alaouite dont est issu le clan Al Assad.

Jusqu’à la dernière minute, le pouvoir alaouite tente de faire croire qu’il garde sa capacité de résistance à la déferlante islamiste. Le ministre de l’Intérieur, le général Muhammad Al Rahmoun, rassurait encore samedi soir que «le cordon de sécurité autour de Damas est solide et ne peut pas être brisé».

A 22h, Bachar Al Assad décide pourtant de prendre la fuite à bord d’un avion privé qui a décollé depuis l’aéroport international de Damas vers une destination inconnue, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme.

Sur les réseaux sociaux, on pouvait suivre l’évolution de la situation à travers les comptes d’Al Jazeera Mubasher ainsi que les nombreux comptes syriens et autres qui documentaient chaque minute de ce moment crucial. Pour tout le monde, la chute de Bachar était imminente, surtout en voyant la facilité avec laquelle les convois rebelles avalaient les territoires et entraient pratiquement dans des villes ouvertes et sans défense.

Des images montraient au milieu de la nuit la désertion de plusieurs unités et des cohortes de soldats abandonnant leurs postes. Beaucoup se sont rués sur la frontière syro-irakienne. On pouvait voir aussi des membres de la Garde républicaine prenant leur jambe à leur cou dans les rues désertes de la capitale. Puis, sans surprise, arrivèrent les premières annonces donnant Bachar en fuite. Au petit matin, les Damascènes, comme dans toutes les villes du pays et dans la diaspora, laissaient éclater leur joie.

«Mon exécution était programmée aujourd’hui»

Dans les rues de Damas défilaient les insurgés portés par des foules en liesse. «La Syrie est à nous, elle n’est pas à la famille Assad», scandaient les rebelles en tirant des rafales en l’air. «Après 50 ans d’oppression sous le pouvoir du Baath et 13 années de crimes, de tyrannie et de déplacements forcés, (...) nous annonçons aujourd’hui la fin de cette période sombre et le début d’une nouvelle ère pour la Syrie», proclamait un message posté par la coalition armée sur le réseau Telegram.

Des soldats ôtaient leurs uniformes et quittaient dare-dare le siège de l’état-major de l’armée syrienne sur la place des Omeyyades, rapporte l’AFP. «Illustrant la débandade qui a accompagné l’offensive fulgurante des rebelles dans la capitale, les locaux abritant la Télévision et la Radio publiques ont été abandonnés par les fonctionnaires, selon un ancien employé», relate la même source.

Les factions rebelles ne se sont pas fait prier pour s’emparer de la Télévision d’Etat, avant de lire solennellement un communiqué annonçant la «libération de la Syrie». L’une de leurs premières actions a été également de procéder à la libération de milliers de détenus incarcérés dans l’effroyable prison de Sednaya, près de Damas, ce pénitencier de triste mémoire connu pour être un véritable dépotoir humain, où les prisonniers politiques étaient soumis à des sévices épouvantables.

Un prisonnier condamné à mort jure que le rendez-vous de sa condamnation «était programmé pour aujourd’hui (8 décembre)», a-t-il témoigné devant la caméra d’Al Jazeera. Il avait du mal à contenir son émotion tant il peinait à croire qu’il avait été libéré juste avant son exécution.

«Ne touchez pas aux institutions publiques !»

Parmi les scènes qui revenaient de façon récurrente dans toutes les villes syriennes, hier, au milieu de cette folle effervescence, celles où l’on voit des citoyens abattre les stèles et les statues à l’effigie de Hafez Al Assad ou déchiquetant les portraits géants de son successeur. Une image qui a beaucoup tourné sur les réseaux sociaux montre un combattant appuyant son pied sur une tête en bronze du patriarche Al Assad gisant sur le sol après avoir été arrachée à une statue déboulonnée.

Autre geste symbolique fort : des groupes rebelles ainsi que des citoyens ont investi le Palais présidentiel de même que la résidence de Bachar Al Assad. «Des dizaines de Syriens sont entrés dimanche dans la luxueuse résidence du président Bachar Al Assad, après qu’elle a été pillée, tandis que la salle de réception du Palais présidentiel dans un autre quartier a été incendiée», indique l’AFP. «Hommes, femmes et enfants déambulaient dans les pièces et sur les escaliers de la résidence du président, qui a fui Damas, dans le quartier huppé de Malki», ajoute la même source. 

Des images diffusées sur les réseaux sociaux montraient également de hauts cadres de la coalition armée escortant le Premier ministre syrien, Mohammad Al Jalali. Ils se sont présentés de bon matin devant son domicile avant de l’accompagner dans un véhicule tout-terrain.

Il n’a pas été arrêté, bien au contraire. Il a été invité à poursuivre sa mission en attendant de s’entendre sur un gouvernement de transition. Mohammad Al Jalali déclarera dans un message vidéo diffusé sur son compte Facebook : «Ce pays peut être un pays normal, construisant de bonnes relations avec ses voisins et avec le monde (...) Mais cette question sera du ressort de tout leadership que choisira le peuple syrien, et nous sommes prêts à la coopération et à lui apporter toutes les facilités possibles».

Le commandant en chef des forces de la rébellion, Mohammad Al Joulani, a exhorté ses hommes à ne pas toucher aux institutions publiques. «A toutes les forces militaires dans la ville de Damas, il est totalement interdit de s’approcher des institutions publiques, qui resteront sous le contrôle de l’ancien Premier ministre jusqu’à la passation officielle», a-t-il ordonné dans un communiqué qu’il a signé de son vrai nom, Ahmed Al Chareh, publié sur Telegram. «Il est également interdit de tirer en l’air», a-t-il ajouté. Si les insurgés ont globalement respecté cette consigne, en revanche, ils n’ont pas hésité à s’en prendre à l’ambassade iranienne à Damas qu’ils ont saccagée et pillée. 
 

 

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