Arrêt des financements de l’UNRWA : De nombreuses ONG se révoltent

31/01/2024 mis à jour: 07:15
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Photo : D. R.

De nombreuses ONG internationales humanitaires se sont s’insurgé, hier, contre la décision prise par les Etats-Unis et adoptée par des pays occidentaux de couper les fonds à l’Unrwa, l’agence onusienne qui maintient en vie plus de 2 millions de réfugiés palestiniens.

La décision des Etats-Unis de suspendre les financements accordés à l’Unrwa, l’agence onusienne qui aide la population réfugiée de Ghaza, entérinée par 11 pays occidentaux parmi les alliés d’Israël, dont la France, l’Allemagne, la Suède, le Japon, le Canada, l’Italie, le Danemark, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, les Pays-Bas, la Finlande, le Royaume-Uni, suscite la colère de plus d’une vingtaine d’ONG internationales humanitaires, unanimes d’ailleurs à la qualifier, dans un communiqué commun, de «punition punitive», qui a été prise sur la base d’allégations de complicité de certains agents de l’Unrwa, avancées par Israël, sans donner une quelconque preuve, selon le chef de l’Onu, quelques heures après les décisions de la Cour internationale de justice (CIJ), vendredi dernier.

Au moment où les ONG s’apprêtaient à diffuser leur communiqué commun, António Guterres exhortait les donateurs de l’Unrwa, lors d’une réunion qu’il a tenue avec eux, de continuer à financer l’agence «dont les perspectives et celles des millions de personnes qu’elle sert, non seulement à Ghaza, mais aussi à Jérusalem-Est, en Cisjordanie, en Jordanie, au Liban et en Syrie, sont très sombres».

L’état des lieux dressé lors de cette rencontre est catastrophique, notamment à Khan Younès. Il est également précisé que les partenaires humanitaires continuent de faire état d’obstacles à leurs tentatives d’accéder aux parties nord et centrale de la Bande de Gaza et de retards excessifs pour les convois d’aide humanitaire.

Repris par le site Onu Info, le représentant de l’Oms a appelé les donateurs à ne pas suspendre le financement de l’Unrwa «à ce moment critique», car, a-t-il souligné, «couper le financement ne fera que nuire à la population de Ghaza qui a désespérément besoin de soutien». Les représentants du Bureau de coordination de l’aide de l’Onu (Ocha) alertent sur «davantage de personnes qui avaient été déracinées de leurs foyers dans le contexte des combats en cours et des ordres d’évacuation de l’armée israélienne».

«Préoccupés et indignés»

Dans son message lancé aux donateurs, en particulier à ceux qui ont suspendu leurs contributions, Guterres a mis l’accent sur la nécessité de «garantir au moins la continuité des opérations de l’Urnwa, car nous avons des dizaines de milliers d’employés dévoués qui travaillent partout dans la région. Les besoins urgents des populations désespérées qu’ils servent doivent être satisfaits.

A l’heure actuelle, les perspectives pour l’Unrwa et les millions de personnes qu’elle sert, non seulement à Ghaza, mais aussi à Jérusalem-Est, en Cisjordanie, en Jordanie, au Liban et en Syrie, sont très sombres».

C’est le second appel que le chef de l’Onu lance aux donateurs qui ont décidé de couper les vivres aux réfugiés palestiniens. La première fois, c’était vendredi dernier, mais malgré cela, l’Union européenne a demandé à l’Unrwa lundi «d’accepter qu’un audit soit mené par des experts indépendants choisis par la Commission européenne». Une rupture de confiance qui risque d’avoir des conséquences gravissimes. 

Cela étant, plusieurs pays européens ont annoncé officiellement la poursuite de l’aide accordée à l’Unrwa. Il s’agit de l’Espagne, de la Norvège, de l’Irlande et de la Belgique. Vingt-une ONG internationales humanitaires ont signé, hier, une déclaration commune dans laquelle elles ont exprimé leur «indignation» et «préoccupation» face à la suspension des fonds à l’Unrwa.«En tant qu’organisations humanitaires, nous sommes profondément préoccupés et indignés par le fait que certains des principaux bailleurs se soient unis pour suspendre le financement de l’Unrwa, la principale organisation d’aide pour des millions de Palestiniens à Ghaza et dans la région.

Cette décision survient alors que la catastrophe humanitaire s’aggrave rapidement à Ghaza», écrivent les ONG, pour lesquelles, cette suspension «aura un impact sur l’assistance vitale apportée à plus de deux millions de civils, dont plus de la moitié sont des enfants, qui dépendent de l’aide de l’Unrwa à Ghaza. La population est confrontée à une famine imminente et à une épidémie de maladies, dans un contexte de bombardements indiscriminés continus d’Israël et de privation délibérée d’aide à Ghaza».

Les ONG signataires ont salué, par ailleurs, «la prompte enquête de l’Unrwa sur l’implication présumée d’un certain nombre de membres du personnel de l’ONU dans les attaques du 7 octobre», et se sont déclarées «consternées par la décision imprudente prise par certains des pays – qui avaient précédemment appelé à intensifier l’aide à Ghaza et à protéger les acteurs humanitaires dans l’exercice de leurs fonctions – consistant à interrompre un soutien vital pour l’ensemble de la population».

Les signataires ont par ailleurs rappelé que cette «décision survient alors que la Cour internationale de justice (CIJ) a ordonné une action immédiate et efficace pour garantir l’assistance humanitaire aux civils à Ghaza». Les ONG ont également mis en avant la mort de 152 membres de l’Unrwa, tués lors des bombardements, et ses 145 installations endommagées et de mettre en garde : «L’Unrwa représente la plus grande agence humanitaire présente à Ghaza, et l’aide humanitaire qu’elle dispense ne peut être substituée par d’autres organismes opérant dans la région.

En l’absence de la levée de la suspension des financements, nous pourrions être témoins d’un effondrement total de la réponse humanitaire déjà limitée à Ghaza (…). L’agence et les organisations humanitaires continuent à œuvrer dans des circonstances presque impossibles pour fournir de la nourriture, des vaccinations et de l’eau. Les pays suspendant leurs fonds risquent de priver davantage les Palestiniens d’accès essentiel à l’eau, de services médicaux, d’éducation et de mécanismes de protection.»

«Détourner l’attention…»

Les ONG ont exhorté «instamment les Etats donateurs à réaffirmer leur soutien au travail vital accompli par l’Unrwa et ses partenaires pour aider les Palestiniens à survivre à l’une des pires catastrophes humanitaires de notre époque. Les pays doivent lever ces suspensions de financements, respecter leurs obligations envers le peuple palestinien et intensifier l’aide humanitaire aux civils dans le besoin à Ghaza et dans la région».

Les premiers signataires de cette déclaration sont Humanity et Inclusion, Handicap International, War Child Alliance, ActionAid, Norwegian Refugee Council, Diakonia, Oxfam, Première Urgence Internationale, Médecins du Monde France, Spain, Switzerland, Canada, Germany, Danish Refugee Council, Johanniter International Assistance, The Association of International, Development Agencies-Aida, Intersos, CCFD-Terre Solidaire, International Council for Voluntary Agencies, Norwegian People’s Aid, Plateforme des ONG françaises pour la Palestine, Norwegian Church Aid, DanChurchAid, American Friends Service Committee, Caritas Internationalis et Save the Children.

Lors d’un point de presse à Genève, le porte-parole de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), Christian Lindmeier, regrettait que «la crise autour de l’Unrwa détourne l’attention de la crise humanitaire à Ghaza, alors qu’une vingtaine d’ONG se sont aussi dites révoltées par la suspension du financement d’une dizaine de pays (…)».

Pour sa part, Rami Abdo, chef de l’Observatoire européen des droits de l’homme, a déclaré qu’«Israël utilise la faim comme une arme pour déplacer les habitants de la Bande de Ghaza et même les tuer», expliquant que «Ghaza souffre d’une grave pénurie de vivres et que le flux de l’aide qui arrive a diminué d’une moyenne de 500 camions avant la guerre à moins de 100 actuellement.

Actuellement, plus de la moitié de la population de Ghaza souffre d’une faim extrême. Tous les habitants du nord de Ghaza sont confrontés à de graves conditions de famine», a-t-il déclaré à l’agence turque de presse.

Selon lui, «les soldats de l’occupation avaient ouvert le feu sur ceux qui tentaient d’atteindre les camions de nourriture qui entraient en petit nombre à Ghaza du sud vers le nord, et qu’ils avaient documenté la mort de dizaines de personnes à cause de cela. Nous parlons d’une famine délibérée, en particulier dans le nord de Ghaza, et les enfants sont les plus touchés par cette situation».

«Certains gouvernement ont continué à armer Israël»

Abondant dans le même sens, Amnesty International a déclaré, dans un communiqué signé par sa secrétaire générale Agnès Callamard, que la suspension par 11 donateurs de l’aide à l’Unrwa «va porter un coup dévastateur à plus de deux millions de réfugié(e)s de la Bande de Ghaza occupée, pour lesquels cette organisation est la seule bouée de sauvetage», et précisé «qu’il est profondément choquant, inhumain à vrai dire, que plusieurs gouvernements aient pris des décisions qui vont aggraver les souffrances de deux millions de Palestinien(ne)s déjà confrontés au risque d’un génocide et d’une famine artificielle, quelques jours seulement après que l’arrêt rendu par la Cour internationale de justice ait conclu que la survie des Palestinien(ne)s de Ghaza était menacée.

Il est particulièrement consternant que de telles mesures aient été prises après des allégations concernant 12 employés sur les 30 000 que compte l’Unrwa». Pour la responsable de l’ONG, «les allégations concernant l’implication de membres du personnel de l’Unrwa dans les attaques du 7 octobre sont sérieuses et doivent donner lieu à une enquête indépendante, toute personne contre laquelle il existe des preuves suffisantes et recevables doit être poursuivie dans le cadre d’une procédure équitable.

Mais les agissements présumés de quelques individus ne doivent pas servir de prétexte à la suppression d’une aide vitale, ce qui pourrait s’apparenter à un châtiment collectif». Amnesty a ajouté par ailleurs : «Il est scandaleux qu’au lieu de tenir compte de l’arrêt rendu par la CIJ et de la conclusion de la Cour selon laquelle la situation humanitaire catastrophique dans la Bande de Ghaza risque fort de se détériorer davantage, des Etats clés, dont les Etats-Unis, le Canada, le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Australie et la France, aient supprimé le financement du principal fournisseur d’aide aux civils de Ghaza.

Tous les Etats ont clairement le devoir de veiller à ce que les mesures de la CIJ soient mises en œuvre, y compris celles qui ordonnent à Israël de prendre des mesures immédiates et efficaces pour garantir l’octroi d’une assistance humanitaire aux civils palestiniens de Ghaza, étape essentielle pour prévenir un génocide et d’autres préjudices irréparables.

Certains des gouvernements ayant annoncé qu’ils allaient supprimer les fonds destinés à l’Unrwa en raison de ces allégations ont, dans le même temps, continué à armer les forces israéliennes malgré les preuves accablantes que ces armes sont utilisées pour commettre des crimes de guerre et de graves violations des droits humains (…).»

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