Le procès de Noureddine Bedoui, Abdelmalek Boudiaf et de Tahar Sekrane, anciens walis de Constantine (de 2002 à 2013), s’est ouvert hier devant le pôle financier de Sidi M’hamed, à Alger. Jugés pour «abus de fonction, octroi d’indus avantages et dilapidation de deniers publics», les trois ont comparu avec plus d’une trentaine d’autres prévenus, pour le projet de réalisation de l’aérogare de Constantine, qui a pris 11 ans et englouti 3,5 milliards de dinars au lieu de 441 millions de dinars.
Poursuivi en tant qu’ex-wali de Constantine, Noureddine Bedoui, dernier Premier ministre sous l’ère du défunt président déchu Abdelaziz Bouteflika, a comparu le mercredi 7 juin devant le pôle financier de Sidi M’Hamed, près la Cour d’Alger, pour des faits liés à la réalisation de l’aérogare de Constantine, qui a connu une réévaluation de 615 % du montant initial et un retard de près de 10 ans.
L’ancien ministre Abdelmalek Boudiaf, qui a eu également un passage en tant que wali à Constantine, était lui aussi au banc des accusés avec Tahar Sekrane, également ancien wali Constantine. A cela s’ajoutent une trentaine de prévenus, des cadres locaux, des bureaux d’étude et des entreprises de travaux publics, poursuivis dans la même affaire.
Dès l’ouverture de l’audience, plusieurs avocats de la défense ont évoqué des «vices de forme ayant entaché la procédure» et plaidé «la prescription des faits» en arguant qu’ils étaient «antérieurs à la promulgation de la loi 01/06 de lutte contre la corruption, sur la base de laquelle, plusieurs mis en cause sont poursuivis». Ainsi, Me Sellini a dénoncé le rapport de l’Inspection générale des finances (IGF) en allant jusqu’à le qualifier de «faux». «C’est un rapport qui ne comporte ni signature ni date et qui n’a pas été confronté aux prévenus, lesquels, à aucun moment, n’ont été informé de son existence».
Ne cachant pas sa colère, Me Sellini a crié : «Barakat (assez) de ces faux et de ces règlements de compte !». Abondant dans le même sens, Me Abdallah Haboul a mis en avant dans sa ligne de défense «des violations non seulement de la Constitution mais aussi du code de procédure pénale», en matière de prescription et de droit civique et politique. Selon lui, le juge d’instruction «s’est empressé de baser toute son accusation sur le réquisitoire introductif du parquet sans entendre dans le fond les prévenus». «La procédure devient nulle et non avenue», a-t-il conclu. Le juge a ainsi décidé de joindre l’examen des demandes de la défense à celui du fond du dossier. Il a ensuite appelé à la barre le premier prévenu, Tahar Sekrane, ancien wali de Constantine (d’août 2002 au mois d’août 2005).
Laissé en liberté, il est poursuivi pour, «abus de fonction, dilapidation de deniers publics et octroi d’indus avantages». Il a expliqué que le projet était confié à l’Entreprise de gestion des aéroports (EGSA). C’est elle, a-t-il affirmé, qui avait choisi l’assiette et remis l’étude à un bureau de wilaya, ASAU en l’occurrence. Ce n’est qu’en 2002 qu’il a été décidé de confier ce projet à la wilaya et c’est en février 2003 qu’il a été inscrit officiellement pour un montant de 441 millions de dinars.
Le juge lui a fait savoir que ce montant a connu une réévaluation de 615% par rapport au montant initial et que le délai de 48 mois a été largement dépassé, puisque le projet n’a été réceptionné qu’en 2013. «Comment expliquer cette hausse financière et ces retards?», lui a demandé le magistrat. «Le projet n’a démarré réellement qu’en 2003. La pierre inaugurale a été posée par le défunt président Abdelaziz Bouteflika, lors de sa visite dans cette wilaya le 18 avril 2002. Revenons au contexte de l’époque : Nous venions de sortir de décennie noire et Constantine était sinistrée.
La moitié de la wilaya souffrait des glissements de terrain et l’autre moitié était faite de bidonvilles. Le défi n’était pas cette aérogare mais l’eau potable, l’électricité, le logement, l’emploi etc. Le wali ne pouvait pas tout faire. A l’exception des arrêtés, beaucoup de décisions sont confiées par délégation de signature aux directeurs exécutifs. Pour ce qui est de ce projet, la dérogation a été donnée au directeur de la DLEP.
Lorsque j’ai quitté le poste au mois d’août 2005, il ne restait que 18 mois du délai de 48 mois fixé pour sa réalisation. Ce projet a malheureusement fait face à de nombreux problèmes techniques, liés à la nature du sol, l’environnement etc». Interrogé sur l’expertise de l’IGF, le prévenu a déclaré n’avoir «jamais entendu parler de ce rapport ni avoir été confronté à son contenu». Sur la multiplication des avenants, M. Sekrane a affirmé que ces derniers n’avaient pas été signés durant son mandat.
Il a cependant précisé qu’il arrive souvent que «des réévaluations des montants des projets soient faites pour faire face aux entraves qui peuvent apparaître en cours de réalisation». Le juge lui a demandé s’il est possible pour de telles raisons que la réévaluation puisse «atteindre les 615 % d’augmentations». M. Sekrane répliqua : «Pas à ma connaissance. Généralement, les réévaluations tolérées sont entre 10 à 20 %.»
«J’assume la responsabilité de mes actes pas ceux des autres»
Le prévenu a essayé de convaincre le juge : «Le ministère des Finances arrête des prix qui parfois sont loin du marché. Par exemple, le prix du m3 de béton était arrêté à 10 000 DA, alors que sur le marché, il était vendu à 15 000 DA. Cela induit inévitablement une réévaluation.» Le juge lui demand : «A qui incombe cette réévaluation de 615% du montant initial ?». Le prévenu a affirmé que «c’est la responsabilité de l’ordonnateur financier qui signe le marché».
Le juge a ensuite appelé à la barre Abdelmalek Boudiaf, wali qui a succédé (2005-2010) à Tahar Sekrane, et placé en détention pour les mêmes chefs d’inculpation. Ce dernier a nié tout en bloc, précisant qu’il n’a géré que l’achèvement des travaux entamés par son prédécesseur. «J’ai été désigné par le président de la République pour résoudre les lourds problèmes auxquels était confrontée la wilaya. Je n’ai rien fait d’illégal. La réévaluation financière est une opération technique administrative. Elle intervient après inscription du projet lorsque l’enveloppe budgétaire s’avère insuffisante pour sa réalisation.
Celui qui engage cette opération est le chef du projet, le bureau d’étude et le directeur chargé du suivi du projet. J’assume ma pleine responsabilité pour des actes que j’ai moi-même commis. J’ai été désigné au mois de septembre 2005, alors que la demande de réévaluation a été faite au mois de juin. J’ai remplacé mon prédécesseur, j’assume donc le passif et l’actif. J’ai poursuivi ce qui a été entamé». Boudiaf a rejeté le grief de dilapidation de deniers publics, en assurant n’être pas membre de la commission des marchés.
Le juge l’interrogea sur le taux d’avancement des travaux, à son arrivée à la tête de la wilaya et le prévenu répondra : «Il était de 15 % et lorsque j’ai quitté mon poste en 2010, il a atteint plus de 80 %». «Qu’en est-il de l’enveloppe budgétaire ?», lui a demandé le juge auquel il a répondu en affirmant qu’ «elle était en hausse». Le juge insista sur ce point en lui demandant «combien de fois» elle a été réévaluée durant son mandat». Boudiaf a indiqué qu’elle a été revue à la hausse «deux fois». «Mon collègue avait entamé les travaux et moi j’ai assuré la poursuite», a-t-il ajouté.
Le magistrat l’a ensuite interrogé sur la sollicitation d’un deuxième bureau d’étude GART, alors que le bureau SAU était déjà en activité. «Je l’ai sollicité pour son expertise. Il nous a réglé d’énormes problèmes», a-t-il dit. Pour ce qui est du paiement des prestations de ce bureau, M. Boudiaf a rejeté tout sur «l’ordonnateur financier en sa qualité de signataire du contrat». «Vous êtes resté 5 ans à la tête de la wilaya durant lesquels il y a eu retard dans la réalisation de ce projet et une forte hausse de l’enveloppe financière qui lui a été allouée.
Qu’avez-vous à dire ?» lui a demandé le juge. «Les études n’étaient pas à la hauteur alors qu’il y avait nécessité de livrer le projet. Les retards ont été causés par le manque de financement qui a fait que les entreprises de réalisation avaient arrêté les travaux», a répondu M. Boudiaf. Le juge le relança par une autre interrogation : «Parmi les raisons de ces retards, il y a aussi ces instructions pour refaire le plafond, la dalle de sol etc. Est-ce le cas ?».
Boudiaf a démenti avoir donné des instructions dans ce sens, précisant qu’il s’agissait de travaux qui relevaient des services techniques. Le magistrat est revenu sur le recours au bureau d’étude GART. M. Boudiaf a mis en avant «les compétences de ce bureau à Ghardaïa» avant d’affirmer que «c’est pour cela que j’ai demandé de le solliciter et sans aucune arrière-pensée. Nous avons fait face à des aléas, auxquels il a fallu trouver des solutions, après nous ne nous sommes plus rencontrés».
Le juge insisté sur la flambée du coût de réalisation : «Le projet a démarré avec 440 millions de dinars et durant votre mandat, il a atteint 1,96 milliard de dinars puis dépassé les 3 milliards de dinars. Pourquoi ?». Boudiaf a affirmé que «l’enveloppe a atteint 1,6 milliard de dinars en raison des travaux supplémentaires, liés aux obstacles rencontrés sur le terrain durant la réalisation et elle a dépassé les 3 milliards de dinars après mon départ».