Les nouvelles autorités syriennes incarnées par Ahmad Al Sharaa, le chef de Hayat Tahrir Al Sham (HTS), l’organisation paramilitaire qui a été derrière la chute du régime de Bachar Al Assad, poursuivent avec détermination la reconfiguration du paysage institutionnel à Damas.
Après avoir formé un gouvernement de transition, placé sous la direction de Mohamed Al Bachir, et après avoir remplacé tous les ministres en désignant les nouveaux titulaires des différents portefeuilles, les autorités intérimaires se sont attelées à la restructuration de l’institution militaire et des corps de sécurité.
Ce samedi, le nouveau chef des Services de renseignement syriens, Anas Khattab, nommé le jeudi 26 décembre, a annoncé la dissolution des services de sécurité et leur restructuration, conformément aux nouvelles orientations de la direction politique en place.
Sous la dictature, les services de sécurité, toutes branches confondues, étaient, il faut le dire, un redoutable instrument de répression dont la mission centrale se résumait à surveiller, traquer, arrêter, torturer, exécuter et faire disparaître les opposants. Et comme dans tous les régimes dictatoriaux, ces appareils coercitifs n’étaient nullement encadrés par la loi ou une quelconque institution judiciaire. Ils étaient le visage même de l’arbitraire. La sinistre prison de Saydnaya, et les atrocités dont elle était le théâtre, est un exemple vivant de ce fonctionnement dévoyé, elle qui, comme nombre de structures pénitentiaires dans le pays, avait été transformée en zone de non-droit, ou, comme disent les Syriens, en «abattoir humain».
«Les services de sécurité ont semé la désolation dans le pays»
Dans l’ère nouvelle qui s’ouvre, l’un des grands chantiers auquel devra donc s’attaquer la nouvelle administration est la réforme en profondeur des services de sécurité de façon à les ériger en une institution digne d’un Etat de droit, débarrassée de cet héritage barbare. «Notre peuple digne a beaucoup souffert, toutes confessions et toutes communautés confondues, de l’injustice et de la tyrannie du régime précédent, par l’intermédiaire de ses divers services de sécurité qui ont semé la désolation dans le pays et infligé des tragédies à la population», a déclaré le nouveau patron des services syriens. «Par la grâce de Dieu, ajoute-t-il, la révolution syrienne bénie a triomphé après 13 ans de sacrifices.»
«Les services de sécurité de l’ancien régime variaient en termes de nom et d’affiliation, mais ils partageaient tous un dénominateur commun, à savoir le fait d’avoir été un instrument de répression au-dessus de la tête du peuple opprimé, et ce, pendant plus de cinq décennies. Aucun de ces services n’a rempli le rôle qui lui avait été assigné, qui était d’assurer la sécurité et la sûreté.»
Et Anas Khattab d’annoncer : «L’institution sécuritaire sera réformée après la dissolution de toutes les branches des services de sécurité. Elle sera restructurée de manière à ce qu’elle soit digne de notre peuple, de ses sacrifices et de son histoire séculaire.» «Nous félicitons notre grand peuple pour cette victoire bénie, et nous lui promettons que nous serons aux côtés des autres institutions et ministères, et nous travaillerons la main dans la main pour entamer la bataille de la construction et du développement (de notre pays)», a assuré le nouveau chef des services de renseignement.
M. Khattab a fait savoir, par ailleurs, que la nouvelle administration se dressera avec fermeté contre les «criminels qui tentent de saper les acquis de la Syrie». Il vise en particulier les «fouloul», autrement dit les «sbires» du régime honni que les nouvelles autorités traquent et combattent avec acharnement depuis quelques jours, ce qui a donné lieu à des accrochages meurtriers à Tartous, Homs ou encore Lattaquié, et la saisie d’importants lots d’armes.
«Plus de 300 membres de l’ancien régime arrêtés»
Selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), plus de 300 hommes armés, liés probablement aux milices fidèles à Bachar Al Assad, ont été arrêtés ces derniers jours. «En moins d’une semaine, près de 300 personnes ont été interpellées à Damas et sa banlieue, dans les régions de Homs, Hama, Tartous, Lattaquié et même Deir Ezzor», a indiqué hier à l’AFP Rami Abdel Rahmane, directeur de l’OSDH. L’Observatoire a précisé en outre sur son site officiel que «le Commandement des opérations militaires poursuit ses campagnes sécuritaires intensives dans un certain nombre de gouvernorats syriens, notamment Homs, Damas, Rif Dimashq, Alep, Tartous, Lattaquié et Deir Ezzor, en ciblant les personnes impliquées dans des crimes et des violations des droits de l’homme à l’encontre du peuple syrien pendant le règne de Bachar Al Assad».
La même source affirme que ces campagnes d’arrestation ont visé des «anciens officiers, des membres du personnel de sécurité, des indicateurs qui ont contribué à l’arrestation de nombreux Syriens, et des personnes qui ont commis des violations sous la protection du régime déchu».
L’Observatoire syrien des droits de l’homme continue à documenter scrupuleusement les crimes commis sous la dictature du clan Al Assad. Depuis l’effondrement du régime alaouite, l’OSDH a réussi à collecter des informations sur le sort d’un grand nombre de disparus et est arrivé à documenter jusqu’à maintenant quelque «10 885 détenus morts sous la torture».
L’ONG affirme détenir une liste nominative des victimes. Au total, «depuis le début de la révolution syrienne en 2011, l’Observatoire syrien des droits de l’homme a documenté la mort de 59 725 personnes nommément désignées à l’intérieur des prisons, sur plus de 105 000 personnes dont l’Observatoire a appris qu’elles avaient péri à l’intérieur de ces centres de détention», déclare l’OSDH.
«Saydnaya a dépassé les limites de la description»
«Avec le déclenchement de la révolution syrienne en 2011, l’ancien régime a lâché ses services de sécurité (contre le peuple), procédant à des campagnes d’arrestations aveugles contre tous ceux qui osaient élever la voix contre l’injustice, femmes comprises, et même les enfants et les personnes âgées n’ont pas été épargnés.
Les centres de détention ont été ainsi remplis de centaines de milliers d’innocents», note l’Observatoire syrien des droits de l’homme dans une publication diffusée hier via son site officiel. Et de souligner : «Les prisons de l’ancien régime étaient un véritable cauchemar.
Les détenus étaient confrontés aux pires supplices. Ils étaient soumis à toutes les formes de torture, physique et psychologique : coups violents, chocs électriques, arrachage d’ongles, privation de nourriture et de sommeil… Autant de méthodes que le régime utilisait pour briser la volonté des détenus.
Mais la prison de Saydnaya a dépassé les limites de la description. Elle a été surnommée ‘‘l’abattoir humain’’. Les photos récentes qui ont surgi de cette prison après la chute du régime et la fuite de Bachar Al Assad le 8 décembre montrent des corps mutilés par la torture, témoignant de l’atrocité des crimes commis.»
L’Observatoire syrien des droits de l’homme affirme par ailleurs que le régime syrien, sous Al Assad, s’appliquait à détruire les preuves de ses monstruosités. «Non content de torturer les détenus à mort, le régime a eu recours à des méthodes épouvantables pour dissimuler les preuves de ses crimes. Ces méthodes comprenaient l’élimination des corps au moyen de presses en fer dans lesquelles les corps étaient écrabouillés. Ou leur dissolution à l’aide d’acide.
Ces crimes, commis derrière les murs des centres pénitentiaires, montrent l’ampleur de la brutalité des services de sécurité et leurs efforts constants pour dissimuler les traces des assassinats de masse qui ont touché des dizaines de milliers de Syriens.» Et l’OSDH d’appeler la communauté internationale à «prendre des mesures urgentes et concrètes pour s’assurer que les auteurs des crimes de torture et de meurtre sous la torture commis par l’ancien régime répondront de leurs actes». Mustapha Benfodil
Rifaat al Assad s’est enfui depuis l’aéroport de Beyrouth
Rifaat Al Assad, surnommé le «boucher de Hama», a pris un avion depuis l’aéroport de Beyrouth après la chute de son neveu, le président syrien déchu Bachar Al Assad, a indiqué avant-hier une source de sécurité libanaise.
L’ancien chef des forces d’élite du régime de Hafez Al Assad, aujourd’hui âgé de 87 ans, est accusé par le parquet fédéral suisse d’avoir «ordonné des meurtres, des actes de torture, des traitements cruels et des détentions illégales». Ces «crimes de guerre et crimes contre l’humanité» commis en 1982, lors de la sanglante répression d’une insurrection d’islamistes à Hama, ont fait entre 10 000 et 40 000 morts.
Rifaat Al Assad est arrivé au Liban par voie terrestre et «a pris un vol depuis l’aéroport de Beyrouth normalement, car il n’y avait aucune notice d’Interpol le concernant», a indiqué à l’AFP la source de sécurité. Il n’était pas recherché par la Sécurité générale au Liban et aucun autre mandat ne justifiait son arrestation, a précisé cette source qui a requis l’anonymat.
Rifaat Al Assad, qui était «en possession d’un passeport diplomatique», a quitté le Liban il y a une semaine environ, a ajouté cette source, sans préciser sa destination.
Bouthaïna Chaabane, l’ancienne traductrice de Hafez Al Assad et principale conseillère politique du fils, a elle aussi réussi à prendre un vol à l’aéroport de Beyrouth, avec un passeport diplomatique, selon la même source.L’un de ses amis à Beyrouth avait indiqué à l’AFP qu’elle s’était rendue au Liban dans la nuit du 7 au 8 décembre, avant de rejoindre Abou Dhabi.
Rifaat Al Assad avait quitté la Syrie en 1984 après une tentative ratée de coup d’Etat contre son frère Hafez. Se présentant comme un opposant à Bachar Al Assad, il avait passé 37 ans d’exil en France, avant de rentrer en Syrie en 2021 pour échapper à une condamnation à quatre ans de prison qui lui avait été infligée en France pour «blanchiment en bande organisée et détournement de fonds publics syriens». Mi-décembre, des médias suisses avaient révélé que le tribunal pénal fédéral avait informé les parties civiles, des victimes, qu’il envisageait de «clore la procédure» concernant Rifaat Al Assad. Selon le tribunal, il souffrirait de maladies l’empêchant de voyager et de participer à son procès, ont rapporté Le Matin Dimanche et SonntagsZeitung. AFP