Accusé d’avoir utilisé l’histoire d’une rescapée de la décennie noire : Kamel Daoud visé par deux plaintes

23/11/2024 mis à jour: 16:01
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Me Fatima Benbrahamet Saâda Arbane, la survivante d’un massacre perpétré par les terroristes

La littérature a toujours flirté avec la frontière entre réalité et fiction. Mais lorsque la réalité invoquée devient une accusation judiciaire, la controverse dépasse les cercles littéraires pour embraser le débat public. Le tribunal d’Oran a accepté deux plaintes déposées contre l’écrivain Kamel Daoud et son épouse, la psychiatre Aïcha Dahdouh. 

Au cœur de l’affaire, le roman Houris, récompensé par le prestigieux Prix Goncourt 2024, avec cette question : l’œuvre a-t-elle exploité, sans consentement, l’histoire tragique d’une rescapée d’un massacre perpétré dans les années 1990 ? Deux plaintes ont été déposées contre Kamel Daoud et son épouse qui a soigné Saâda Arbane, victime du terrorisme. 

La première plainte émane de Saâda Arbane qui les accuse d’avoir utilisé son histoire sans son consentement, et une autre de l’Organisation nationale des victimes du terrorisme. Saâda Arbane, survivante d’un massacre perpétré par des terroristes durant la décennie noire, accuse Kamel Daoud d’avoir tiré de son histoire personnelle la matière première de son roman. 

Soutenue par son avocate Fatima Benbraham, Arbane affirme que son histoire – et ses blessures – ont été dévoilées par l’intermédiaire de la femme de l’écrivain, qui l’a suivie en consultation psychiatrique. «Nous avons payé les frais de justice, ce qui signifie que le parquet (d’Oran) a accepté la plainte», a déclaré Me Benbraham devant la presse jeudi dernier à Alger, prévoyant une convocation prochaine. 

La plainte se réfère notamment à l’article 46 de la loi sur la réconciliation nationale, qui prévoit jusqu’à cinq ans de prison pour «toute personne qui, par ses déclarations, ses écrits ou toute autre action, exploite les blessures de la tragédie nationale». 

Selon la plaignante, des détails intimes présents dans le livre – une canule respiratoire, des cicatrices laissées par une tentative d’égorgement, des souvenirs douloureux liés à sa famille et même des aspects de sa vie professionnelle – ne peuvent provenir que de ses confidences thérapeutiques. Pour Saâda, qui s’était exprimée dans une interview télévisée, cette divulgation constitue non seulement une violation flagrante du secret médical, mais aussi une trahison de confiance. Le parquet d’Oran a accepté la plainte, mais l’incertitude plane quant à une éventuelle comparution de l’écrivain et de sa femme. 

En cas de refus de se présenter, un jugement par contumace pourrait être prononcé. L’affaire devra, selon Me Benbraham, être traitée en Algérie, par le tribunal d’Oran. Me Benbraham affirme à ce propos :
«C’est le pèlerin qui va à La Mecque, ce n’est pas La Mecque qui va au pèlerin. Daoud doit venir répondre de ses actes à Oran. Nous sommes en train de croiser le fer avec Daoud. Aura-t-il le courage de venir démentir ce que dit ma cliente ?» Elle s’adresse directement à Daoud en ces mots : «Tu peux rentrer, tu n’as aucunement une tendance politique pour laquelle tu as été poursuivi, ton casier judiciaire est vierge, tu n’es pas réprimé politiquement ni toi ni ta femme, alors venez vous expliquer ici et puis on verra. Entre nous, il y aura le prétoire pour nous réunir sans jamais nous unir.» 

L’avocate a affirmé, par ailleurs, avoir demandé au parquet d’enquêter sur la disparition du dossier médical de sa plaignante, ajoutant que le code pénal condamne la violation du secret professionnel. «Ma cliente a montré ses blessures et raconté ses meurtrissures à son médecin, psychiatre et épouse de Kamel Daoud, mais elle a été piégée par celle-ci. Ce petit appareil (canule similaire à celui qui est décrit dans Houris, ndlr) par lequel elle respire. Il n’y en a pas 50 000 en Algérie, il n’y en a qu’un seul, et c’est elle qui le porte. Que s’est -il passé ? La femme de Daoud a pris son secret, parce qu’elle était sa patiente et a donné le dossier à son mari, ce qui constitue une violation du secret médical. Cela, elle ne peut le nier, car les certificats médicaux portent son nom et elle va devoir s’expliquer devant le juge d’instruction», déclare Me Benbraham qui souligne qu’on ne «peut construire sa gloire sur le malheur des faibles». Pour l’avocate, le livre Houris repose sur «supercherie», précisant que le règlement du concours interdit les œuvres basées sur des faits réels identifiables si cela compromet des individus. «Dès lors qu’on touche à une personne qu’on peut identifier comme c’est le cas de ma cliente, le roman ne peut être éligible au prix Goncourt.» 

«Kamel Daoud a utilisé le drame de la victime pour obtenir la gloire. C’est une violation de l’honneur et de la dignité de ma cliente.» 

Face à ces accusations, Kamel Daoud n’a pas encore répondu publiquement. Son éditeur, Antoine Gallimard, a toutefois pris sa défense en dénonçant de «violentes campagnes diffamatoires orchestrées par certains médias proches d’un régime dont nul n’ignore la nature». «Si Houris est inspiré de faits tragiques survenus en Algérie durant la guerre civile des années 1990, son intrigue, ses personnages et son héroïne sont purement fictionnels», affirme Antoine Gallimard dans un communiqué. 

Et de poursuivre : «Après l’interdiction du livre et de notre maison d’édition au Salon du livre d’Alger, c’est au tour de son épouse, qui n’a aucunement sourcé l’écriture de Houris, d’être atteinte dans son intégrité professionnelle.» 

L’affaire divise profondément la scène intellectuelle, déjà marquée par les prises de position souvent controversées de Kamel Daoud sur des sujets tels que la religion, la place de la femme ou l’identité algérienne. Ses partisans louent son audace littéraire, tandis que ses détracteurs dénoncent ce qu’ils perçoivent comme une instrumentalisation des drames algériens pour séduire un lectorat français. 
 

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