Froid et imperturbable, le secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken, a exposé, mardi soir dans un long discours, la politique de l’administration sortante de Joe Biden, à moins d’une semaine de sa fin de mandat.
Devant un parterre de personnalités, membres et invitées du Conseil Atlantique, un des plus importants think tanks américains, spécialisé dans les relations internationales où se rencontrent des leaders internationaux dans les domaines politiques, d’affaires et intellectuels, le secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken, a levé le voile sur la politique de l’administration sortante Joe Biden au Moyen-Orient, particulièrement sur l’accord de cessez-le-feu à Ghaza, et l’avenir immédiat de l’enclave et de la Palestine.
Mais, durant le premier quart d’heure de son discours, des voix se sont élevées du milieu et de l’arrière de la salle à trois reprises, l’accusant de «complicité de génocide». «Tu seras à jamais connu comme Blinken le sanguinaire, secrétaire du génocide», a crié un des présents avant d’être conduit hors de la salle par le service d’ordre. Blinken poursuit son exposé, vite interrompu quelques minutes après par un autre intervenant. «Vous êtes un criminel de guerre brutal», a-t-il lancé.
Imperturbable, le responsable lui répond avec un sourire narquois : «Je respecte vos opinions. Permettez-moi de partager les miennes.» L’intervenant continue à l’accuser de «criminel de guerre», jusqu’à ce que le service d’ordre le fasse sortir de la salle. Après un silence de quelques secondes, Blinken a repris son discours, là où il a été interrompu, à savoir la politique de Biden, de l’après-guerre à Ghaza.
Il s’en prend à «la stratégie de guerre» israélienne et sa «persistance dans le rejet» de l’Autorité palestinienne, «le refus d’inclure Ramallah» dans le plan du «jour d’après guerre» et «d’élaborer un plan» pour «l’administration de Ghaza, en remplacement du Hamas» qui, selon lui, «a recruté autant de combattants qu’il en a perdu au cours de la guerre de 15 mois». L’administration sortante, a-t-il souligné, va remettre «sa feuille de route à l’équipe du président élu Donald Trump pour qu’elle la reprenne, si un accord de cessez-le-feu est conclu, car, a-t-il révélé, Israël et le Hamas semblent être sur le point de parvenir à un tel accord».
A en croire le chef de la diplomatie sortant, il «envisage que l’Autorité palestinienne invite des partenaires internationaux à aider à établir et à diriger une administration intérimaire responsable des secteurs civils clés à Ghaza, tels que les banques, l’eau, l’énergie, la santé et la coordination civile avec Israël».
Sans aucune précision qui permet de comprendre le financement de l’étape, le responsable a affirmé juste que c’est «la communauté internationale qui fournirait un financement, un soutien technique et une supervision à cette administration intérimaire à Ghaza», tout en évoquant «un panel intérimaire» qui serait, d’après lui, «constitué en consultation avec les communautés de Ghaza et qui devrait inclure des représentants de la bande de Ghaza ainsi que des représentants de l’Autorité palestinienne.
Le comité travaillerait en étroite collaboration avec un haut responsable de l’ONU (sans le nommer ou nommer sa fonction, ndlr), chargé de superviser l’effort international de reconstruction de Ghaza». Ce «comité temporaire», a-t-il expliqué, «serait remplacé par une Autorité palestinienne réformée dès que cela sera possible».
Pour le volet sécurité, il a envisagé «une mission de sécurité intérimaire composée de troupes des pays alliés des Etats-Unis et de personnel palestinien agréé», qui «sera chargée de sécuriser l’aide humanitaire, de sécuriser les frontières et de prévenir la contrebande». Selon Blinken, «certains alliés des Etats-Unis ont déjà exprimé leur volonté de contribuer en forces de sécurité à la mission intérimaire, mais ils ont conditionné ce soutien à l’acceptation par Israël de permettre à la Cisjordanie et à Ghaza d’être réunies sous une Autorité palestinienne réformée, dans le cadre d’une voie vers une solution à deux Etats».
La solution à laquelle Israël s’est fortement opposé officiellement et à plusieurs reprises. Le secrétaire d’Etat sortant a d’autre part souligné que le plan de l’administration Biden prévoit aussi que les USA «mettent en œuvre une nouvelle initiative pour former, équiper et contrôler une force de sécurité dirigée par l’Autorité palestinienne pour Ghaza, qui prendrait progressivement en charge la mission de sécurité intérimaire. Ces différents processus de gouvernance, de reconstruction et de sécurité de Ghaza seraient inscrits dans une résolution du Conseil de sécurité de l’Onu».
«Je crois que nous obtiendrons un cessez-le-feu»
Abordant les négociations en cours pour un cessez-le-feu et un accord de libération des otages, Blinken a déclaré que les médiateurs américains, qataris et égyptiens ont soumis dimanche une proposition finale d’accord sur les otages à Israël et au Hamas, laissant entendre que le groupe terroriste n’a pas donné de réponse.
Abordant la question de l’accord pour un cessez-le-feu à Ghaza en échange de la libération des otages israéliens et des prisonniers palestiniens, Blinken a surpris en déclarant que «la balle est désormais dans le camp du Hamas. Si le Hamas accepte, l’accord est prêt à être conclu et mis en œuvre», avant de préciser qu’Israël «avait déjà accepté». Pourtant, hier, le bureau même de Netanyahu ainsi que le Hamas ont démenti ses propos. Il s’avère que c’est Israël, qui n’a toujours pas remis sa réponse.
Le secrétaire d’Etat américain s’est quand même montré serein quant au résultat des pourparlers. «Je crois que nous obtiendrons un cessez-le-feu», a-t-il déclaré, ajoutant : «Nous y parviendrons dans les derniers jours de notre mandat ou après le 20 janvier, l’accord suivra de près les termes de l’accord que le président Biden a proposé en mai dernier et que notre administration a rallié au reste du monde (…).» Selon lui, les responsables américains avaient débattu «vigoureusement» «la réponse» de l’administration Biden à la guerre, faisant certainement référence, sans le dire directement, aux violentes critiques du soutien de l’administration Biden à la guerre génocidaire menée par Israël et les démissions qu’il a suscitées parmi certains hauts fonctionnaires en signe de protestation.
Blinken a évoqué d’autres critiques, qui, selon lui, «estiment que Washington empêche Israël d’infliger davantage de dommages à l’Iran et à ses mandataires (…) Il est crucial de poser des questions comme celles-ci, qui seront étudiées pendant des années (…) J’aimerais pouvoir vous dire aujourd’hui avec certitude que nous avons pris toutes les bonnes décisions. Je ne peux pas».
Une réponse qui s’apparente à une sorte d’aveu d’impuissance ou de regret. Il s’est attaqué néanmoins à la stratégie israélienne, en disant que le «refus» du Premier ministre Netanyahu «de proposer une alternative viable au régime de Hamas à Ghaza, comme l’Autorité palestinienne, a conduit l’armée israélienne à retourner à plusieurs reprises dans des endroits de la bande de Ghaza qu’elle avait précédemment débarrassés des combattants du Hamas qui ont ensuite réussi à revenir (…) Nous avons depuis longtemps fait comprendre au gouvernement israélien que le Hamas ne peut pas être vaincu par une seule campagne militaire, que sans une alternative claire, un plan post-conflit et un horizon politique crédible pour les Palestiniens, le Hamas, ou quelque chose d’aussi odieux et dangereux, renaîtra».