29 Mars 1956 : Il y a 66 ans la grande rafle meurtrière de Constantine

03/04/2022 mis à jour: 06:18
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Constantine, jeudi 29 mars 1956. Une date rappelant beaucoup de choses aux nombreux Constantinois encore en vie, qui étaient témoins de l’époque. Par cette journée de printemps, la population ne se doutait guère qu’elle allait vivre l’une des périodes noires dans l’histoire de la ville en cette guerre de libération nationale.

Tout a commencé vers 9h30, quand des unités militaires avaient encerclé les places publiques de la ville près des quartiers arabes, cernant les artères principales de la rue de France (actuelle 19 juin 1965), la rue Nationale (actuelle Larbi M’hidi), mais aussi celle menant de Bab El Oued (place du 1er Novembre) jusqu’au pont de Sidi Rached.

La Dépêche de Constantine avait rapporté les détails de cette opération qui annonçait la plus importante rafle jamais connue par la ville, ciblant des milliers de citoyens, emmenés par des camions militaires et rassemblés sur la place située en face au commissariat central du Coudiat, et même sur les rampes menant vers ce quartier.

Des hommes entassés à même le sol attendaient la procédure de vérification d’identité qui s’est poursuivie jusque tard dans la nuit de jeudi 29 à vendredi 30 mars 1956.

Un véritable ratissage a été opéré maison par maison dans les vieux quartiers de la ville, situés dans le périmètre de la rue de France, la rue Nationale et jusqu’à la place de la Brèche, où tous les commerçants avaient fermé boutique. Même les unités de réserve de l’armée ont été appelées dans l’après-midi.

Bien avant, dans matinée de ce jeudi 29 mars 1956, des informations circulaient déjà sur l’assassinat du commissaire principal Jean Sammarcelli, chef du 2e arrondissement de la police d’État, par un fidaï de l’organisation du FLN à Constantine. Un assassinat spectaculaire puisqu’il est survenu au moment où les autorités françaises avaient annoncé le démantèlement total du réseau de Constantine.

Pour l’histoire, Jean Sammarcelli est né en 1900 à Loreto-di-Casinca en Corse. Ayant débuté une carrière militaire dans l’infanterie, il avait choisi le corps de la police où il avait été commissaire de police à Tiaret, Bejaia, Tébessa, et Saint Eugène à Alger, avant de rejoindre son poste à Constantine en 1943. Il s’agissait surtout d’une personnalité très connue et très influente dans la ville.

Elle savait parfaitement tout ce qui se passait dans ses quartiers, selon les témoignages de vieux Constantinois. Certains affirmaient qu’il parlait couramment l’arabe. Sammarcelli habitait un appartement dans un immeuble situé au boulevard Carnot (actuel boulevard de la Liberté) dans le quartier du Coudiat, se trouvant juste à proximité du Musée Cirta et non loin du Commissariat central, inauguré deux mois plus tôt.

Il avait l’habitude de quitter son domicile chaque matin pour aller à pied jusqu’au siège du commissariat situé à la place des Galettes (Rahbet Essouf), en passant par la rue de France (actuelle rue du 19 juin 1965).

Mais ce jour-là, Sammarcelli décida de changer d’itinéraire. Il quitta la rue de France, pour descendre la rue Sidi Lakhdar, et rejoindre la rue Combes (actuelle rue Kadid Salah dans le quartier de Djezzarine). Arrivé au sabbat menant vers Rahbet Essouf, il reçut dans le dos des balles d’un revolver de calibre 7,65 mm.

Selon La Dépêche de Constantine du vendredi 30 mars 1956, le tueur a pris la fuite en direction de la rue Bleue qui descend vers l’ex-rue Vieux (actuelle rue Amar Rouag), et débouche sur la rue Georges Clemenceau (rue Larbi Ben M’hidi). Évacué, Sammarcelli est mort sur la route vers l’hôpital. Son assassinat fut un coup très dur pour les autorités françaises.

Une fois l’alerte donnée, une gigantesque opération de police fut engagée dans tout le centre-ville. Selon des témoignages d’anciens membres de l’organisation FLN-ALN à Constantine, l’attentat contre Sammarcelli a été l’œuvre de trois personnes.

Il s’agit d’Amar Zermane, chef du groupe, originaire de Djebel Ouahch, Amar Benayache, dit Chemin de fer habitant Sidi Mabrouk (celui qui a tiré sur le commissaire) et Hocine Benabbes, habitant la cité Ameziane. L’attentat est survenu en réponse au démantèlement du réseau du Fida à Constantine au mois de novembre 1955.

Les trois auteurs ont été condamnés à mort par contumace par le tribunal militaire de Constantine. Amar Benayache et Hocine Benabbes sont tombés au maquis en 1956 et 1957, quant à Amar Zermane, il est décédé dans les années 2000.

Tueries dans la ville et représailles sanglantes

Selon les versions rapportées d’après des témoignages de Constantinois ayant vécu ces évènements, et dès l’annonce de l’attentat contre son père, le fils du commissaire Sammarcelli, parachutiste stagiaire à l’époque, avait pris l’arme et a commencé à tuer des civils.

Sa première victime a été abattue sur les escaliers reliant le Coudiat à l’ex-rue Petit (actuelle rue Bouderbala). Il tuera une deuxième personne et blessera six autres. Il réussira plus tard à quitter Constantine sans être inquiété.

Durant la nuit, des groupes de l’organisation La main rouge ont enlevé et tué plusieurs personnes soupçonnées d’avoir des relations avec le FLN. On citera entre autres Ladjabi Mohamed-Tahar, Kechid dit Boucherit, et l’écrivain Ahmed Redha Houhou enlevé à son domicile le 29 mars 1956.

Ce dernier était parmi les victimes les plus connues de cette tuerie. Né en 1910 à Biskra, il était un homme de culture proche de l’Association des Ulémas. Il fut directeur de la medersa El Tarbia oua el Ta’alim à Constantine avant d’assurer le secrétariat de l’Institut Benbadis. Connu pour ses activités militantes, il était très surveillé par les services de la police.

Reda Houhou est considéré comme étant le père du roman moderne algérien en langue arabe. Il est l’un des fondateurs de la troupe El Mizhar El Qacentini qui se produit régulièrement au théâtre de Constantine et sa région.

Son corps ainsi que ceux de sept autres ont été découverts en 1970 dans un charnier lors de l’ouverture du chantier du complexe de la Sonacome, sur un ancien camp d’aviation d’Oued Hamimime. Il s’agissait de huit personnes enlevées et tuées dans la nuit du 29 au 30 mars 1956.

Le nombre exact des victimes de ces tueries ne sera pas connu, alors que l’on avance le chiffre de 300 personnes. La plupart de ces victimes demeurent encore anonymes, alors que les évènements du 29 mars 1956 à Constantine semblent sombrer dans l’oubli faute d’un véritable travail de transmission de la mémoire collective. 

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