19 mars 1962 / 19 mars 2025 : Les Accords d'Evian, la fin de la brutalité coloniale

19/03/2025 mis à jour: 05:25
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Quand une nation n’a plus le recul nécessaire pour juger la moralité de ses actions, elle restera enfermée dans son arrogance ou sa supposée supériorité. Elle sombrera dans l’anesthésie morale et fera le deuil de toute résonance affective aux notions de bien et de mal. C’est la Nostalgérie ! HSL

Au déclenchement de la guerre d'indépendance, le 1er Novembre 1954, les revendications algériennes, prônées par le FLN, exigeaient du gouvernement français l'ouverture de négociations entre les deux parties, sans conditions préalables, en vue de l'indépendance de l'Algérie. 

La réponse du ministre de l'Intérieur d’alors, François Mitterrand, fut résumée ainsi par la presse : «La seule négociation, c'est la guerre !» Pourtant, la position française s'infléchit et le gouvernement de la République française négociera d’égal à égal avec le FLN des Fellagas ! Bien sûr, la diplomatie de guerre menée par les vaillants militants nationalistes (en particulier l'internationalisation de la question algérienne), conjuguée aux sacrifices des combattants de l’ALN, ont fait plier par petites étapes la politique du général de Gaule pourtant arrivé au pouvoir pour sauver «l'Algérie française». 

Mais deux événements majeurs, qui se sont développés en mars 1957, méritent d’être rappelés car ils se sont déroulés en plein Bataille d’Alger. Ils permettront, vue l’actualité, à ceux qui ont fermé un œil pour viser et tirer sur l’Algérie d’ouvrir les deux yeux pour voir la réalité dans sa globalité : l’Algérie est là, déterminée et souveraine. 

Le premier événement est un un article retentissant intitulé «Sommes-nous les vaincus de Hitler ?» et signé de son pseudonyme, Sirius, Hubert Beuve-Méry, directeur du quotidien Le Monde et du mensuel Le Monde Diplomatique, présente le 13 mars 1957 le livre Contre la torture de Pierre-Henri Simon (Seuil) et écrit : «Dès maintenant, les Français doivent savoir qu'ils n'ont plus tout à fait le droit de condamner dans les mêmes termes qu'il y a dix ans les destructions d'Oradour et les tortionnaires de la Gestapo. «Une dizaine de jours après, le 24 mars, le secrétaire général de la préfecture d'Alger, Paul Teitgen, ancien déporté, se démet de ses fonctions : «Je n'ai jamais eu le cynisme et je n'ai plus la force d'admettre ce qu'il est convenu d'appeler des "bavures"», écrit-il dans sa lettre de démission au ministre résidant en Algérie, Robert Lacoste. S’en suivit le Manifeste des 121 regroupant 121 écrivains, universitaires et artistes français, parmi lesquels Simone de Beauvoir, André Breton, Marguerite Duras, Claude Lanzmann, Jean-Paul Sartre, Vercors et Pierre-Vidal Naquet pour «informer par des critiques très acerbes, l'opinion nationale française et internationale de la réalité de la guerre d'Algérie». Ils soutenaient fermement le peuple algérien dans sa lutte pour son indépendance : «La population algérienne opprimée ne cherche qu'à être reconnue comme communauté indépendante.»

Le deuxième événement vient de la Suisse. Le 23 mars 1957 exactement, le Procureur de la Confédération suisse, René Dubois, empêtré dans une sale affaire d'espionnage, se tire une balle dans la tête. Ce haut fonctionnaire du pouvoir judiciaire fédéral suisse avait remis au colonel Marcel Mercier, des services secrets français (qui se faisait passer pour un agent commercial de l'ambassade de France en Suisse), des renseignements confidentiels : résultats d'écoutes téléphoniques échangées entre la Mission égyptienne en Suisse et le ministère des Affaires étrangères égyptien, canal par lequel passaient nombre de communications entre responsables du FLN, ainsi que des rapports confidentiels sur des militants algériens, des fournisseurs d'armes du FLN et des mouvements d'argent au bénéfice de la Révolution algérienne. C’est l’ancienne secrétaire de de Gaulle à Londres, Elisabeth Miribel, qui a révélé cette affaire indigne et scandaleuse à La Tribune de Genève.

L'affaire ébranle la diplomatie officielle et l'opinion publique suisses. Le scandale est énorme. Les multiples et profondes relations de bon voisinage franco-suisses en prennent un coup. Désormais, les Suisses auront des positions moins défavorables à la cause algérienne et des journalistes, à l'image de Charles-Henri Favrod de La Gazette de Lausanne, Marie Madeleine Brumagne et leur collègue de la radio Jean-Pierre Goretta souligneront la réalité d'une guerre d'indépendance que la thèse officielle française s'efforce de réduire à du terrorisme et du banditisme. Le chef de la diplomatie suisse, Max Petitpierre, déclare : «Des atrocités sont commises, on recourt à la torture ; la population civile n’est pas épargnée. En France même, au cours de ces dernières années, l’opinion publique s’est alarmée. Nous n’avons pas à porter de jugement sur la guerre d’Algérie. Mais nous devons condamner tous les actes contraires aux règles de l’humanité qui se commettent…» La messe est dite.


De la «Paix des braves» aux balbutiements des premiers pourparlers

Le déclenchement de la lutte armée le 1er Novembre 1954 entraîne une longue série d'horreurs et d'atrocités. Dès l'année 1956, plusieurs tentatives, pour mettre fin, à cette guerre sont entreprises au nord et au sud de la Méditerranée, mais se heurteront à l'imbroglio des obstacles et des passions.

La constitution et la proclamation du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA), le 19 septembre 1958, sonnait la restauration de la souveraineté algérienne. Une trentaine de pays reconnurent le GPRA qui développera une politique extérieure très efficace et convaincante. «La diplomatie du FLN (…) réussit non seulement à internationaliser le problème algérien, mais à obtenir une aide financière, militaire et politique qui contraignit la France à négocier», notait Charles-Robert Ageron. Cette diplomatie de guerre maintiendra ainsi une pression internationale qui obligera le général de Gaulle à une évolution graduelle : le 23 octobre 1958, il ‘‘offre'' sa «paix des braves», ensuite il se prononce pour l'autodétermination de l'Algérie le 16 septembre 1959. 

Le 14 juin, il parle de l'«Algérie algérienne» et encourage des entretiens avec des représentants du FLN à Melun du 24 au 29 juin 1960, mais qui aboutissent à un échec. Le 4 novembre 1960, il finit par évoquer la «République algérienne». Un mois plus tard, le 11 décembre 1960, ce sont les Algériens qui investissent la rue et démontrent magistralement aux autorités coloniales, d'abord, et à l'opinion internationale que le peuple réclame l'indépendance et que le FLN était son seul et unique représentant. 

Cent douze morts et des centaines de blessés, c'était le bilan des victimes de cet événement majeur, qui aboutira à l'adoption par l'ONU de la résolution afro-asiatique reconnaissant le droit à l'autodétermination du peuple algérien. L'ouverture des négociations franco-algériennes s'impose, mais la France s'obstine à ne reconnaître de légitimité ni au FLN ni au GPRA. Elle négociera donc secrètement en cherchant un médiateur neutre et discret.


Le test de la crédibilité

Au mois d'avril 1959, le président du GPRA, Ferhat Abbas, qui croit savoir que le général de Gaulle serait favorable à des négociations qui pourraient avoir lieu en Suisse ou en Espagne, manifeste le souhait de rencontrer un diplomate suisse au Caire.

Jean-Louis Pahut, ambassadeur suisse en Egypte, délègue un de ses collaborateurs qui rencontre Ferhat Abbas. Ce dernier explique sa préférence pour la Suisse, «car il a une grande confiance dans les services suisses de sécurité ainsi que dans les dispositions que les autorités helvétiques prendraient pour assurer à cette rencontre le secret nécessaire».

Pour rappel, le président du GPRA avait séjourné à plusieurs reprises en suisse, y compris pour des raisons familiales, sans y être inquiété.

Fin 1960, un avocat du barreau de Genève, Me Nicolet et le secrétaire général de l'Association internationale des juristes, Me Lalive, contactent le représentant du GPRA à Rome, Tayeb Boulahrouf, qui avait auparavant séjourné à Lausanne. Ils lui demandent d'intercéder auprès du chef du gouvernement guinéen, Ahmed Sékou Touré, afin d'obtenir la libération d'un ressortissant suisse. Sékou Touré intercède favorablement à la sollicitation du GPRA et finit par libérer le prisonnier. 

La crédibilité des Algériens chez les Suisses n'est plus à démontrer. C'est ainsi que Me Nicolet fait des démarches à Berne et arrive à faire rencontrer Tayeb Boulahrouf, représentant du FLN, avec Olivier Long le 23 décembre 1960.
 

Le diplomate suisse, O. Long, enchanté par la franchise et la sagesse de son interlocuteur transmet à ses amis français la proposition algérienne. Avec l'accord du chef du DPF, M. Petitpierre, Olivier Long rencontre secrètement Louis Joxe, ministre d'Etat chargé des affaires algériennes. 

Ce fut le 10 janvier 1961 à Paris. Il faut signaler que le diplomate suisse entretien des relations personnelles avec L. Joxe qui remontent à plusieurs années et se fondent même sur des liens familiaux.

Au mois de février 1961, deux rencontres en terre suisse auront lieu. La première à Genève entre Claude Chayet, haut fonctionnaire du ministère français des Affaires étrangères et Saad Dahleb, chef de la diplomatie du GPRA. 

La deuxième, le 20 février, Georges Pompidou et Bruno de Leusse (directeur au ministère des Affaires étrangères et détaché auprès de Louis Joxe) délégués par de Gaulle, discutent à Lucerne avec Tayeb Boulahrouf et Ahmed Boumendjel. 

Ils se retrouveront encore une fois le 5 mars 1961 à Neuchâtel. Olivier Long et son compatriote G. Bucher se chargent de la sécurité et du secret des entretiens, sans toutefois participer à la rencontre. Leur intervention se limitera, après avoir entendu séparément les deux belligérants, à la formulation des propositions pour surmonter les obstacles, dissiper les méfiances et ouvrir la possibilité de négociations politiques.


Des rencontres clandestines aux négociations officielles

Ainsi et dans le cadre de la facilitation des pourparlers algéro-français, l'ambassade suisse à Tunis est destinataire, en date du 20 mars de la même année, d'un télégramme secret du DPF «pour adopter une attitude compréhensive vis-à-vis des membres du GPRA et de renoncer à exiger des renseignements précis sur les motifs et les dates des voyages des personnes dont le GPRA prend la responsabilité».

De rencontres secrètes en négociations officieuses, la France et le GPRA finissent par accepter de négocier officiellement à partir du 20 mai 1961 à Evian, à l'hôtel du Parc. Le moment est solennel et symbolique. Il scelle la fin d'une époque pour la France en Algérie et le début d'une ère nouvelle pour le peuple algérien. Les Français exigeaient que la conférence se déroule sur le territoire national, et les Algériens de résider en terrain neutre, en Suisse. Les autorités helvétiques se chargeront du transport par hélicoptère des représentants du GPRA et assureront leur sécurité. Malheureusement, après cinq mois d'âpres discussions, les négociations sont rompues. 

La diplomatie «secrète» reprend le pas sur la diplomatie officielle, et c'est dans un chalet jurassien, aux Rousses — toujours à la frontière franco-suisse — que les tractations reprennent. Le 18 mars 1962, enfin, Louis Joxe et Krim Belkacem signent à Evian les accords qui mettent fin à sept ans de guerre et à 130 ans de colonisation. C’est ainsi que l’histoire retiendra les Accords d’Evian et non les Accords de Melun ou d’une autre ville française. Mais cela impliquera aussi l’assassinat du maire d’Evian, tué le 31 mars 1961 par les partisans de l’Algérie française, violemment hostiles à la moindre négociation avec le GPRA. «Le plus dur est fait, avait confié Ferhat Abbas à partir de Rabat au moment où la radio annonçait le cessez-le-feu. Le martyre du peuple algérien va bientôt être terminé, même si les problèmes qui nous attendent sont immenses.»

Par Hanafi Si Larbi


 

 

 

  • Sources :
  •  Documents Diplomatiques Suisses -base de données électroniques DoDiS, (http://www.dodis.ch)
     Mission accomplie -Saad Dahlab – Editions Dahlab- Octobre 1990
     
  • Les Accords d'Evian – Benyoucef Benkhedda – Paris 1986
     Algérie 1962, la guerre est finie - Jean Lacouture – Bruxelles 2002 (2e édition)
     
  • Marc Perrenoud historien docteur ès lettres (Université de Genève)
     Kamel LakhdarChaouche - L’Expression du 29-04-2021
     
  • Histoire de la guerre d'Algérie (1954/1962) – Benjamin Stora – Paris 2002
     Et l'Algérie se libéra 1954/1962 –Mahfoud Kaddache - Edif 2000- mars 2003
     
  •  La gauche suisse et la guerre d'Algérie - étude du politologue Pascal Holenweg 
    Pierre Jeanneret, «Le Mouvement démocratique des étudiants», in Contestations et Mouvements 1960-1980. pp. 43-84
     
  • Amiri Linda, «Les espaces de voisinage dans les conflits de décolonisation : le cas de la Suisse pendant la guerre d'indépendance algérienne», Matériaux pour l'histoire de notre temps. 
     Charles-Henri Favrod La Révolution algérienne, Paris, 1959
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