Violemment décriée par les USA et certains pays États parties au statut de Rome : La CPI dénonce des menaces contre ses fonctionnaires

01/12/2024 mis à jour: 17:23
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Photo : D. R.

La Cour pénale internationale (CPI) a dénoncé vendredi dernier «les menaces contre des responsables élus, qui visent la liberté et l’intégrité de deux juges élus, pour le seul fait d’avoir exercé leur fonction en vertu du statut de Rome». La CPI a condamné «toute action visant à menacer ou punir les fonctionnaires élus de la Cour et à porter atteinte à leur indépendance et à la mission de la Cour»  et appelé «les Etats parties et les autres parties prenantes à protéger l’indépendance, l’intégrité personnelle et la sécurité des fonctionnaires élus et du personnel de la CPI». La déclaration intervient après l’opposition du bureau du procureur à l’appel introduit par Israël contre les mandats d’arrêt ainsi que les déclarations violentes contre la juridiction de certains Etats parties et les USA.

Après les pressions verbales, les magistrats de la Cour pénale internationale (CPI) font l’objet de graves menaces en raison de la mise en inculpation des dirigeants israéliens et l’émission des mandats d’arrêt contre eux. Historique, la «présidence» de la CPI a rendu public un communiqué, dans lequel elle a exprimé sa «grande préoccupation» face aux «menaces à l’encontre de responsables élus», qui visent «la liberté et l’intégrité de deux juges pour le simple fait qu’ils ont exercé leur fonction en vertu du Statut de Rome».

La présidence de la CPI a «condamné ces menaces» en soulignant que «ces mesures s’ajoutent à celles prises contre d’autres fonctionnaires élus de la Cour». Dans son communiqué, la même juridiction a écrit : «Nous condamnons fermement toute action visant à menacer ou punir les fonctionnaires élus de la Cour et à porter atteinte à leur indépendance et à la mission de la Cour, et appelons les Etats parties et les autres parties prenantes à protéger l’indépendance, l’intégrité personnelle et la sécurité des fonctionnaires élus et du personnel de la CPI ainsi que leur capacité à s’acquitter du mandat de la Cour, en utilisant tous les moyens disponibles.»

Cette déclaration est intervenue alors que le ministre des Affaires étrangères israélien avait annoncé «la promulgation» par le Congrès américain «d’une législation contre la CPI et ceux qui coopèrent avec elle». Il a affirmé aussi qu’un appel contre les mandats d’arrêt avait été déposé auprès de la CPI mercredi dernier, tout en exprimant son souhait que «la cour corrige sa grave erreur et annule ou suspend les mandats d’arrêt».

Jeudi dernier, le procureur en chef de la CPI, Karim Khan, est, dans le communiqué, revenu sur son enquête en lien avec la situation en Palestine et les demandes qu’il a faites en ce qui concerne les dirigeants israéliens, avant de rappeler que «c’est sur la base des éléments de preuve présentés par mon bureau» que «les juges ont confirmé qu’il existait des motifs raisonnables de croire que des crimes relevant du Statut de Rome ont été commis».

Pour lui, les juges de la CPI «ont estimé qu’il existait des motifs raisonnables de croire» que les deux dirigeants israéliens «ont commis le crime d'utiliser la  famine comme méthode de guerre ainsi que les crimes contre l’humanité de meurtre, persécution et autres actes inhumains en tant qu’auteurs directs, ayant agi de concert avec d’autres. La chambre a également estimé qu’il existait des motifs raisonnables de croire qu’ils sont responsables à titre individuel du crime de guerre d’avoir intentionnellement dirigé des attaques contre des civils en tant que supérieur hiérarchique».

Tout en soulignant que ses demandes «ont été déposées au terme d’une enquête indépendante», Karim Khan a affirmé qu'elles se fondent «sur des preuves objectives et vérifiables qui ont fait l’objet d’une évaluation rigoureuse dans le cadre d’un examen criminalistique».

Profondes préoccupations du procureur de la CPI

Le procureur en chef de la CPI a exhorté les Etats parties à «s’acquitter des obligations qui leur incombent en vertu du Statut de Rome en respectant et en exécutant ces ordonnances judiciaires», avant d’annoncer que son bureau «continue de mener une enquête indépendante et impartiale sur la situation dans l’Etat de Palestine».

Et d'ajouter : «Nous poursuivons d’autres pistes d’enquête dans des zones relevant de la compétence de la Cour, notamment Ghaza et la Cisjordanie, y compris Al Qods (Jérusalem-Est).» Karim Khan s’est dit «profondément préoccupé par les informations faisant état d’une escalade de la violence, de l’accès de plus en plus restreint à l’aide humanitaire et de la multiplication des allégations de crimes internationaux à Ghaza et en Cisjordanie (…). Nous continuerons à nous acquitter de notre mandat afin de faire respecter le principe fondamental inscrit dans le Statut de Rome, à savoir que toutes les vies humaines se valent».

Les réactions de la présidence de la CPI et de son procureur en chef n’étaient pas fortuites. Dès l’annonce de l’émission des mandats d’arrêt par les magistrats de la 1re chambre pénale de la CPI, une poignée de pays, majoritairement Etats parties de la juridiction, ont refusé de se conformer à leurs obligations dictées par le Statut de Rome.

Jeudi dernier, la France, qui avait 24 heures plus tôt déclaré publiquement qu’elle respectait les décisions de la CPI et qu’elle les mettra en exécution, dès lors que deux dirigeants israéliens franchissent son territoire, a surpris, y compris son opinion publique, en revenant sur sa position.

Tout en déclarant respecter ses obligations internationales «étant entendu que le Statut de  Rome exige une pleine coopération avec la CPI», le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères a écrit, dans son communiqué, que ce même Statut «prévoit également qu’un Etat ne eut être tenu d’agir d’une manière incompatible avec ses obligations en vertu du droit international en ce qui concerne les immunités des Etats non parties à la CPI (…).

De telles immunités s’appliquent au Premier ministre israélien Netanyahu et aux autres ministres concernés et devraient être prises en considération si la CPI devrait nous demander leur arrestation et remise». L’argument avancé par la France (ainsi qu’Israël mais qui a été rejeté par la CPI) est en contradiction avec l’un des principes fondateurs de la CPI.

A savoir l’exclusion explicite de toute forme d’immunité pour les dirigeants suspectés de crimes de guerre, contre l’humanité et de génocide. Pour la CPI, personne n’est au-dessus des lois. Pas même les chefs d’Etat. Des principes réitérés d’ailleurs par les juges de la 1re chambre pénale dans leur décision.

La répression de ces crimes fait partie du droit contraignant et les immunités relatives aux chefs d’Etat de pays tiers, mentionnées par la France, ne sont pas applicables sur le territoire français, en raison, entre autres, de la jurisprudence française qui considère que ces crimes ne pouvaient faire partie des fonctions officielles d’un chef d’Etat.

Les cas des présidents de la Russie, Vladimir Poutine, et de la Syrie, Bachar Al Assad, visés par des mandats d’arrêt, le premier émis par la CPI et le second délivré par la justice française, montrent bien qu’il n’existe aucune incompatibilité entre les obligations internationales et l’exécution du mandat d’arrêt émis contre les dirigeants israéliens par la CPI.

«Tous les pays de l’UE sont tenus d’exécuter les mandats d’arrêt» de la CPI

Force est de constater que les arguments avancés par la France sur son changement de position relèvent plus du politique que du droit international. Les médias israéliens et américains l’ont bien expliqué. Ainsi, le journal américain Wall Street Journal, citant comme sources des «responsables israéliens» sans les identifier, a écrit vendredi dernier que «la question de l’immunité de Netanyahu était au cœur» des négociations autour d’un cessez-le feu au sud-Liban entre l’Etat hébreu et le Hezbollah, le mouvement de la résistance libanaise.

«Nous n’aurions pas accepté la présence française dans le comité de surveillance de l’exécution de l’accord alors que Netanyahu était menacé par une arrestation à Paris. Netanyahu a appelé Macron et lui a exprimé sa déception face à la position française.

Macron a répondu que la France n’a pas pris de position relative à l’exécution des mandats d’arrêt», a écrit le journal américain, avant que le quotidien israélien Haaretz ne reprenne les mêmes informations en citant de «hauts responsables» de l’Etat hébreu.

Pour préserver ce qui lui reste comme influence au Liban, la France a préféré mettre entre parenthèses ses obligations vis-à-vis du droit international, rejoignant ainsi quelques pays européens (membres de l’UE), les USA et des Etats sud-américains, alliés d’Israël, qui se sont rebellés contre la CPI.

Pourtant, dans un communiqué rendu public jeudi dernier, juste après la volte-face française, le porte-parole de la Commission européenne, Peter Stano, a exprimé le «soutien» (de la Commission) à la CPI et rappelé que «tous les pays de l’UE sont tenus d’exécuter» les deux mandats d’arrêt émis contre Benyamin Netanyahu et l’ancien ministre de l’Armée, Yoav Gallant. «L’Union européenne et ses Etats membres sont fermement engagés en faveur de la justice pénale internationale et de la lutte contre l’impunité.

Nous soutenons la CPI et les principes énoncés dans le Statut de Rome. L’Union européenne respecte l’indépendance et l’impartialité de la Cour.» L’UE rappelle que la CPI est «une institution internationale importante et indépendante, et que sa mission est de juger les crimes les plus graves au regard du droit international».

Stano a rappelé que «tous les pays qui ont ratifié le Statut de Rome, qui inclut tous les Etats membres de l’Union européenne, sont tenus d’exécuter les mandats d’arrêt émis par la Cour pénale internationale». De nombreux Etats de l’UE ont, cependant, exprimé leur engagement ferme à respecter les décisions de la CPI et de les exécuter, la même position est adoptée par le Royaume-Uni, l’Australie, le Canada, des alliés d’Israël. 
 

 

 

 

 

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