Victimes sans visage de l’angle mort

05/12/2023 mis à jour: 04:56
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Les Palestiniens n’existent décidément pas pour beaucoup de médias mainstream occidentaux. Ils sont à peine des chiffres qu’on actualise à la fin d’un «sujet», une multitude démographique théorique qui meurt sans douleurs sous les bombardements ou court chercher refuge en arrière-plan des breaking news. 

Des victimes sans nom et prénom, sans visage, sans domicile fixe en dehors de cet angle mort de l’indifférence où les abandonne la conscience internationale. 

Tout au long de la trêve de sept jours, aujourd’hui enfouie sous de nouvelles décombres fumantes à Ghaza, les plateaux télé ont dressé de longs portraits des «otages» israéliens libérés par le mouvement Hamas ; d’autres portraits, tout aussi détaillés et lacrymaux de ceux restant encore en détention, pour faire toucher l’abysse des souffrances endurées par des familles prises dans l’ouragan cruel de la guerre. Le conflit avait ainsi ses «effigies», le récit concret de ses vies brisées, sa violence. Mais la guerre dans le prisme tordu de ces médias semble s’arrêter là, ne faisant d’autres victimes qu’au titre de cette fosse sans fond du «collatéral», à peine regrettable mais décidément si commode pour faire avaler les aveuglements éthiques. 
 

C’est peu dire que de constater que la machine médiatique occidentale a choisi son camp, de manière voyante, depuis le début des hostilités. Mais le parti pris en l’occurrence s’aggrave en indécence, du fait qu’en termes de belligérance, la confrontation oppose une armée bardée de son high-tech létal à une population civile assiégée, affamée et interdite de secours comme au bon vieux Moyen Age. 
 

Dans les faits, il n’y a point de guerre à Ghaza, juste un massacre méthodique de civils depuis deux mois pleins et la traque prédatrice de centaines de milliers de pères et de mères de familles, de leurs enfants, pour leur fermer définitivement l’horizon d’un retour à une vie normale un jour, avec le droit élémentaire de disposer d’une demeure sur le territoire de leurs aïeux. Récits et analyses orientés des faits et des enjeux, sélection vicieuse des images à diffuser, élimination ou procès faciles en antisémitisme des interlocuteurs critiques… 

La campagne génocidaire qui se mène contre la population de Ghaza aura sans doute marqué, jusqu’ici, un des effondrements les plus spectaculaires de l’éthique et des valeurs journalistiques dans ces pays dits des droits de l’homme, de la démocratie et de la sacro-sainte liberté d’expression. 

Dans leur acharnement à s’aligner sur les plans de guerre de «Tsahal» et du gouvernement qui commandite ses crimes, les grandes télés françaises, pour ne citer que celles-ci, trouvent peu d’intérêt à accorder de la place aux alertes des ONG humanitaires qui activent sur le front, ni même à considérer les SOS documentés des vénérables et neutres instances de l’ONU ; le maître de l’Elysée, Emmanuel Macron himself, passe à la moulinette désormais pour avoir rectifié son discours et plaidé la nécessité de brider un tant soit peu la soif de sang de Netanyahu. 

Ces plateaux à sens unique, tribunes offertes à la morgue expéditive et irresponsable des «experts» triés selon leur proximité avec le mot d’ordre quasi messianique du «droit d’Israël à se défendre», auront banalisé des tueries massives d’enfants et validé une cotation honteusement discriminée des vies : celles qui comptent et celles sans substance qui passent en pertes et profits. 

En ignorant les soubassements et les enjeux civilisationnels du conflit, à un moment de tension internationale exacerbée, ils participent à creuser la fracture culturelle et politique entre un Nord imbu de sa vocation de dominateur et un Sud, surtout musulman, que l’on a trop culpabilisé pour son incapacité présumée à se hisser au niveau des valeurs dites «universelles». 

Or, qui sème la haine, les experts que les télés n’invitent pas ne cessent de le répéter, risque de récolter d’autres déluges d’Al Aqsa.

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