Une exposition lui a été dédiée du 27 janvier au 20 février : Mohamed Kouaci, l’œil de la Révolution

24/02/2025 mis à jour: 18:54
1474
Mohamed Kouaci en reportage dans un camp de l’ALN en Tunisie, à la frontière algérienne - Photo : D. R.

«Les mots s’ennuient dans leur banalité et dans leur abstraction, dès lors que l’image paraît, elle se passe de vocabulaire. C’est à cette lecture supérieure que nous convie Kouaci». Ces mots de Malek Haddad résonnent avec une acuité saisissante face aux clichés de Mohamed Kouaci exposés au Palais des Raïs (Bastion 23) du 27 janvier au 20 février.

Kouaci n’a pas simplement saisi l’instant, il a capturé l’histoire en marche. Son appareil photo était une arme de combat, aussi redoutable que les fusils qu’il immortalisait. Ses images, rares et précieuses, constituent un contre-récit face à la propagande colonialiste de l’époque. Au fil de l’exposition, c’est une Algérie en lutte et en devenir qui se déploie sous nos yeux. On y voit des visages burinés par le maquis, des regards résolus et des sourires suscités par l’espoir d’une Algérie indépendante. Certaines photos sont particulièrement émouvantes.

Celles de ces femmes en treillis militaire, alignées dans un salut solennel au drapeau, ou encore de ces combattants en pleine prière avant de plonger dans la bataille. D’autres figent des moments de vie dans la clandestinité : des djellabas étendues au soleil, des moudjahidate partageant une maigre pitance, ou encore ces soldates de l’ALN tapant des rapports en pleine forêt, sur leurs machines à écrire.

Et puis, il y a cet humour, cet œil taquin qui transparaît dans certaines compositions. Comme cette statue du Duc d’Orléans, symbole du colonialisme, que Kouaci immortalise coiffée d’un drapeau algérien au matin de l’indépendance. Sur le volet politique, l’exposition nous plonge dans les arcanes du pouvoir naissant.

Ferhat Abbas, le front haut, en interview avec Pierre Chaulet. Benyoucef Ben Khedda, interviewé, lui aussi, flanqué de M’hamed Yazid. Ahmed Ben Bella, tâchant d’expliquer sa vision à un journaliste yougoslave, une tasse de café à la main. Après l’indépendance, Mohamed Kouaci était devenu photographe officiel au ministère de l’Information.

«La technique refuse ses limites»

C’est lui qui a fait le portrait officiel du premier président algérien, Ahmed Ben Bella. Il immortalisait également les réunions du bureau politique, mettant en avant un Boumediène au regard dur et un Ben Bella plutôt détendu. Et puis, il y a cette image à la résonance particulière. Ben Bella et Boumediène, figés dans une apparente complicité. Boumediène regarde sa montre. Quelques années plus tard, il le renversera. Kouaci ne s’est pas arrêté aux frontières de l’Algérie.

Son objectif a capté la ferveur révolutionnaire bien au-delà, et parmi ses clichés les plus saisissants figurent ceux de Che Guevara. A Alger, l’icône du guérillero paraît presque détendue. A Cuba, le même homme, le front perlant de sueur, forge la révolution à la force du poignet. Un autre cliché marquant fixe Guevara entre Ben Bella et Boumediène, lors du premier anniversaire de l’indépendance algérienne.

Une image qui, aujourd’hui encore, symbolise les réseaux et solidarités révolutionnaires de l’époque. La visite de Khrouchtchev en Algérie, elle aussi, a été immortalisée par Kouaci. On y voit Ben Bella, espiègle, pointer du doigt l’objectif du photographe, entouré d’un aréopage de figures politiques : Abdelaziz Bouteflika, Bachir Boumaza, Amar Ouzagane, Hocine Zahouane et Tahar Zbiri.

Face à ces images, la lettre de Malek Haddad exposée elle aussi prend toute sa dimension. «Avec lui (Kouaci, ndlr), la technique refuse ses limites et devient du talent. L’artiste partage avec nous son regard et sa vision. Il nous offre une réalité qu’il a déjà inventée. C’est en ce sens qu’il est poète.» Et de conclure : «Avec Kouaci, on ouvre toujours les yeux pour la première fois.»

 

Copyright 2025 . All Rights Reserved.