Après avoir porté les armes contre le régime d’Al Assad jusqu’à le faire tomber au bout de 13 ans de guerre civile, les insurgés syriens troquent leur uniforme de guérilleros contre une tenue civile comme l’a fait leur chef, Ahmad Al Sharaa, et s’évertuent maintenant à remettre «le politique» en marche. Ils le savent, la tâche de la restauration (voire de la refondation) de l’Etat syrien est extraordinairement complexe.
Bien évidemment, le pays a une armée de talents et de cadres compétents. Mais il reste profondément marqué par ces près de 14 ans années de guerre fratricide qui ont réduit cette magnifique terre du Cham en lambeaux. C’est un pays exsangue qui se réveille au terme de cette longue nuit oppressante. Et parmi les défis majeurs qui vont se poser immédiatement à la nouvelle direction au cours de cette séquence post-Al Assad : la démilitarisation des nombreuses milices armées qui pullulent en Syrie. C’est un enjeu capital, et Ahmad Al Sharaa en a parfaitement conscience. Il vient de faire une déclaration fort éloquente dans ce sens : «Nous allons dissoudre toutes les factions armées et seul l’Etat syrien détiendra les armes», a-t-il martelé dimanche. Les membres de ces milices armées «vont rejoindre les rangs du ministère de la Défense», préconise-t-il.
Il a également déclaré : «La Syrie doit rester unie, et il faut qu’il y ait un contrat social entre l’Etat et l’ensemble des confessions pour garantir une justice sociale.» Ces propos ont été tenus «lors d’une rencontre lundi avec des membres de la communauté druze», selon l’AFP.
Pour rappel, la Syrie compte plusieurs communautés ethniques et confessionnelles, entre sunnites, chiites, alaouites, druzes, chrétiens et kurdes (ces derniers constituant un groupe ethnique majoritairement sunnite). Comme tous les Etats du monde, la Syrie aspire à présent à reconstruire son armée de sorte qu’il n’y ait qu’une seule institution militaire dans le pays.
Mosaïque syrienne
Le morcellement du territoire syrien au gré des forces internes et externes qui vont s’y affronter remonte aux débuts de ce qu’on a appelé «le printemps arabe» et les premières secousses qui ont ébranlé la Syrie en 2011. A l’heure actuelle, la principale force politique et militaire est HTS : Hayat Tahrir Al Sham d’Ahmed Al Sharaa, alias Abou Mohammad Al Joulani. C’est le nouveau maître du pays pour avoir dirigé la coalition armée qui a renversé le régime de Bachar Al Assad. «Hayat Tahrir Al Sham a pris la tête des opérations militaires au cours des deux dernières semaines. C’est la faction la plus puissante en Syrie en ce moment», souligne Asharq News (asharq.com), un site d’information spécialisé dans l’actualité du Proche-Orient.
Vous remarquerez qu’en arabe, le nom de cette coalition est «Idarate el amaliyate el askariya», la Direction des opérations militaires. C’est parce que même s’il a constitué indéniablement la colonne vertébrale de l’opposition armée qui a eu la peau d’Al Assad, le groupe HTS n’était pas seul dans cette campagne. «D’autres factions ont combattu sous la bannière ‘‘Radaa el odwane’’ (Riposte à l’agression). Ces factions opèrent au sein de l’Armée nationale syrienne, soutenue par la Turquie», explique Asharq News. De fait, l’Armée nationale syrienne est un autre acteur important dans cette mosaïque syrienne. Cette armée rebelle est formée de milices «anciennement affiliées à l’Armée syrienne libre (ASL)», précise la même source. L’ASL, l’Armée syrienne libre, était l’une des organisations armées les plus en vue lors du déclenchement de la guérilla en Syrie après les premiers mois où la contestation était pacifique.
A l’origine, l’ASL était constituée principalement de militaires dissidents. Cette armée n’avait pas d’idéologie particulière. Son objectif était uniquement le renversement du pouvoir d’Al Assad. A l’inverse, Jabhat Al Nosra, un autre acteur-clé qui a vu le jour au début de l’insurrection syrienne, était marqué idéologiquement. Il était carrément proche de Daech à sa naissance. Selon un article de BBC Arabic, ce groupe a été même «créé et financé par le groupe Etat islamique». En 2013, le Front Al Nosra rallie Al Qaïda. En 2016, son chef, qui n’était autre qu’Abou Mohammed Al Joulani, décide de rompre ses liens avec Al Qaïda et «forme une coalition armée avec d’autres factions et s’est baptisée Jabhat Fateh Al Sham (Front de conquête du Cham)».
A partir de 2017 et la création du gouvernement de salut d’Idleb, au nord-ouest de la Syrie, cette phalange a pris officiellement pour nom Hayat Tahrir Al Sham. Voilà comment est née HTS.
Pour revenir à l’Armée syrienne libre, celle-ci va nourrir en partie l’Armée nationale syrienne qui va participer à la chute d’Al Assad. «L’Armée nationale syrienne est une organisation militaire composée d’un certain nombre de factions opposées au régime d’Al Assad, créée en 2017 avec le soutien de la Turquie, visant à intégrer toutes les factions de l’opposition syrienne sous un seul commandement, et cherchant à sécuriser les zones libérées de toute menace externe ou interne», indique un article d’aljazeera.net daté du 16 décembre. Al Jazeera ajoute que cette force comptait dans ses rangs lors de sa création «36 groupes armés qui opéraient sous l’égide de l’Armée syrienne libre».
Les Kurdes appellent à un «dialogue national»
Autre organisation paramilitaire très active en Syrie : Al Jabha Al Chamiya ou «Le Front du Cham». Fondé en 2014, ce front «comprend cinq factions armées», d’après Al Jazeera, à savoir : «Le Front islamique, le Mouvement Nour Al Din Zinki, l’Armée des moudjahidine, le Front Authenticité et Développement et le groupe Istakim kama oumirt.»
A ces factions majoritairement sunnites et d’obédience islamiste pour nombre d’entre elles, s’ajoutent les forces kurdes. Celles-ci sont principalement représentées par les Forces démocratiques syriennes (FDS). «Profitant de l’affaiblissement du régime après le début de la guerre, les Kurdes ont annoncé la mise en place d’une ‘‘administration autonome’’ dans des zones du nord et de l’est du pays, après le retrait du régime d’une grande partie de ces régions», relève l’AFP.
«Soutenues par Washington, les Forces démocratiques syriennes (FDS, dominées par les Kurdes) ont progressivement étendu leur territoire, en enchaînant les victoires face au groupe Etat islamique. Elles dominent le Nord-Est syrien, dont la population est estimée à 3 millions d’habitants, dont un gros tiers de Kurdes, selon (le chercheur) Fabrice Balanche.» «Des forces américaines, déployées dans le cadre d’une coalition internationale anti-EI, sont déployées sur plusieurs bases en territoire kurde, notamment dans la province pétrolière de Deir Ezzor. Elles sont également présentes dans le Sud, sur la base stratégique d’Al Tanf, près des frontières jordanienne et irakienne», détaille l’AFP.
Un millier de soldats américains sont présents sur le sol syrien, officiellement pour combattre Daech, sachant qu’en 2014, le groupe Etat islamique avait jeté son dévolu sur Raqqa, au centre de la Syrie. L’armée américaine a annoncé avoir tué lundi 12 membres du groupe Etat islamique lors de frappes aériennes en Syrie, qui ont visé «des dirigeants, des combattants et des camps du groupe djihadiste». Ces frappes ont pour but d’empêcher Daech «de se reconstituer dans le centre de la Syrie», a précisé dans un communiqué le Commandement militaire américain pour le Moyen-Orient (Centcom).
Les forces kurdes ont appelé à l’ouverture d’un dialogue national et à l’arrêt des combats. Un communiqué a été lu à la presse à partir de la ville de Raqqa, occupée désormais par les FDS. Le chef du conseil exécutif de l’administration autonome kurde, Hussein Othman, a appelé à «l’arrêt des opérations militaires sur l’ensemble du territoire syrien pour entamer un dialogue national».
Pour montrer leur bonne foi, les Kurdes ont adopté le nouveau drapeau syrien qui flotte désormais partout. A l’ouest de la Syrie, aux frontières avec la Turquie, sont positionnées des factions proturques. «Les forces turques et leurs supplétifs syriens contrôlent une bande territoriale discontinue entre Afrine et Ras Al Aïn, dans le Nord-Ouest, le long de la frontière turque», indique l’AFP. «Ces territoires, contrôlés par une coalition de rebelles relevant de la Turquie, abritent 1,5 million de personnes», souligne la même source.
Notons enfin que le Hezbollah ainsi que les factions chiites iraniennes, qui constituaient un précieux soutien pour Bachar Al Assad, se sont retirés dès la chute de Damas. Mustapha Benfodil