La salle du forum d’El Moudjahid, au 20 rue de la Liberté, était pleine à craquer ce mercredi. Une assistance nombreuse en effet a fait le déplacement pour assister à une rencontre en hommage à Hocine Aït Ahmed, le militant au long cours qui nous a quittés le 23 décembre 2015 à Lausanne, à l’âge de 89 ans.
C’est la vaillante association Mechaâl Echahid et son président, Mohamed Abbad, qui ont initié cette rencontre. Une façon de marquer avec un peu d’avance le 8e anniversaire de la disparition de l’ancien membre du «Groupe des 9», et ancien leader emblématique du FFS.
L’événement s’inscrit par ailleurs, faut-il le signaler, dans le cadre de la série de conférences que l’association organise une fois par semaine, précisément le mercredi, en partenariat avec le forum d’El Moudjahid sous le titre générique «Le Forum de la mémoire». Dans la salle, hier, il y avait de nombreux militants et sympathisants du FFS, beaucoup d’anciens combattants de la Guerre de libération.
Il y avait également quelques visages familiers, à l’image de l’historien et ancien directeur des Archives nationales Abdelmadjid Chikhi, du sénateur et ancien directeur général de la Protection civile Mustapha Lahbiri, ou encore l’ancien militant de la Fédération du FLN en France Mohamed Ghafir dit Moh Clichy.
Dans son allocution liminaire, Mohamed Abbad souligne que cette rencontre se veut un geste de « reconnaissance envers un des symboles du mouvement national et de la Révolution libératrice».
Le président de Mechaâl Echahid rappelle que «l’an dernier, en marquant le 7e anniversaire de la disparition de Si El Hocine, nous avions proposé de baptiser le nouveau stade de Tizi Ouzou du nom de Hocine Aït Ahmed. Et Al hamdoullah, c’est fait et c’est quelque chose dont nous nous réjouissons».
La parole est ensuite donnée au député Saâdi Mohallebi qui s’est exprimé au nom du président de l’APN. Saluant la mémoire et l’œuvre militante de Hocine Aït Ahmed, le parlementaire martèle : «Le 1er Novembre n’est pas tombé du ciel.
Il est le fruit d’un travail de longue haleine orchestré par les artisans de la Révolution comme Hocine Ait Ahmed». M.Mohallebi a mis en outre l’accent sur le côté rassembleur de Si El Hocine, faisant remarquer que Da L’Hocine avait toujours été mu par un impératif catégorique : «L’Algérie est une et indivisible».
Vint ensuite l’exposé central, au menu de cette matinée commémorative. Et ce fut une brillante communication donnée par Aïssa Kasmi, lui-même ancien militant de la Guerre de libération et auteur de neuf ouvrages sur «l’histoire de l’Algérie» expliquera-t-il. M. Kasmi attire d’emblée l’attention sur la difficulté à restituer la biographie d’un personnage au parcours aussi dense comme Aït Ahmed.
Dans une boutade, il lance : «Hocine Aït Ahmed a écrit ‘Mémoires d’un combattant’ et c’est un parcours du combattant de parler de lui. On ne peut pas le faire en une demi-heure. Il faudrait pour cela des heures et des heures.» Dans un élan d’humilité, il en appelle à «l’indulgence» de la salle.
L’orateur confie avoir lu et relu tous les ouvrages d’Aït Ahmed. Il recommande vivement à l’auditoire d’en faire de même en insistant sur le premier tome de ses Mémoires : L’Esprit d’indépendance. 1942-1952. «Celui qui n’a pas lu ce livre ne peut pas saisir la philosophie de la Révolution et ses préalables fondamentaux», tranche-t-il.
D’après Aïssa Kasmi, il y a de fortes similitudes de destin et de parcours entre Hocine Aït Ahmed et Nelson Mandela. «Les stations qui ont jalonné leurs vies présentent beaucoup de points communs», observe-t-il. Le conférencier s’attarde sur les funérailles d’Aït Ahmed le 1er janvier 2016 au village d’Aït Yahia, où il y avait une foule gigantesque.
«Il y avait des dizaines de milliers de personnes qui ont afflué à son enterrement. Des dizaines de milliers d’enfants de l’Algérie, de Maghnia à Tebessa, qui scandaient ‘Assa Azeka Da L’Hocine yella yella’ (Aujourd’hui, demain, Hocine Ait Ahmed sera toujours là)» note Kasmi.
Et de lancer : «C’est impossible d’oublier un homme comme lui. Il continuera à vivre par ses écrits, ses idées.» «Quand on observe la dimension de la personnalité et de l’œuvre de Si El Hocine, poursuit l’ancien moudjahid, on constate qu’elle embrasse toute l’Algérie et qu’elle a dépassé les frontières de l’Algérie pour atteindre l’universel.
Aït Ahmed est connu des milieux politiques, et il est connu des milieux universitaires. Il donnait des conférences partout : à Londres, à New York, à New Delhi… Il maîtrisait parfaitement l’anglais et d’autres langues. Il était polyglotte. Le monde entier est en droit de revendiquer son œuvre.»
Chef de l’OS à 22 ans
Aissa Kasmi s’est ensuite attelé à développer quelques «stations» de la biographie fiévreuse de Si El Hocine. Né le 20 août 1926 à Aït Yahia, près de Ain El Hammam, Hocine Ait Ahmed est un descendant, précise l’intervenant, du vénérable Cheikh Mohand Oulhoucine par son père et de Lalla Fadhma N’soumer par sa mère.
Elève brillant, il aura une scolarité fulgurante qu’il entame d’abord en Kabylie avant de la poursuivre à Alger, où il fera ses études secondaires au lycée de Ben Aknoun. Et c’est en tant que lycéen déjà que son engagement politique va s’affirmer. Il adhère au PPA en 1942, à l’âge de 16 ans. Avec d’autres camarades, il lance une revue qui donne le ton : L’Etudiant patriote.
«Une station déterminante dans la vie d’Aït Ahmed : c’est les massacres du 8 Mai 1945», souligne Aïssa Kasmi. Profondément marqué par la boucherie commise par les forces coloniales, «Aït Ahmed quitte le lycée et rejoint le maquis dès le 15 mai 1945. Avec d’autres militants, ils ont commencé à s’organiser en Kabylie conformément aux consignes du PPA. Ils se sont même procuré des armes.
Hocine Aït Ahmed écrit dans ses Mémoires : ‘Je suis l’un des premiers maquisards de l’Algérie», détaille l’orateur. C’était la première manifestation concrète de l’engagement patriotique du jeune prodige. Les 15 et 16 février 1947, Aït Ahmed prendra part au congrès constitutif de l’OS, l’Organisation spéciale, à Belcourt.
A la mort de son premier chef Mohamed Belouizdad, Hocine Aït Ahmed prend la tête de l’organisation paramilitaire du PPA-MTLD. «A 22 ans, il est chef d’état-major des combattants de la lutte armée.
Aït Ahmed dirigera l’OS de novembre 1947 à décembre 1949», indique le conférencier. Il rédige un manuel complet de guérilla «inspiré de la révolution irlandaise». Aissa Kasmi évoque dans la foulée le congrès de Zeddine de 1948, près de Ain Defla. «Il a présenté un rapport de 36 pages (...) où il fournit une analyse historique profonde de la colonisation.»
Du Aït Ahmed comme on l’aime. Appréciez : «Colonie de peuplement, d’exploitation, de prestige par excellence, terre française, la France ne le lâchera pas sans épuiser tous les atouts formidables dont elle dispose. (…) Par conséquent, c’est bel et bien face à l’une des plus grandes puissances du monde que nous aurons à arracher notre indépendance.
Le rapport des forces en présence est effrayant par la supériorité écrasante du colonialisme dans tous les domaines sauf dans le domaine moral. Notre atout est donc un atout moral au sens de l’esprit de résistance, de foi patriotique, d’abnégation et de détermination qui doivent animer tous les Algériens.»