Dans cette histoire, l’un des acteurs-clés n’étant autre que l’apporteur d’affaires, ce personnage invisible à qui il est souvent fait appel dans la sous-traitance de missions «souterraines» de démarchage de clientèle ou de fournisseurs, surtout lorsqu’il est question de gros et fort juteux contrats internationaux.
Menée par le pôle pénal économique et financier de Sidi M’hamed et se poursuivant encore, l’enquête sur le énième grand scandale ayant éclaté en octobre 2024 à la Société nationale de sidérurgie (SNS), ex-Groupe Imetal et Al-Solb, ex- complexe Sider El Hadjar, a montré que l’histoire entre ce dernier et le bien vieux système de gouvernance, fondé sur le triptyque fraude/prédation/corruption, s’est avérée aussi longue que les lieux parcourus par le célèbre navigateur et explorateur portugais Magellan. Dans cette histoire, l’un des acteurs-clés n’étant autre que l’apporteur d’affaires, ce personnage invisible à qui il est souvent fait appel dans la sous-traitance de missions «souterraines» de démarchage de clientèle ou de fournisseurs, surtout lorsqu’il est question de gros et fort juteux contrats internationaux.
L’instruction de la nouvelle affaire de corruption et de transactions suspectes qui a, jusqu’à l’heure, conduit à l’interpellation et l’arrestation de plusieurs responsables de haut rang et cadres dirigeants de l’usine El Hadjar, de la société mère et d’autres filiales, a révélé que ceux qui tiennent les rênes de la sidérurgie nationale ne parviennent, semble-t-il, toujours pas à se passer des apporteurs d’affaires qui leur servent de paravent au système de corruption bien rodé mis en place.
En témoigne le recours aux services de «Nounou Manita», ce pseudo homme businessman originaire de l’Ouest qui a joué le rôle d’«entremetteur» entre le complexe El Hadjar, d’autres filiales de l’ex-Groupe Imetal et leurs clients étrangers dans le cadre de différents contrats d’exportation de produits sidérurgiques.
Ces contrats ayant été conclus en vertu des trois protocoles d’accord scellés en septembre 2024 entre l’Algérie et ce pays étranger aux fins de la promotion des exportations ainsi que du développement des échanges commerciaux dans la sidérurgique. Pour donner une forme légale à la «commission» perçue, M. Manita aurait cherché à utiliser la succursale de la Banque de l’Union algérienne, ouverte dans ce pays client en septembre 2023.
Une partie de cette commission aurait été versée au fils d’un ancien ministre de l’industrie pour l’aider à honorer ses dettes envers le patron d’une grande marque d’électroménager. Cet apporteur d’affaires n’est pas le premier et ne sera, sans doute, pas le dernier à se voir intégré aux mécanismes corruptifs, sans cesse affinés, mis en place dans les transactions commerciales internationales du complexe El Hadjar. Comme lui, plusieurs autres entremetteurs dont la seule vocation est l’enrichissement illicite, s’étaient allégrement sucrés sur le dos des sidérurgistes.
Largesses et interets personnels
Accrochés à leurs intérêts personnels, ceux qui les sollicitent : des dirigeants de l’usine, leurs responsables hiérarchiques ou des politiques, n’hésitant pas à marchander de manière éhontée leurs «largesses» à coups de cadeaux de luxe et autres dessous-de-table. Et avec les nouveaux scandales et les interpellations en cascade de ces temps, il a été donné aux Algériens de constater que dans le domaine de la corruption, plus que nulle part ailleurs, plus on est puissant, plus on s’autorise les excès les plus fous, car persuadés que l’ancien système qui permettait de faire rendre gorge aux petits fraudeurs et de transiger lorsqu’il s’agit des grands, existait encore.
Cet ancien système, des victimes, il en a faits et beaucoup même. L’affaire Sider et des anciens cadres dirigeants du complexe El Hadjar, tous partis emportant dans leur tombe tant et tant de secrets sur ce que leur avait valu les bien longues années de prison en est le parfait exemple. Comment cette affaire avait été initialement confectionnée au plus haut sommet de l’Etat et mise en route par ses appareils et son administration.
En 1991, la SACE, organisme italien de couverture des exportations, l’équivalent de la Coface en France, l’Export Credits Guarantee Department (ECGD) en Grande Bretagne ou la Cagex en Algérie, avait mis à la disposition de l’Algérie une ligne de crédit de 300 millions de dollars pour l’exportation de rond à béton italien vers notre pays. Le gouvernement la répartira sur cinq banques ; deux quotas totalisant 100 millions de dollars au profit de Metal Sider (entreprise privée), les 3 autres quotas accordés à Sider El Hadjar (60 millions de dollars) et Cosider ainsi que des opérateurs privés, dont un certain Kouninef.
La stratégie gouvernementale reposait donc sur l’appel excessif aux importateurs privés pour remédier à la pénurie en rond à béton sur le marché national. Ce qui aura pour effet mécanique d’exacerber les appétits et d’éroder les capacités d’El Hadjar. Une vive polémique éclatera à l’époque, lorsque les responsables du complexe El Hadjar avaient pointé du doigt les importateurs privés, leur reprochant de se fournir auprès d’un intermédiaire algériens basé en Italie.
En effet, grâce à ses puissants réseaux d’apporteurs d’affaires en Algérie et à l’étranger, cet intermédiaire importait de l’acier ukrainien de qualité douteuse pour le rétrocéder aux Algériens. Parallèlement, une partie de ce même rond à béton introduit en Algérie était réexportée vers le Maroc et la Tunisie (avantages fiscaux prévus dans les accords liant les trois pays dans le cadre de l’UMA). Quant aux cadres de Sider, ils avaient eu le tort de se conformer aux directives gouvernementales.
Dans le bâtiment, ces orientations avaient un double objectif : à l’arrêt du fait de la longue et sévère pénurie de rond à béton sur le marché national, les chantiers relatifs au programme de réalisation de dizaines de milliers de logements sociaux devaient être relancés. Pour ce faire, l’Etat s’était appuyé sur le complexe El Hadjar qui avait ses réseaux commerciaux sur le marché international.
Or, seul, Sider El Hadjar était incapable de couvrir les besoins dudit programme. Un gros contrat à l’import devait être signé fin 1995 début 1996 pour pallier le déficit. Cela coïncidera avec la nomination du général Mohamed Betchine comme conseiller à la Présidence de la République et d’Ahmed Ouyahia à la tête du gouvernement. Mais tout avait basculé pour les cadres dirigeants de Sider lorsque la date signature dudit contrat sera différée pour des raisons occultes, et ce, à la demande de Saci Aziza, alors ministre du Commerce qui, à son tour, avait reçu des instructions d’en haut.
Déconvenue intervenue quelques semaines après l’arrivée de MM Betchine et d’Ouyahia au pouvoir. La voie sera ainsi libérée et grande ouverte aux importateurs, à leurs protecteurs ainsi qu’aux intermédiaires et autres apporteurs d’affaires de tous bords. Ils réussiront à s’emparer d’environ 60% de la ligne de crédit italienne de 300 millions de dollars. Le rond à béton ukrainien massivement importés sera cédé sur le marché national à très vil prix.
L’erreur fatale
Les dirigeants du complexe El Hadjar s’en trouveront contraints de revoir les prix à la baisse pour faire face à la concurrence déloyale, bien que le rond à béton produit localement soit conforme aux normes requises et de qualité meilleure. C’était l’erreur qu’il ne fallait pas commettre et le piège qu’il fallait éviter. Ils seront incarcérés le 22 février 1996 pour être innocentés près de quatre ans plus tard.
Mieux, en 2001, sciemment fragilisé, le complexe sera offert sur un plateau à l’Indien Lakshmi Mittal, lui-même ancien apporteur d’affaires avant de devenir un redoutable magnat de la sidérurgie mondiale, qui le restituera aux Algériens en 2016 après l’avoir réduit à un amas de ferrailles. Aux spécialistes de l’import-import, apporteurs d’affaires et intermédiaires, une autre opportunité sera donnée pour se faire encore de l’argent, beaucoup d’argent.
Les facilités et les avantages fiscaux, déconcertants, accordés dans le cadre de l’accord d’association avec l’Union européenne et le pacte régional Grande Zone arabe de libre-échange (GZALE). Rien qu’au port de Annaba, pas moins d’une centaine de navires chargés de rond à béton en provenance d’Europe étaient annuellement traités par les douanes.
Grâce aux services d’un puissant apporteur d’affaires d’Alger, proche de la haute sphère politique, une poignée d’opérateurs privés (4) qui contrôlaient le marché à l’import à Annaba, arrivaient, à eux seuls, à égaler, voire à dépasser le volume produit par le méga-complexe d’El Hadjar. Leur premier record sera battu en 2010 avec près de 180 000 tonnes, l’équivalent de plus de 7,5 milliards de dinars. La mise sera doublée en 2011, avec l’importation de 325 836 tonnes pour près de 15 milliards de dinars.
Entre temps, d’autres apporteurs d’affaires feront leurs choux gras des exportations massives de bobines et de billettes déclassées issues du complexe El Hadjar. Très demandés sur le marché tunisien, ces deux produits sont découpés puis transformés sur place, c’est-à-dire en Tunisie, avant d’être réintroduits en Algérie pour être revendus au… complexe El Hadjar. Les tubes sans soudure est l’autre filon que les réseaux d’apporteurs d’affaires et intermédiaires gravitant autour de la Compagnie Sonatrach avaient, bien des années durant, profusément exploité.
L’unité TSS d’El Hadjar était le seul fabricant local de tubes destinés au transport des hydrocarbures et gaz, aux forages hydrauliques ainsi que d’autres types de tubes, de très haute précision, utilisés dans l’enveloppe des puits de forage gaziers et pétroliers. Or, sous le règne de Chakib Khelil, les achats internationaux de Sonatrach en tubes sans soudure s’effectuaient globalement auprès d’un intermédiaire libanais, un proche de la belle-famille de Farid Bedjaoui, le célèbre apporteur d’affaires, chouchou de M Khelil et des anciens dirigeants de la compagnie nationale.
La lutte contre toutes ces pratiques collusoires et ce vaste écosystème politico-économique se mettant regrettablement au service des seigneurs de la corruption, devenus de plus en plus effrontés ; le Président Abdelmadjid Tebboune, lors de son discours du 29 décembre dernier, devant les représentants des deux chambres du parlement, a réaffirmé sa détermination à la mener «jusqu’au dernier souffle».
LE RUSSE « POSEIDON» QUI FAIT TREMBLER
Et bien que des avancées significatives aient été réalisées ces dernières années, l’Algérie, consciente de la nécessité de moderniser ses dispositifs, projette de s’ouvrir à de nouvelles technologies de pointe pour affiner davantage son bouclier anticorruption. C’est d’ailleurs dans cette perspective que, à en croire des sources proches de l’Office central de répression de la vorruption (OCRC), des échanges seraient en cours entre Alger et Moscou, depuis la visite, en avril 2024 à Alger, d’Igor Krasnov, procureur général de Russie, ces échanges portent sur le système anticorruption mis au point par les Russes, baptisé «Poseidon».
S’appuyant sur l’intelligence artificielle (IA), ce système auquel à accès la Cour des comptes, via l’administration présidentielle de la Fédération, est destiné à l’analyse de l’information relative aux revenus, aux dépenses et aux charges liés aux avoirs des fonctionnaires afin de détecter les conflits d’intérêts institutionnels et inter-institutions. «Poséidon» est intégré dans les Systèmes d’information unifiés (SIU) pour la gestion du personnel de la fonction publique et les marchés publics...) ainsi que les bases de données des administrations publiques. Pour ses activités de contrôle et de comptabilité, la Cour des comptes utilise «SPARK», système d’analyse commercial conçu pour évaluer la stabilité financière des entreprises russes.
Celui-ci repère les affiliations des entreprises à l’aide de modèles mathématiques. Avec l’arrivée possible de «Poseidon», en Algérie, les dirigeants de certaines grandes entreprises publiques, préférant recourir à la sous-traitance souterraine avec les «entremetteurs» dans leurs transactions commerciales à l’international, devraient penser à s’armer de dispositifs plus sûrs afin d’éviter la noyade.