Tourisme et patrimoine urbain en Algérie : Urgence de dépasser le cadre des plans de sauvegarde

16/11/2024 mis à jour: 12:29
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Photo : D. R.

De nombreux spécialistes soutiennent que l’Algérie est appelée à s’inspirer des expériences des pays du bassin méditerranéen qui ont réussi à transformer leur patrimoine en ressource touristique.

La dégradation du patrimoine urbain en Algérie, en particulier celui de La Casbah d’Alger ou les vieilles villes, comme celle de Constantine, est si manifeste qu’il n’est nul besoin d’être un spécialiste pour en constater l’ampleur. Ce patrimoine, vecteur essentiel de notre histoire et de notre identité, subit des dommages irréversibles, marqués par des démolitions de bâtisses ancestrales et la disparition progressive d’histoires qui y sont rattachées.

De nombreux chercheurs algériens lancent ainsi un appel urgent pour la préservation de ce legs inestimable, nécessaire tant pour honorer notre héritage culturel que pour encourager un développement touristique et économique durable. C’est dans cette perspective que la faculté des sciences de la terre, de la géographie et de l’aménagement du territoire de l’université des Frères Mentouri, en partenariat avec le Centre de recherche en aménagement du territoire (CRAT), a organisé, les 11 et 12 novembre, un colloque international intitulé : «Le patrimoine urbain méditerranéen : attraits touristiques et valorisation.»

Ce symposium a constitué un espace de débats riches et intenses, permettant d’aborder les liens fondamentaux qui unissent notre culture, notre identité et notre économie autour de la notion de patrimoine. En effet, le tourisme, vecteur de découverte et d’échanges interculturels, joue un rôle crucial dans la valorisation de ce patrimoine, offrant une opportunité unique de partager nos récits, nos valeurs, nos traditions et nos savoir-faire tout en stimulant l’économie locale.

Toutefois, il est impératif que cette dynamique de mise en valeur s’accompagne d’une vision résolument respectueuse de l’environnement urbain et de notre héritage. Un tourisme durable et conscient des spécificités patrimoniales est une condition sine qua non pour éviter l’aliénation des sites et favoriser un développement harmonieux.

Durant ces deux journées d’échanges, les chercheurs ont partagé leurs expériences, questionnant tant les outils d’investigation que les pratiques de valorisation et les méthodologies employées. Ces moments d’interrogation ont permis d’explorer les stratégies touristiques et les enjeux de formation, soulignant le rôle indispensable de l’Etat dans la préservation du patrimoine urbain.

A titre d’exemple inspirant, un des intervenants a mis en lumière le projet «Oukalas» en Tunisie, qui a su intégrer une forte dimension sociale : la réhabilitation de 190 000 m² de logements a ainsi permis d’améliorer le cadre de vie de plus de 1600 ménages. Ce projet exemplaire, ancré dans le plan d’aménagement de la médina, combine rénovation, réhabilitation, restauration des infrastructures et création d’emplois, offrant ainsi une illustration concrète de projet intégré au bénéfice des habitants. En Algérie, en revanche, les vieilles villes sont trop souvent réduites à des «espaces problèmes», nécessitant une révision profonde des stratégies de sauvegarde.

Des interventions urgentes exigées

La présidente du conseil scientifique de l’événement sur l’évolution de la vieille ville de Constantine, Dr Amina Benelmajat, déplore amèrement l’érosion progressive de cette cité historique, dont chaque parcelle qui disparaît emporte avec elle un fragment d’identité. «Malheureusement, l’évolution est défavorable.

A chaque instant, nous perdons une partie de cette vieille ville, au lieu de tout mettre en œuvre pour la protéger», souligne-t-elle avec regret. Paradoxalement, bien que riche d’histoire, Constantine demeure peu connue en matière de tourisme ; les visiteurs s’orientent vers d’autres sites, ignorant souvent cette médina, dont l’image même n’attire guère. Peu de pays possèdent une telle richesse patrimoniale, et pourtant, ajoute-t-elle, nous n’accordons pas à notre médina la valeur qu’elle mérite. 

Bien que le Plan permanent de sauvegarde et de mise en valeur du secteur sauvegardé (PPSMVSS) ait apporté quelques bénéfices, il constitue aussi un frein aux initiatives de développement. Selon Benelmajet, le tourisme pourrait jouer un rôle salvateur pour la vieille ville, car les touristes recherchent l’authenticité, les objets artisanaux et le cachet unique des lieux. Pourtant, les besoins de la population locale, tout comme ceux des visiteurs, demeurent insatisfaits. 

Le plan de sauvegarde mis en place par l’État, accueilli initialement avec enthousiasme, s’avère aujourd’hui insuffisant ; le temps passant, la vieille ville s’est transformée davantage en un vestige archéologique, sans changements visibles. Quelles pratiques adopter pour corriger cette situation ? «Il faut regarder au-delà de nos frontières, voir comment nos voisins transforment leur patrimoine en ressource touristique. La Tunisie, par exemple, a su dynamiser son tourisme grâce à ses vieilles villes.

 De même, la Turquie valorise et promeut son patrimoine à une échelle mondiale. Ici, nous n’accordons pas à nos sites une importance suffisante», observe-t-elle. Interrogée sur les impacts socio-économiques d’un tel développement touristique, Benelmajet affirme que cette dynamique serait bénéfique pour les artisans et pour tous ceux qui perpétuent nos traditions et notre patrimoine immatériel. 

En ce qui concerne les stratégies à adopter, elle appelle à une action rapide et coordonnée, associant divers spécialistes pour développer et revitaliser la vieille ville à travers des études et des initiatives concrètes. Les infrastructures ont subi des destructions massives : dans le cas des hammams de Constantine, par exemple, sur les 17 d’origine, un a été démoli, cinq sont encore fonctionnels, sept fermés, et quatre ont changé de vocation.

Dégradation alarmante  à Bousaâda

L’état dégradé de Bousaâda suscite également l’indignation de Dr Zine Elabidine Barkat, enseignant et chef de département à l’institut de gestion des techniques urbaines à l’Université Mohamed Boudiaf de M’sila. Autrefois une destination touristique renommée depuis l’époque coloniale, la ville souffre aujourd’hui d’une dégradation alarmante, malgré la richesse de ses 13 sites touristiques. « Il est impératif d’intervenir pour protéger ces monuments, particulièrement la vieille ville, dont l’architecture islamique et urbaine d’une qualité rare est menacée », affirme-t-il.

Le passé de cette ville, autrefois animé et préservé, voit son authenticité se ternir, tandis que le célèbre Bordj Essaâ (Tour de l’Horloge), édifié à l’époque romaine et réutilisé comme tour de contrôle sous la colonisation, se retrouve dans un état catastrophique malgré les efforts de réhabilitation entrepris par l’APC de Bou Saâda. Quant à la question de savoir si la restauration seule peut suffire, Barkat insiste sur l’importance de bâtir une stratégie intégrée de restauration qui tienne compte d’un plan touristique rigoureux et d’une classification des priorités pour protéger efficacement ces sites.

«Le tourisme est devenu une véritable industrie, et la préservation de nos sites est essentielle pour en faire des destinations prisées, tant par les visiteurs locaux que par les étrangers. Les efforts existent, mais il manque une volonté tangible. Les mesures législatives sont en place, mais l’action sur le terrain demeure insuffisante», regrette-t-il, ajoutant que les budgets alloués restent souvent insuffisants pour entreprendre des travaux de restauration d’envergure.

Nécessité de plateformes numériques

Le Dr Abdelkrim Bensaïd, de l’Université d’Orléans en France a rappelé un fait essentiel : les étrangers en visite en Algérie ne sont souvent pas des touristes de loisirs, mais viennent pour des raisons professionnelles, et explorent le pays par la suite. 
Ce contexte met en lumière l’importance cruciale des plateformes numériques, car elles constituent le premier point de contact pour ces visiteurs potentiels.

En prenant pour exemple un chercheur s’intéressant au tourisme, il souligne qu’avant de se lancer dans ses travaux, ce dernier consulte ces plateformes pour obtenir des informations pertinentes. L’accès aux données constitue souvent la difficulté majeure dans la recherche, et les plateformes numériques offrent la possibilité d’accéder aux données nécessaires de manière instantanée et indépendante, sans avoir à se déplacer.

Pour illustrer l’efficacité des outils numériques, il avance qu’une carte interactive est souvent plus parlante qu’un long discours. Ces plateformes deviennent dès lors des ressources précieuses, non seulement pour les chercheurs, mais également pour les décideurs politiques, leur permettant de visualiser et de comprendre des informations essentielles d’un simple coup d’œil. Afin de sensibiliser efficacement les autorités, il est indispensable de disposer d’outils performants, tels que ces plateformes numériques, qui rendent l’information accessible et percutante. 

Ces dispositifs ne doivent pas seulement être conçus pour attirer des touristes, mais doivent aussi servir de support fiable pour les travaux de recherche. Cependant, certaines contraintes se posent. Dr Bensaïd insiste en effet sur la nécessité d’héberger ces données en Algérie, dans des serveurs sécurisés, pour éviter toute fuite d’informations. La sécurité de ces plateformes doit être assurée par des experts en cybersécurité hautement qualifiés, ce qui implique de renforcer les compétences dans ce domaine, d’autant plus que de nombreux informaticiens algériens travaillent désormais à l’étranger.

Cette mesure est indispensable pour protéger les données de toute exploitation malveillante. Par ailleurs, il appelle à investir dans des infrastructures de transport modernes et sûres, un besoin crucial pour faire de l’Algérie une destination plus accessible. Actuellement, le coût élevé des billets d’avion et le manque d’infrastructures modernes constituent des freins au développement du secteur touristique. Si l’Algérie souhaite s’ouvrir davantage, Dr Bensaïd propose de s’inspirer du modèle de développement turc, en le prenant comme point de départ.

Le pays dispose de nombreux atouts naturels et géographiques ; par exemple, une étude menée aux États-Unis à une époque avait révélé que Djelfa constituait un emplacement stratégique idéal pour établir un aéroport de transit international. «Hélas, aucune initiative n’a suivi ces études», déplore-t-il, en ajoutant que l’Algérie a formé dans les années 1970 des cadres, y compris des étrangers, et dispose des compétences nécessaires pour atteindre ces ambitions.    

 

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