Théâtre national d'Alger : Aqd el jawhar, de Benguettaf, somptueusement reprise

14/11/2024 mis à jour: 04:32
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Une halqa circonscrite autour des acteurs en répétition, alors que les autres sont dans des postures de spectateurs

De passage à Alger, nous avons eu le bonheur de renouer avec une salle de théâtre après près de deux années sans humer l’air de l’une d’elles. Cela a coïncidé avec la deuxième représentation de  Aqd el jawhar de M’hamed Benguettaf, une reprise décidée à la faveur de la célébration du 70e anniversaire du déclenchement de la lutte de Libération nationale. 
 

Pièce du répertoire du TNA dans la veine du théâtre documentaire, elle traite précisément de la «première guerre d’Algérie», celle faisant suite à l’invasion coloniale de 1830. Haïder Benhassine, qui s’y est attelé, avait la redoutable tâche de réactualiser scéniquement un texte qui, lors de sa création en 1983, pouvait plus aisément parler au public d’alors, sa mémoire étant encore hantée par les traumatismes de la Seconde Guerre d’Algérie, celle donc de 1964-1962. 

L’autre écueil que le metteur en scène avait également à dépasser réside dans le fait que Collier de perles  s’appuie sur une forme épique qui fait que les personnages sont plutôt des figures emblématiques que des personnages, c’est-à-dire n’ayant pas des particularités et des atouts distinctifs qui suscitent une identification chez le spectateur et susciter l’adhésion du spectateur. 

Nonobstant cela, Haïdar s’est en outre refusé de procéder à une adaptation/réactualisation du texte, ce qui est quelque part dommage dans la mesure où les faits historiques soutenus par l’historiographie coloniale et abordés par la pièce, ont été en partie démystifiés au cours des deux dernières décennies sur la base de preuves documentées, qui plus est par des historiens français. 

En effet, il a été mis en évidence que «l’expédition d’Alger» a été menée pour de crapuleuses raisons dont le pillage des deniers de la Régence, un considérable pactole surnommé «trésor de La Casbah» qui a renfloué les caisses vides du pays agresseur, un trésor dont également une partie est passée dans les poches des généraux en chef, Bourmont et compagnie qui se sont ainsi enrichis. Pour dépasser les écueils que présentait le projet de traduction scénique de la pièce, Haïder s’est plutôt astreint à faire preuve d’inventivité sur plusieurs niveaux. Ainsi, ce n’est pas l’intégralité texte, verbeux au demeurant, qu’il a mis en scène. 

Trépidante chorégraphie

De la sorte, il a donné à suivre des comédiens en train de répéter quelques-unes des situations-clés qui livrent la quintessence de la pièce. Ainsi, le texte est délesté du trop-plein de harangues à l’emporte-pièce, ce qui a amoindri l’emphase qu’il charriait. 

En outre, la mise en abyme à travers le procédé du théâtre dans le théâtre s’est traduite par une adaptation en douceur avec en prime une foison de créativité au plan scénique. Subséquemment, les 27 comédiens de la distribution paraissent au double de leur nombre, à l’égal de celui que nécessite le texte primitif. Ils occupent l’espace tant à l’avant-scène que dans la profondeur ainsi que sur les côtés cours et jardin. Une halqa est ainsi circonscrite autour des acteurs en répétition, alors que les autres sont dans des postures de spectateurs. Néanmoins, toute staticité est exclue, les uns et les autres devenant à tour de rôle acteurs puis spectateurs. 

Le dynamisme irrigue la scène à force spectacularité. Quant au bruit et à la fureur de la guerre, ils sont traduits par une trépidante chorégraphie due à Meftah Youcef. Cet artiste sait d’évidence la différence avec la gymnastique rythmique dans laquelle se fourvoient nombre de spectacles montés sur les scènes nationales. Ainsi, tout en insufflant de la fougue à la sienne, Youcef y injecte la nécessaire grâce dans le mouvement et le geste. 

Enfin, la profusion de jeux de lumières, simultanément en plusieurs faisceaux, démultiplie les espaces en jouant de la nuance dans les tonalités sans jamais verser dans la crudité qui choque l’œil. Par moment, visuellement, certaines scènes rappellent la composition des tableaux des grands maîtres de la peinture classique. Au bout du compte, Aqd el jawhar version Haïder est enrobé sans gratuité aucune par une somptueuse mise en scène. Le défunt M’hamed Benguettaf aurait adoré.
 

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