Tewfik Hasni. Expert en transition énergétique : «Pour le gaz, le lien dans chaque région reste un lien directeur entre un vendeur et un acheteur»

29/02/2024 mis à jour: 06:36
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Photo : D. R.
  • Comment se présentent les enjeux du 7e Sommet du Forum des pays producteurs prévu à Alger ?

Les enjeux sont importants face à des défis énormes. Ceux-ci sont caractérisés par une spécificité des marchés gaziers qui restent régionaux. Il faut comprendre que le marché gazier n’est pas comparable au marché pétrolier qui est mondial et en conséquence peut mobiliser plusieurs acteurs derrière le même objectif.

Pour le gaz, le lien dans chaque région reste un lien directeur entre un vendeur et un acheteur. Ceux-ci liés par un gazoduc ou une chaîne de gaz liquéfié. Les négociations vont intégrer le montant des investissements, le prix sur le marché concerné, les garanties sécurisant les risques, au nom de la sécurité énergétique.

Donc vous comprenez que la variation des prix sur le marché va amener l’un des partenaires à redemander une hausse du prix ou sa baisse. Ceci est arrivé entre Sonatrach et son partenaire espagnol. Nous avons vu aussi que la volatilité des prix reste une menace au vu des gros investissements nécessaires.

L’exemple du complexe de liquéfaction au Mozambique qui vient d’être reporté au vu de l’écroulement du marché du GNL en Asie en 2023. 
Selon LNG Outloock 2023 : la Chine a réduit ses achats de GNL de 20% l’année dernière, en raison d’une combinaison de prix élevés.

• L’Asie du Sud, y compris l’Inde, le Pakistan et le Bangladesh, a réduit ses achats de GNL de 16% l’année dernière. De nombreux acheteurs de la région se sont complètement retirés des marchés au comptant et les fournisseurs sous contrats à long terme manquaient souvent de livraisons de marchandises pour obtenir des prix plus élevés. Le GNL a dégradé les perspectives de croissance de la demande dans la région.

• La croissance de la demande en Asie du Sud-Est est confrontée à des défis liés aux prix élevés et au GNL limité.

Au cours des prochaines années, les marchés mondiaux du GNL connaîtront de modestes ajouts d’offre, même si les pays européens continuent d’importer d’importants volumes de GNL pour remplacer le pipeline russe perdu.

L’IEEFA (Institut d’économie énergétique et d’analyse financière) s’attend à ce que les prix mondiaux du GNL restent élevés ; faible croissance de la demande de GNL et sensibilité élevée aux prix en Asie ; baisse de la consommation de gaz en Europe. Les projets de liquéfaction visant une mise en service après 2026 pourraient rencontrer une demande beaucoup plus faible.

Les marchés pourraient céder la place à une offre excédentaire, avec des prix plus bas que prévu, des revenus nets plus faibles, des marges plus serrées et des bénéfices plus faibles pour les exportateurs de GNL. Si on ajoute l’indépendance énergétique, cas du gaz russe pour l’Europe et l’impact des problèmes du climat et la volonté d’accélération de la transition énergétique suite à la COP28, cela vous donne une idée sur la dimension des défis.

  • Qu’en est-il des attentes pour ce qui est des conclusions portant sur l’accélération de la transition énergétique ?

Les attentes ont été formulées par les principaux acteurs et la transition énergétique est à présent actée. L’AIE (Agence internationale de l’énergie) a formulé des prévisions qui éliminent pratiquement le pétrole en 2050.

Le gaz, par exemple, évolue de 4150 milliards de mètres cubes en 2022 à 920 milliards de mètres cubes en 2050. Il aura servi certes à la transition énergétique, sans pour autant rassurer les investisseurs qui espèrent un rendement plus important du capital. De plus, la chaîne GNL reste pénalisée par les émissions de carbone.

Le cas du marché asiatique en particulier. Le marché européen n’en demeure pas moins problématique. Les Etats-Unis se sont engagés à fournir 89 millions de tonnes de GNL à la France et l’Allemagne qui vont réduire énormément la taille du marché restant face à une concurrence féroce.

  • Quel est le rôle justement pour l’Algérie dans ce cadre, notamment à l’échelle africaine  ?

A l’échelle africaine, les concurrents de l’Algérie restent le Nigeria qui est entre les mains de majors pétroliers (Shell, Total, Enie et Chevron). Le Mozambique est devenu un acteur important dans le GNL. La question est quel marché est visé par l’un ou l’autre de ces acteurs et en quoi une entente peut se voir, sachant que le marché se fait entre un vendeur unique et un acheteur unique.

  • Les tensions géopolitiques actuelles ne risquent-elles pas de freiner les aides à la transition énergétique ?

Il me semble que ce soit le contraire, dans la mesure où les Etats-Unis ont annoncé que les ENR représenteront 62% de leur mix énergétique en 2040. Les Européens sont plus poussés par les besoins de sécurité énergétique et de sortie de la dépendance du gaz russe. Ils annoncent 90% à cet horizon.

La Chine qui importe ses besoins produit dans le désert de Gobi avec les ENR, la moitié de la production électrique des Etats-Unis. Même les compagnies pétrolières nationales ont d’ambitieux programmes de développement dans les ENR. A la COP28, les Emirats ont inauguré une centrale 100% solaire. 

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