Tewfik Hasni. Expert en énergie : «La seule solution durable reste la transition énergétique»

26/02/2025 mis à jour: 20:59
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La seule filière qui offre des prix fixes sur 25 ans reste, selon l’expert en énergie Tewfik Hasni, le mix 80% chaleur avec stockage et 20% photovoltaïque. 

Dans ce cas, il estime que le seul pays qui peut offrir cette ressource reste l’Algérie, et ce, d’autant, relève-t-il, que cette filière peut décarboner toutes les industries. Ce qui offre, de l’avis de notre expert, la possibilité à l’Algérie de renégocier ses relations avec l’UE, en affichant l’ambition de devenir l’atelier de l’Europe.

 

 

Quel bilan faites-vous du secteur des hydrocarbures 54 ans après la nationalisation ?

Il est difficile de faire un bilan du secteur des hydrocarbures si on veut s’inscrire dans les objectifs initiaux. Le programme Valhyd (Valorisation des hydrocarbures) visait à utiliser les hydrocarbures par une valorisation maximum afin de récupérer la valeur ajoutée. On se rappelle que ceci devait être achevé en l’an 2000. Le 24 février 1971 a été la première étape avec la récupération de notre souveraineté économique. La pétrochimie et les engrais étaient les axes prioritaires. 

Les marchés étaient réduits, et une entente tacite avec les maîtres du marché était que le premier qui s’annonçait sur le marché bénéficiait d’une priorité et cela bloquait tout autre projet pendant trois ans, la fin de la construction. Cela impliquait une prise de décision rapide pendant l’ouverture de la fenêtre. 

Il est vrai que le GNL nous a ouvert un marché du gaz plus important et nous a libérés de la mainmise du colonisateur. Ceci pour un certain temps, le lobby français a réagi en bloquant le GNL3, la troisième usine de GNL prévue à Arzew pour le marché allemand. Il est aussi arrivé à nous écarter du marché US qui était devenu notre premier client. Nos ennemis avaient su toucher notre point fort. Le gaz avec une subvention intenable qui a poussé en conséquence la consommation interne qui a fini par connaître ses limites.

Le marché pétrolier avec une forte consommation interne n’a fait que décliner avec le temps.
Les tendances futures aussi bien pour le pétrole, avec, selon Ernst Young, un prix de 60 $/bbl et un gaz qui risque d’être rejeté par le marché européen au nom de la sécurité énergétique et de la géopolitique ne sont pas de bon augure.

Va-t-on continuer à subir la volonté de certains lobbies qui font tout pour nous écarter de la plus grande réserve énergétique décarbonée : le solaire thermique qui représente l’équivalent de 39 000 milliards de mètres cubes de gaz par an.

Justement, avec les changements à l’échelle mondiale, la multiplication des crises géopolitiques, comment se présentent justement les perspectives que ce soit sur le marché du gaz ou du pétrole ?

Les crises multidimensionnelles que vous citez ont commencé à montrer leur impact.

Le président Trump, qui devait bien connaître la situation de l’industrie pétrolière aux USA, a voulu mettre la pression sur les concurrents. Il a essayé de contrôler l’OPEP par injonction adressée à l’Arabie saoudite, seul pays disposant de réserves de pétrole importantes et membre de l’OPEP.

Aussi, M. Biden et M. Trump veulent réduire le prix du brut pour leurs électeurs et aussi pour favoriser leurs industries. Le prix du gaz est le plus bas au monde.

L’appel à augmenter la production de pétrole avait pour objectif de remettre en cause l’orientation pour le climat de M. Biden. La dette américaine a atteint une limite insupportable. Les USA n’ont plus les moyens financiers. 

Sinon, comment expliquer qu'aussi bien le niveau des stocks que celui des produits pétroliers sont à leur plus bas niveau historique. Les USA importent près de 18 200 millions de barils/jour et exportent 18 400 millions de barils/jour du global pétrole et produits pétroliers. 

Mais l’industrie pétrolière américaine ne pouvait, au vu de l’impossible rentabilité du pétrole de schiste au prix actuel, donner suite à l’orientation du président Trump. 

On ne peut expliquer cela que par la tendance de ces produits qui est à la baisse. Les raffineries US traitent du pétrole lourd, le schiste produit du pétrole léger. De plus, le Venezuela voisin, la plus grande réserve de pétrole lourd, est sous contrôle des USA.

Mais la seule solution durable reste la transition énergétique. Les USA ont fait des efforts importants, et selon Bloomberg en 2040, 64% du mix énergétique seront des énergies renouvelables. Le solaire thermique avec son stockage reste leur objectif important. La recherche dans ce cadre est bien avancée.

Qu’en est-il des énergies renouvelables avec l’intérêt croissant des entreprises étrangères pour l’investissement en Algérie dans cette filière et dans l’hydrogène vert ? 

L’usage énergétique, il faut le savoir, était à 70% chaleur et 30% électrique. Le photovoltaïque n’est qu'électrique et sans stockage, donc intermittent.

Les besoins en chaleur étaient assurés par le gaz en Europe. Le problème géopolitique a amené à faire sortir la Russie du marché UE du gaz. Donc, l’hydrogène ne devait que remplacer le gaz. On peut se poser la question de savoir pourquoi certains pays gaziers aideraient le remplaçant du gaz. Il faut ajouter que le dernier rapport d’Ernst Young (EY) fait ressortir que l’UE, qui avait prévu une production de 20 millions de tonnes d’hydrogène en 2050, devait réaliser 100 GW d’énergie renouvelable. 

Le constat avancé par EY est décevant, au point que le cabinet conseil conclut que l’UE a raté ses objectifs. La question du marché se pose aussi. Si l’intérêt des politiques seulement semble exister, il faut savoir que l’intérêt des investisseurs pour l’instant s’oriente vers les véritables marchés. Les énergies fossiles par la volatilité des prix n’intéressent pas les investisseurs, il en est de même pour l’hydrogène. 

La seule filière qui offre des prix fixes sur vingt cinq ans reste le mix 80% chaleur avec stockage et 20% photovoltaïque. Il se trouve que le seul pays qui peut offrir cette ressource pour l’éternité tant que le soleil brillera reste l’Algérie. Cette filière peut aussi décarboner toutes les industries. Notre pays peut dans ce cadre renégocier ses relations avec l’UE sur le principe que notre pays a l’ambition de devenir l’atelier de l’Europe.

Quid de la formation dans ce domaine ?

J’ai eu à expliquer, par ailleurs, comment la nationalisation des hydrocarbures a pu réussir. C’était une stratégie qui s’est concrétisée sur 10 ans par la création d’abord de l’Institut des hydrocarbures de Boumerdès et de l’Institut algérien du pétrole.

Il faut savoir que nos ambitions sont de devenir un pays émergent avec un respect du développement durable en respectant tous les besoins énergétiques de l’Europe, du Maghreb et du Sahel.
Ceci en chaleur et électricité à partir d’hybrides 80% CSP et 20% photovoltaïque.

Pour arriver à exporter près de 40 000 MW en hybride (CSP +PV) et satisfaire avec 20 000 MW pour les besoins internes à l’horizon 2050, il faudrait former un million d’agents, à savoir 800 000 techniciens, 100 000 ingénieurs et 100 000 experts.

Entretien réalisé par Samira Imadalou
 

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