Tensions sino-américaines sur Taïwan : Pékin refuse tout «compromis» sur l’île

11/01/2024 mis à jour: 18:06
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lL’île, que la Chine entend reprendre, si nécessaire par la force, constitue un des différends qui alimentent les tensions sino-américaines. «Sur la question de Taïwan, la Chine ne fera jamais le moindre compromis ou concession», a affirmé la délégation militaire chinoise.

De hauts responsables militaires chinois ont affirmé à leurs homologues américains que la Chine ne fera «jamais le moindre compromis» sur Taïwan et ont exhorté les Etats-Unis à «cesser d’armer» l’île, a indiqué hier Pékin, selon des propos rapportés par l’AFP.

Ces propos ont été tenus lors de discussions militaires organisées lundi et mardi au ministère américain de la Défense à Washington, quelques jours avant l’élection présidentielle à Taïwan, prévue samedi. L’île, que la Chine entend reprendre, si nécessaire par la force, constitue un des différends qui alimentent  les tensions sino-américaines. «Sur la question de Taïwan, la Chine ne fera jamais le moindre compromis ou concession», a affirmé la délégation militaire chinoise lors de ces entretiens bilatéraux, selon un communiqué du ministère chinois de la Défense.

 «Elle exige des Etats-Unis qu’ils respectent le principe d’une seule Chine, qu’ils respectent leur promesse de façon concrète en cessant d’armer Taïwan et en s’opposant à toute indépendance de Taïwan», a-t-il indiqué.
Si les Etats-Unis reconnaissent la République populaire de Chine comme le seul gouvernement chinois légitime, ils sont également le principal fournisseur d’armes de l’île (officiellement la République de Chine). Ce qui irrite Pékin.

La Chine estime que Taïwan est l’une de ses provinces, qu’elle n’a pas encore réussi à réunifier avec le reste de son territoire depuis la fin de la guerre civile chinoise en 1949.  Elle dit privilégier une réunification «pacifique» avec l’île gouvernée par un système démocratique. Mais elle n’a jamais renoncé à employer la force militaire.
 

Les habitants de Taïwan voteront samedi pour élire leur prochain Président. Le vice-président taiwanais, William Lai, issu du Parti démocrate progressiste (PDP, pro-indépendance), est donné favori à la succession de l’actuelle présidente Tsai Ing-wen, également du PDP. Les deux dirigeants indisposent Pékin en raison de leurs positions en faveur de l’indépendance.
 

La  fêlure

Le profond fossé politique qui sépare Pékin de Taipei remonte au temps de la guerre civile chinoise, qui éclate en 1927 entre les forces nationalistes du Kuomintang (KMT) et des groupes de combattants  soutenant le Parti communiste. Défait par les communistes de Mao Tsé-toung en 1949, le chef du KMT, Tchang Kaï-chek, se replie dans l’île de Taïwan encore sous son contrôle. 

De là, les nationalistes continuent pendant des années à se considérer comme le gouvernement légitime de toute la Chine. Tout comme la République populaire de Chine continue aujourd’hui à considérer Taïwan comme une partie de son territoire à réunifier un jour ou l’autre, de force si nécessaire. En 1950, Taïwan devient un allié des Etats-Unis dans la guerre intercoréenne (1950-1953). Mais en 1979, alors qu’il est devenu évident que le Kuomintang ne reprendra jamais le pouvoir sur le continent, Washington rompt ses relations avec Taipei et reconnaît la République populaire de Chine. Dans le même temps, les Etats-Unis continuent à apporter un soutien décisif à Taipei. 
 

Nuances de l’Oncle Sam

En vertu d’une loi adoptée par le Congrès, Washington est tenu de vendre des armes à Taïwan pour que l’île puisse assurer sa défense face à la puissante Armée populaire de libération chinoise. Mais les Etats-Unis maintiennent une «ambiguïté stratégique» en s’abstenant de dire s’ils interviendraient ou non militairement pour défendre Taïwan en cas d’invasion. 

C’est cette option qui a permis de maintenir jusqu’ici une certaine stabilité dans la région. Face à la volonté croissante de la Chine d’intégrer l’île à son territoire continental, l’idée d’abandonner  l’«ambiguïté stratégique» commence à faire son chemin à Washington. L’intervention russe en Ukraine, qui fait craindre que Pékin ne fasse un jour la même chose à Taïwan, a donné des arguments aux partisans de la «clarté stratégique». Beijing, hostile à toute forme de reconnaissance internationale pour Taïwan, a perçu comme une provocation la visite à Taipei de Nancy Pelosi, la troisième plus haute personnalité de l’Etat américain, et déclenché des exercices militaires d’une ampleur et d’une intensité inédites tout autour de l’île. La politique américaine concernant Taïwan est riche en nuances. 

En application de ce qui est appelé la «politique d’une seule Chine», Washington reconnaît officiellement un seul gouvernement chinois, celui de Pékin. Mais, en même temps, les Etats-Unis se gardent d’approuver la position de Pékin selon laquelle Taïwan est une partie inaliénable de la Chine unique qui sera réunifiée un jour. Les Etats-Unis estiment que c’est à Pékin et à Taipei de trouver une solution, mais s’opposent à tout usage de la force pour changer le statu quo. Officiellement, Washington ne reconnaît pas Taïwan. 

Néanmoins dans les faits, Taïwan jouit de tous les avantages de ses relations multidimensionnelles avec les Etats-Unis. Ces derniers n’ont pas d’ambassade à Taipei, mais un «Institut américain» en fait office. Aux Etats-Unis, le «Bureau de représentation économique et culturel de Taipei» est également une ambassade qui ne dit pas son nom. Pékin, qui fait campagne pour empêcher toute reconnaissance internationale de l’île, a vivement réagi l’an dernier quand Taïwan a ouvert un bureau de représentation sous son nom en Lituanie, les autres ambassades officieuses utilisent le nom de «Taipei», plus acceptable pour l’Empire du Milieu. Taïwan, dont le nom officiel reste «République de Chine», est soumise jusqu’en 1987 à la loi martiale.  Le 2 novembre de cette même année, les Taïwanais sont autorisés à se rendre en Chine continentale pour des réunions de famille, ouvrant la voie aux échanges commerciaux. 
 

Du dégel aux convulsions

Dans les années 1990, la démocratie se consolide dans l’île, qui a développé au fil des années une identité distincte de celle du continent. Taïwan lève l’état d’urgence en 1991, mettant fin de facto à l’état de guerre avec la «rébellion communiste», donc avec la Chine, et amorce alors une politique de rapprochement avec Pékin. Ainsi, Taipei abroge les dispositions instaurant l’état de guerre avec la Chine. 

Mais en 1995, Pékin suspend des négociations vers une normalisation pour protester contre un voyage du président Lee Teng-hui aux Etats-Unis. En 1996, la Chine tire des missiles près des côtes taïwanaises peu avant la première élection présidentielle au suffrage universel le 23 mars à Taïwan. Le 14 mars 2005, Pékin adopte une loi antisécession prévoyant des moyens «non pacifiques» si Taïwan déclare l’indépendance.
 

En 2008, Pékin et Taipei reprennent leur dialogue suspendu en 1995. En 2010, ils signent un accord-cadre de coopération économique, puis nouent, quatre ans plus tard, un dialogue entre gouvernements. Le 7 novembre 2015, les présidents chinois et taïwanais se rencontrent à Singapour, une première depuis 1949.          

Les relations entre Pékin et Taipei se sont envenimées en 2016, avec l’arrivée à la présidence de Tsai Ing-wen. La dirigeante du parti DPP défend «l’identité nationale» de l’île et réclame un dialogue «d’égal à égal» avec la Chine. Pékin suspend toute communication et accentue sa pression diplomatique et économique sur l’île. En 2017, le président américain Donald Trump autorise une importante vente d’armes à Taïwan. L’année suivante, les Etats-Unis adoptent une loi renforçant leurs liens avec Taïwan. 

En 2019, Xi Jinping affirme qu’il ne renoncera pas à la force pour récupérer Taïwan, puis avertit Washington de «ne pas jouer avec le feu» après   une nouvelle vente d’armes à Taïwan. Mais plusieurs contrats d’armes suivront. En janvier 2020, Tsai Ing-wen, réélue, affirme que Taïwan est «un pays en tant que tel». Début octobre, Xi Jinping demande à l’armée de «se préparer à la guerre».

En octobre 2021, Taipei et Washington ont confirmé la présence de soldats américains sur l’île. Le même mois, le ministre de la Défense taïwanais, Chiu Kuo-cheng, a prévenu que l’armée chinoise aurait la «pleine capacité» d’attaquer le pays en 2025. 

Le 22 octobre, le président américain Joe Biden a affirmé  que les Etats-Unis sont prêts à défendre militairement Taïwan en cas d’attaque par la Chine. Dans la foulée, la Maison-Blanche  soutient toutefois que sa politique à l’égard de Taïwan, «d’ambiguïté stratégique», reste inchangée. Le 27, la Chine rejette une proposition américaine d’accorder à Taïwan une «participation significative» à l’ONU.  Le lendemain, la présidente de Taïwan reconnaît publiquement, une première depuis 1979, la présence de troupes américaines sur son sol.          
 

En mai 2022, le président Biden a répondu par l’affirmative à la question de savoir si les Etats-Unis défendraient militairement Taïwan. Rapidement, la Maison-Blanche a précisé que la position américaine sur Taïwan n’a pas changé et a réitéré son engagement envers la politique d’«une seule Chine». 

En août de la même année, la présidente de la Chambre des représentants américaine, Nancy Pelosi, a effectué une visite dans l’île, suscitant des représailles chinoises, avec des manœuvres militaires de grande envergure, encerclant l’île le 4 août et des tirs de missiles une semaine durant. Mme Tsai Ing-wen a rencontré, le 5 avril dernier, le successeur de Mme Pelosi, Kevin McCarthy, à Los Angeles. Pékin menace de représailles. 

Le 8 avril, Pékin annonce trois jours d’exercices militaires autour de l’île.Mardi, le chef de la diplomatie chinoise Wang Yi a estimé que les relations entre son pays et les Etats-Unis se sont «stabilisées» l’an dernier, au moment où les deux premières puissances économiques renforcent le dialogue pour surmonter leurs différends.

 Il a indiqué que Joe Biden a promis à Xi Jinping, lors de leur rencontre en novembre à San Francisco, en marge d’un sommet de l’Apec, que les Etats-Unis ne «soutiennent pas» l’indépendance de Taïwan.

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