Considéré comme forme d’expression artistique puissante et vibrante, le graffiti commence depuis quelques années, notamment depuis la pandémie de la Covid-19 qui a contraint beaucoup de gens à réduire leurs déplacements, sinon obligés au confinement, à s’imposer dans de nombreux quartiers d’Alger.
Il est devenu ce nouveau comportement collectif des fans de clubs qu’ils traduisent dans l’espace urbain.
C’est ce qui nous est donné, en tout cas, de noter ces derniers temps. Si certains abhorrent qu’on vienne amocher les murs de l’espace public, en les peinturlurant, d’autres par contre voient le geste comme une expression qui participe à l’art visuel. «Que ce soit bon ou mauvais, c’est à celui qui le regarde de décider, mais à partir du moment où cela signifie quelque chose pour vous, c’est de l’art», explique l’artiste Dan Pearce. Sous d’autres cieux, on voit de jeunes férus du street art, transformer l’espace urbain parfois, en de véritables galeries d’art à ciel ouvert. En donnant libre court à leur imagination, ils s’efforcent de partager leurs préoccupations et leurs espoirs.
Chaque coup de peinture ou de spray exprime une forme de rébellion, traduit un symbole de revendication quelconque, véhicule un message, extériorise un mal-être, raconte un morceau d’histoire, etc. Contrairement à l’expression multiple qu’on relève sous ces latitudes, nos jeunes veulent eux également se réapproprier leur espace urbain. Ils ne veulent pas rester à l’écart d’autres jeunots qui ont cette inclination pour le street art.
Ces pochoirs qui «pleuvent» sur les murs
Cela n’est pas défendu, sauf que leur coup de pulvérisation porte uniquement sur les figures emblématiques du sport roi, le foot et leurs clubs fétiches. Et rien d’autre. C’est le seul thème qui semble les animer. Chaque groupe de fans a pignon sur rue et s’empare d’un brin de territoire. Soit. Parfois, ils opposent leur dialogue sur fond de confrontation via des slogans, parfois hostiles, voire chargés d’inimitiés qu’ils expriment dans la langue du pays de La Botte pour faire plus crédible et rentrer certainement, selon un observateur, dans les bonnes grâces de Buffon, Zoff, Baggio et autres Pirlo, Maldini et Tardelli. La réglementation reste aphone sur les inscriptions murales tous azimuts. Chacun s’aroge le droit de barbouiller «son» mur. Au niveau de la municipalité de Bologhine qu’on a approchée, les élus semblent à court d’arguments pour réagir contre ces bariolages ou ces slogans et pochoirs dits sportifs qui revêtent un caractère d’inimitié cachée… Car comment interpréter cette rime déplacée qui ne donne pas moins froid au dos : «Stile ostile» qui, littéralement, signifie «comportement hostile» ? «Un pochoir» qui met en charpie leur redondant «amore e mentalità», tient à commenter un fan d’un club adverse.
Les réponses à coups de tag sont en effet, légion, comme ces petites phrases quelque peu sentencieuses qui pleuvent sur les murs : «Primo decano» (Premier Doyen) et «Siamo la capitale» (Nous sommes la capitale) qu’accompagnent ces redondantes initiales UGC et UTTP qui maculent les murs et façades d’immeubles. «Cela tout signifie respectivement Ultras Green corsaires (Corsaires ultra verts) et Ultras the twelfth player (les ultras, le 12e joueur)», lance Ramzi R. et Mohamed G., deux gais lurons de Bab El Oued qui tiennent à éclairer notre lanterne. Chaque groupe de fans de clubs se réserve une zone pour pouvoir «s’exprimer», renchérit son compère, muni d’un pack de bombes de peinture qu’il lance à son alter ego accroché sur une échelle en train d’esquisser une scène d’El Bahdja frappée d’un aphorisme cher au club et du portrait de l’icône populaire, Amar Zahi, que flanque une autre fresque que rehausse l’effigie de cheikh M’rizek, arborant une mandoline sous le menton.
«Ancora noi» (Toujours nous !) se veut cette réplique soft de la galerie du club unioniste cher à l’autre figure emblématique du chaabi, El Hachemi Guerrouabi ; ces aficionados qui veulent avoir la mainmise sur un bout de leur quartier. Mais que dire de ce slogan somme toute impertinent : «Khelli el houma tadhyâk alayhoum (traduit littéralement, cela donne «Que le quartier se resserre contre eux») ? lit-on sur le fronton d’un immeuble dans un des quartiers populeux et populaires de la capitale.
«Quels sont les motifs, nom de Dieu, de cette levée de boucliers gratuite, alors que le sport est une activité censée fédérer les esprits ?», s’interrogent avec un air éberlué des riverains de l’ex-Baseta. «Pourquoi s’ingénier à vouloir s’identifier au pays de Pavarotti, en arborant dans certains quartiers de La Casbah et Bab El Oued l’emblème à la bande tricolore : vert, blanc et rouge ? questionne un ancien habitant la Casbah qui se fait relayer par un octogénaires : «A croire qu’on est dans un quartier de Naples, Rome, Milan ou Florence…»
Des questions qui ne laissent pas, le moins qu’on puisse dire, le commun des supporters interloqué. En somme, une image que rejette un ancien dirigeant du Mouloudia qui, sur un ton amer, laisse échapper cette déclaration : «Il n’y a pas un iota de doute que Baba Hamoud (surnom de Abderrahmane Aouf, ndlr), Braham Derriche, Mouloud Djazouli, Ismail Khabatou, Abdelkader Drif et autres Amar Kheloui, Omar Hahad, Mohamed Ferhani ou encore les Mahmoud Abdoun et Abdelmalek Temmam, ceux-là mêmes qui ont servi et porté haut et fort les couleurs du Doyen des clubs algériens et du coup, l’esprit de la révolution algérienne – et non de l’Italie – se retourneront dans leurs tombes en voyant ces dérives que les Ultras sont tenus de bannir».