La projection de courts métrages est toujours un moment intéressant dans le sens où il permet les découvertes ou du moins les indices à travers lesquels il serait possible de se projeter dans le cinéma de demain. Tournés en Algérie ou ailleurs, mais en rapport avec le pays, une série de courts métrages a été proposée jeudi à l’institut français d’Oran en présence des concernés, réalisateurs ou acteurs des films. Tout part de l’idée, mais même quand on en a pas (ou pas encore), on peut toujours se fier à la mémoire individuelle ou familiale.
C’est la démarche de Rayane Mcirdi, qui a trouvé dans les souvenirs des retours en «vacances» en Algérie des membres de sa famille (mère et tantes, notamment et à l’époque où elles étaient jeunes), un matériau pour construire un récit cinématographique.
En gros, dans Après le Soleil (2024, 25mn), tout se passe dans le van qui fait le trajet entre la banlieue parisienne et la ville de Marseille, lieu d’embarquement dans l’un des innombrables ferries qui faisaient et continuent à faire la navette entre les deux pays.
e résultat est en même temps une espèce de road-movie, mais en même temps un huis clos dans la mesure où les personnages n’ont quasiment aucun contact avec le monde extérieur, et ce, avant, pendant ou même après le trajet.
De l’autofiction pure. Le terme est emprunté à la littérature et la tendance qu’il avait générée dans le milieu artistique avait été critiquée, il y a quelques années et dans ce même lieu (CCF à l’époque), par l’écrivain franco-algérien, Karim Amellal, invité par la même instance pour présenter son premier roman intitulé Cités à comparaître. La parenthèse fermée, en théorie, le jeune réalisateur place le récit dans un passé assez révolu, mais aucune indication temporelle ne vient situer les événements.
Des contraintes financières évidentes sont à l’origine des anachronismes constatés et révélés par le réalisateur lui-même à l’issue de la première série de projections mais qui confèrent au film un aspect atemporel intéressant pour dire peut-être que les choses n’ont pas beaucoup changé aujourd’hui avec, toujours en été, des flux d’immigrés qui débarquent, véhicules pleins à ras bord et des histoires de famille à n’en pas finir.
Dans l’une des séquences, l’accès de colère du père (relativement cool d’habitude), sortant du cadre du «devoir de pudeur» envers ses enfants (culture locale oblige), notamment ses deux grandes filles dont l’une venait juste de se marier, est le seul moment cocasse du film pour rompre la monotonie.
«En fait, les vacances c’était pour lui, car à cause des promesses non tenues, c’est-à-dire leur faire visiter Oran ou Tlemcen qui lui rappellent sa jeunesse, les filles, qui n’ont pas de lien direct avec les lieux, se retrouvaient cloîtrées à la maison pour n’en garder au final que de mauvais souvenirs et la décision de ne plus y retourner», explique Rayane Mcirdi , évoquant la réalité qui motivait ce périple familial.
Emily versus Aïcha
Le cadre familial est aussi le sujet du film Aïcha (2023, 18 mn) de la réalisatrice Coralie Lavergne, qui s’est, elle aussi, inspirée de sa propre vie et qui se prête bien à des extrapolations. L’idée ici concerne le point de vue d’une adolescente, Elsa, que la scène d’ouverture du film montre accompagnant sa mère pour aller jusqu’au port de Marseille accueillir un grand-père qu’elle n’a jamais vu auparavant.
La mère, prénommée Aïcha à l’origine, avait depuis longtemps, et donc à l’insu de sa fille, opté pour Emily et la raison est évidente. La trame classique du film n’empêche pas la mise en avant d’une symbolique très forte. Le changement de nom est un prétexte.
Une génération qui a connu les deux pays a voulu s’intégrer dans le pays d’accueil en considérant leur identité d’origine un peu comme un fardeau, mais ce sont les générations ultérieures qui en demandent et le comportement de la petite fille qui découvre son grand-père en dit long sur toute une jeunesse, peut-être mal dans sa peau à cause, en partie, du sentiment d’une perte d’identité.
La scène de la prière, introduite consciemment ou pas, fonctionne comme si on a voulu orienter cet aspect des choses vers la religion, en adéquation avec les débats dominants depuis quelque temps en France et en Europe en général. A un moment, la petite fille, toute contente, a voulu présenter son grand père à ses copains et copines, mais se heurte à un refus catégorique de sa mère.
S’ensuit une scène de colère, y compris envers ses camarades. «Tu ne veux pas qu’on voit ton grand père, en fait tu n’en a pas, c’est ça ?», lui lancent ces derniers qu’elle abandonne d’ailleurs violemment, à leur déception, pour aller s’isoler et méditer, emportant la chaîne avec le pendentif de type «khamsa», élément culturel commun au Maghreb et offert par son grand-père. La tirade et la séquence sont lourdes de sens.
Un cri de révolte et une sorte de repli méditatif dans une symbolique lointaine. Les deux femmes finiront quand même par se réconcilier avec une mère qui accepte enfin de parler à sa fille ou juste d’accepter en quelque sorte son passé algérien.
Repères cinématographiques
Quelque peu déroutant, le film «Veritas (2024, 15 mn)» de Thomas Castaing est autocentré sur le métier et, mieux encore, l’idée même à l’origine de ce travail a été suggérée in situ. C’est le réalisateur, qui en parle à l’issue de la projection. Cela s’est passé dans le cadre d’une formation menée à Alger sur les métiers du cinéma englobant l’écriture scénaristique. L’idée d’un fugitif qui fait irruption dans un plateau de tournage pour chambouler le travail de l’équipe a été retenue.
Il s’en suit un mélange des genres, une multiplicité de points de vue, une profusion d’outils de filmage et un récit éclaté, qui ne donne sur rien si ce n’est, malgré tout cela, un sentiment de déjà vu au pluriel. Le même sentiment préside à la construction du film Inconnu (2023, 13 mn), de Ahmed Zitouni et interprété par Nardjes Asli, présente au débat.
Tout se passe dans l’intérieur relativement cossu d’une artiste peintre qui reçoit un coup de téléphone assez curieux la sommant de remettre l’appareil (qu’elle dit avoir trouvé) à un tiers dénommé Khaled et avant minuit, sinon elle allait le regretter. Un manque flagrant de rigueur caractérise cette imitation du genre fantastique, très rare, y compris dans la filmographie française, encore mois algérienne.
Dynamisme et continuité pour le premier, cas mais interruption presque brutale pour le second entraînant à coup sûr une perte de repères cinématographiques locaux. L’actrice qui est intervenu dans le débat n’était, par ailleurs, pas obligée de trouver un sens à ce genre de travaux qui normalement se suffisent à eux-mêmes.
Elle dira quand même, partant du principe que le personnage devient subitement et à son tour menaçant, que «c’était pour montrer comment une artiste, à cause ou grâce aux différentes pressions qu’elle subit, peut-elle-même les extérioriser pour les exprimer à son tour face au public».
Géopolitique du désert
Beaucoup plus expérimental est par contre le film Memories of an unborn sun (2024, 22mn), signé Marcel Mrejen, qui a pris comme décor le désert algérien mais avec, paradoxalement, un cadrage serré particulièrement étouffant.
Pas de cadrage en revanche sur le personnage sensé représenter un ouvrier chinois (porté par un acteur franco-chinois maîtrisant la langue d’origine), dont le récit en off, frictionnel, raconte sa venue en Algérie pour travailler dans un projet d’énergie solaire dans le Sud. Au milieu de la rocaille calcinée du désert, une lointaine silhouette errante, des engins de chantier et quelques panneaux solaires donnant l’air d’être mis là par le truchement d’une manipulation de l’image après coup.
En complément, inséré comme pour former un diptyque, un extrait documentaire d’archives de l’armée française montrant les préparatifs d’un essai nucléaire pour une explosion qui allait ébranler toute une crête. Ce n’est pas tant l’œuvre elle-même qui peut, en effet, de par la forme choisie, donner lieu à des interprétations diverses au gré des spectateurs, mais ce sont les déclarations du réalisateur parlant de son film qui suscitent le débat.
Quel rapport entre les deux parties enchevêtrées du film ? Avancé déjà ailleurs et répété lors de la discussion avec le public à l’issue de la projection, le réalisateur persiste et explique en substance qu’il a voulu faire lien entre la colonisation française en Algérie et le «néocolonialisme chinois» avec comme point commun cette question du désert et de l’énergie. L’amalgame est de taille. Dans son film, il est question de deuxième soleil en référence à l’énergie solaire, mais il intègre aussi le nucléaire.
Entre parenthèse, il existe aussi l’idée et l’image d’un soleil artificiel en lien avec la bombe atomique et, pour rester dans la fiction, figurait déjà dans l’adaptation par Spielberg en 1987 du roman «L’empire du soleil», de l’écrivain britannique G. Ballard (1930-2009) et représentant le point de vue d’un enfant dans le tumulte de la deuxième guerre mondiale à Shanghai, ville occupée par l’armée impériale japonaise qui, auparavant en tant que vraie puissance coloniale à l’époque, avait envahi aussi la Chine avant que ses villes d’Hiroshima et de Nagasaki ne soient anéanties par cette arme de destruction massive développée par les Américains.
C’est pour dire que malgré les conséquences désastreuses, les puissances d’alors sont tout de suite entrées dans la course. Une course à l’armement à grande échelle qui renvoie curieusement à l’actualité d’aujourd’hui, sachant que les conflits les plus meurtriers de l’ère moderne ont tous eu comme théâtre le continent européen ou exportés à partir de là.
La question de l’énergie, côté nucléaire, dont il est question dans les propos de l’auteur concerne uniquement le côté destructeur, un aspect qui ne concerne en rien l’énergie solaire, ce qui rend difficile à admettre, la couleuvre étant trop grosse à avaler, du moins dans le contexte algérien, le raccourci vers un néocolonialisme supposé de la Chine.
La parenthèse fermée, le paradoxe réside aussi dans le fait que concernant l’énergie solaire, l’Algérie s’est d’abord associée avec les Allemands (dans le cadre du projet Desertec) et avec les Japonais (Solar Breeder).
Alors que le second concerne des partenariats de type universitaire, le premier, beaucoup plus ambitieux, a finalement été déclaré aujourd’hui dépassé, car on avait tablé sur un transport jusqu’en Europe, mais il aurait sans doute fallu un recours aux surproducteurs (inexistants à température, sinon à pression, ambiante) pour limiter les pertes liées au transport afin de le rendre rentable. L’Algérie a finalement opté pour la construction de petites centrales solaires d’où les récents partenariats avec les Chinois.
Un projet plus réaliste. Si c’est la condition des ouvriers chinois employés par des sociétés chinoises qui préoccupent le réalisateur, pourquoi pas. Mais ce n’est visiblement pas le propos.
Dans son échange avec le public, le jeune cinéaste avait indiqué qu’il n’était venu en Algérie qu’à l’âge de 18 ans et c’était, précise t-il, pour l’enterrement de sa grand-mère décédée en France mais rapatriée en Algérie. «Ce qui m’avait frappé à l’époque, c’était justement tous ces ouvriers chinois qui travaillaient dans le bâtiment», indique-t-il. Un autre sujet intéressant mais visiblement sacrifié sur l’autel d’une géopolitique qu’on a du mal à maîtriser.
Ni l’esthétique, ni la dimension métaphysique, ni même la poésie (les vers déclamés en berbère touareg), qui caractérisent la partie solaire de ce film ne justifient le basculement vers l’idée de menace si ce n’est celle des promoteurs de la guerre et ils sont déjà en action mais pas la Chine. Une chose est sûre, Marcel Mrejen gagnerait peut-être plus à juste laisser son film parler pour lui.