Si El Hachemi Assad. Secrétaire général du Haut Commissariat à l’amazighité (HCA) : «Tous les défenseurs de la réhabilitation de l’amazighité sont viscéralement attachés à l’unité nationale»

10/01/2024 mis à jour: 16:37
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Photo : D. R.

Dans l’entretien accordé à El Watan, le SG du HCA revient sur les activités célébrant le Nouvel An amazigh. Il évoque aussi l’évolution de l’enseignement de tamazight qui, regrette-t-il, «reste précaire moins dans la pertinence des textes officiels régissant la politique de l’Etat en la matière que (…) dans la gestion scolaire institutionnelle de ce fondement et attribut de la nation».

  • Le Haut Commissariat à l’amazighité (HCA) célèbre cette année Yennayer sous le slogan : «Yennayer, trésor culturel authentique et un élément rassembleur pour le développement durable». Vous avez déclaré, dans votre conférence de présentation du programme des festivités, que la célébration du Nouvel An amazigh revêtira cette année un caractère «moins folklorique, plus orienté vers les aspects scientifique et économique». Qu’en est-il ?

Au regard du contenu des activités organisées cette année par le HCA sous le haut patronage du président de la République Abdelmadjid Tebboune en partenariat avec la wilaya d’Alger et d’autres institutions et associations, il ressort qu’une tendance lourde se dessine et cela a commencé à être visible depuis déjà quelques années.

Elle se construit autour de dynamiques porteuses de logiques à long terme : la production littéraire, voire artistique (cinéma, théâtre...), les travaux en linguistique et en anthropologie, la traduction, l’onomastique (étude des noms propres)... Le nombre de publications présentées au SILA 2023 en est un indicateur à la fois quantitatif et qualitatif tout à fait remarquable.

C’est pour cette raison que Yennayer est un événement à saisir à plusieurs niveaux : dans sa dimension éducative, sa portée historique (calendrier agraire), sur un plan patrimonial de cohésion sociale, ses déclinaisons scientifiques et pédagogiques, ses expressions culturelles et festives humaines les plus fécondes (rapport à la Terre nourricière).

Et enfin la morale d’une action millénaire qui allie avec pertinence l’intelligence d’une tradition sociale et culturelle typiquement locale et ses différentes valorisations et réinvestissements dans le cadre du développement économique et social de notre pays, en termes de solidarité et de sécurité alimentaire.

La célébration de Yennayer met en avant des valeurs transmises par référence à la culture de l’économie des biens individuels et collectifs, à la solidarité et entraide des groupes humains et des populations (touiza). Voilà ce que nos ancêtres nous ont transmis ! Il reste aux chercheurs et aux agents économiques d’en formaliser le contenu et les messages, d’en faire un levier local de culture économique et une économie des biens culturels, dans un esprit de développement durable.

C’est ce qu’il est réellement ! Yennayer a sédimenté à travers le temps des rites agraires adossés à des productions artistiques, festives et gustatives, dans toutes les régions du pays, dans la diversité des pratiques locales mais néanmoins exprimés dans une unité de sens tout à fait remarquable : solidarité, joie, partage, fertilité…

  • Vous avez affirmé, dans votre conférence, que l’année dernière a été «mise à profit pour établir le diagnostic de l’enseignement de tamazight et affiner le travail de prospective» à l’horizon 2038. Quel bilan faites-vous de cet enseignement ?

Les diverses analyses et études effectuées sur la situation de l’enseignement-apprentissage de tamazight en Algérie ont montré que sa gestion scolaire, depuis son introduction dans le système de l’éducation nationale, en 1995, a été parsemée de problèmes à la fois structurels et conjoncturels : plusieurs obstacles communément identifiés maintenant, à la fois délibérés et souvent de manière inconsciente, ont ralenti son épanouissement et du coup sa généralisation.

Les procédés de concertation concernant le dossier de l’Amazighité se sont multipliés et les occasions pour débattre de ces questions n’ont pas manqué de réunir tous les acteurs institutionnels et autres acteurs du terrain, préconisant des solutions aux multiples problèmes et obstacles rencontrés.

Il en est ainsi des plus récurrents : le caractère facultatif de cet enseignement ; le volume horaire inapproprié ; les profils des enseignants et leurs problèmes socioprofessionnels ; le nombre dérisoire de postes budgétaires ; la qualité des supports pédagogiques et didactiques ; les modalités d’enseignement de la langue (choix du caractère, variante linguistique à enseigner et hétérogénéité des apprenants) ; les pratiques bureaucratiques, etc.

Sur les trois paliers d’enseignement à l’éducation nationale, les constats sont globalement positifs : l’évolution du nombre de wilayas où sont dispensés les cours de tamazight est positive avec une nette évolution dans le cycle primaire, moyenne dans le moyen et peu évolutive dans le secondaire.

Toutes les données quantitatives affichent une évolution positive et des décroissements qui ne peuvent s’expliquer par des paramètres, en rapport avec l’absence de l’établissement des grandes lignes d’une vision prospective, avec une détermination des objectifs du secteur de l’éducation concerné à court, moyen et long terme, définis et chiffrés, sur la base des analyses effectuées en sériant les options stratégiques pour atteindre les objectifs pédagogiques visés, notamment en matière de généralisation progressive de cet enseignement ; d’où le caractère aléatoire de la gestion administrative et pédagogique de ce fondement de la nation.

  • Justement, vous regrettez que la «dimension nationale» de tamazight ne soit pas vraiment «consacrée» comme le stipule la Constitution de 2020. Vous évoquez surtout l’existence de «résistances» au sein de certaines DE, qui traitent, selon vous, la question de cet enseignement, «selon les humeurs», ou encore le gel de la commission mixte-ministère de l’Education-HCA. Que vous répond-on au niveau de ce département ?

L’adossement, il y a quelques années, par exemple, de la généralisation de tamazight à l’évaluation des directeurs de wilaya, a donné des résultats très positifs, voire impressionnants.

Il s’en est suivi, malheureusement, un déficit de gouvernance localement et par conséquent des discontinuités des effectifs des apprenants d’une wilaya à une autre et d’un responsable à un autre, et cela, à l’évidence, du degré d’engagement du responsable vis-à-vis de l’enseignement-apprentissage de tamazight.

  • Vous avez de tout temps demandé la levée d’un «verrou» : le caractère facultatif de cet enseignement contenu dans la loi d’orientation de l’éducation 08-04 du 23 janvier 2008. Y a-t-il un projet de révision de ce texte ?

En somme, l’évolution de tamazight reste précaire moins dans la pertinence des textes officiels, régissant la politique de l’Etat en la matière (Constitution, lois d’orientation, programme du président de la République, programme du gouvernement), que dans la gestion scolaire institutionnelle de ce fondement et attribut de la nation.

  • Vous restez toutefois optimiste en déclarant que le  «processus de réhabilitation de cette constante identitaire nationale sera davantage renforcé et consolidé» cette année. Qu’en est-il ?

C’est le 70e anniversaire du déclenchement de la Révolution de Novembre 54. Tous les défenseurs de cette mission noble de réhabilitation et de promotion de l’amazighité sont viscéralement attachés à l’unité nationale et à son intégrité territoriale.

Ce courant patriotique est très fort chez nous. Il doit trouver son prolongement naturel dans la gestion institutionnelle du pays. Le HCA, comme d’autres institutions, n’en sont que les instruments. Un si vaste pays, avec un tel sentiment national, n’est pas le fruit du hasard.

La géographie ne suffit pas quand elle n’est pas adossée, à l’évidence, à des ancrages historiques et des convergences démographiques, culturelles, linguistiques, militaires majeures, comme celles du 1er Novembre et bien avant. Pour cela, nous avons des propositions concrètes !

  • La cérémonie d’attribution du Prix du président de la République pour la littérature et la langue amazighes aura lieu le jeudi 11 janvier. Y a-t-il un engouement des auteurs pour ce prix qui en est à sa 4e édition ?

Le nombre de candidats ne cesse d’augmenter depuis le lancement de ce Prix en 2020. C’est aussi un autre indicateur. Il faut relever également la répartition géographique qui couvre tout le territoire national. L’attribution du Prix du président de la République pour la littérature et la langue amazighes, adossée à la célébration officielle de Yennayer, est devenue un événement majeur dans le champ de la culture nationale.
 

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