Sellali Ali ou Allalou honoré au 16e Festival national du théâtre professionnel d’Alger : L’homme de théâtre qui a déchiré ses pièces

07/01/2024 mis à jour: 00:16
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La ministre de la Culture avec la fille de Allalou

Le hall d’entrée du Théâtre national Mahieddine Bachtarzi d’Alger (TNA) porte désormais le nom de Allalou ou Sellali Ali, l’un des pères fondateurs du théâtre algérien.

Une plaque commémorative, qui porte le nom de Allalou, a été dévoilée par la ministre de la Culture et des Arts,

Soraya Mouloudji, le 31 décembre 2023, lors de la clôture du 16e Festival national du théâtre professionnel d’Alger (FNTP). Le FNTP, qui s’est déroulé du 22 au 31 décembre 2023, a consacré un débat sur le parcours de Sellali Ali dit Allou, né à La Casbah d’Alger en mars 1902 et décédé en février 1992. 

L’universitaire Ahmed Cheniki, qui a animé le débat, est revenu sur le contexte historique dans lequel est né le projet théâtral de Allalou.

Une méfiance existait, selon lui,  à l’époque sur l’emprunt à l’occupant français de ses méthodes et de ses pratiques en matière politique, littéraire et artistique. «Avec l’arrivée de la troupe de Soliman Cardahi d’Egypte, en 1907, le déclic a eu lieu. La première pièce présentée en arabe en Algérie par cette troupe était en 1909, et pas en 1921. 

Les Egyptiens ont repris les formes européennes du théâtre. Les Algériens se sont dit qu’ils pouvaient faire comme les Egyptiens et produire du théâtre dans les mêmes formes», a précisé Ahmed Cheniki.

Soliman Cardahi est considéré comme le père fondateur du théâtre égyptien moderne et l’un des fondateurs du théâtre en Tunisie (Cardahi est mort à Tunis en 1909).

Selon l’universitaire, Sellali Ali s’est inspiré des travaux de Cardahi pour monter son premier spectacle en avril 1926, Djeha, une pièce en trois actes, après la création de la troupe Zahia en 1925. La pièce a été présentée pour la première fois au théâtre Le Kursaal à Bab El Oued, à Alger.

«Allalou est le premier à utiliser un personnage de légende dans le théâtre»

«Allalou était autodidacte. Il jouait du théâtre à quinze ans au Foyer du soldat (à l’hôtel Aletti). Il a été aidé par Edmond Yafil en matière de formation musicale (au sein de l’association El Moutribia avec Mahieddine Bachtarzi). Allalou est le premier à utiliser un personnage de légende dans le théâtre algérien et à recourir à l’arabe dialectal dans l’écriture du texte de Djeha. Cela lui avait valu quelques oppositions de certains qui considéraient la djaridja comme une langue vulgaire», a expliqué l’universitaire.

Selon lui, le recours à l’arabe dialectal a attiré du public dans les salles où Djeha a été représentée. «Dans leurs mémoires, Allalou ou Bachtarzi évoquaient cette présence du public qui s’identifiait au spectacle. Un spectacle élaboré selon une structure duale avec, d’une part, l’espace théâtral, et, de l’autre, l’espace populaire. Allalou a utilisé, et pour la première fois, aussi le chant et la danse dans son spectacle. 

Une expérience reprise après par Rachid Ksentini. Allalou a adapté ensuite des pièces à partir des Contes de Mille et Une nuit en recourant à la parodie comme dans Abou el Hassan el moghafal. Dans cette pièce, le héros est tué. Il s’agissait d’une rupture avec l’image du héros traditionnel», a détaillé Ahmed Cheniki.

D’après lui, Allalou critiquait, «peut-être sans le savoir», la théorie des naturalistes sur le théâtre. «Le théâtre n’est pas la vie. Il n’y a pas de possibilité de reproduire la vie au théâtre. Allalou recourait aux formes populaires en traitant de sujets qui touchaient la société. L’expérience d’écriture de Allalou sera reprise par tous après», a souligné Ahmed Cheniki.  

Outre Djeha Abou El Hassan el moughafal ; Allalou a écrit cinq autres pièces dont Zaouadj Bouakline (le mariage de Bouakline) et El sayad ou al afrit. «Mon père a déchiré toutes ses pièces», a annoncé Fatiha Sellali, fille de Allalou. 
Elle n’a pas expliqué les raisons de cet acte. «C’est une question qu’il fallait lui poser de son vivant. Je ne saurai vous dire ce qui s’est passé. Je ne garde qu’une affiche d’une dernière pièce qui devait être jouée par Keltoum. Nous n’avons aucune trace de ce qu’il a écrit. Il n’y a pas de copies. Nous avons perdu ces pièces», a témoigné Fatiha Sellali.

Selon Ahmed Cheniki, Allalou a écrit une pièce en 1976, la seule qui existe encore. «Dans ses mémoires, Bachtarzi évoque beaucoup le parcours de Allalou. Allalou a écrit L’Aube du théâtre algérien (publié en 1982) dans lequel, il revient sur ses pièces de théâtre», a-t-il précisé.

Toutes les pièces d’Allalou «exprimaient le vécu social de l’époque»

Le comédien Hamid Rabia a apporté son témoignage sur Allalou en rappelant tout son parcours professionnel depuis le début des années 1920.  «Allalou a rencontré Bachtarzi, Dahmoun et Lakhal Bouchama. Ils ont travaillé ensemble dans des sketchs sociaux et des monologues comiques pour éveiller la conscience des Algériens. Des spectacles qui avaient une teneur politique critiquant l’action des colonisateurs français. En 1921, il a créé avec Bachtarzi l’association musicale El Mouhadhabia avec laquelle ils assuraient des soirées durant le Ramadhan notamment», a-t-il souligné.

Il a indiqué qu’Allalou avait créé la troupe Zahia avec Brahim Dahmoune  en 1926. «Dahmoune, qui était un bel homme, jouait le rôle de femmes, faute de comédiennes. Après la mort de son épouse, Allalou a gelé les activités de sa troupe pour s’occuper de sa famille. Il est revenu en 1927 avec la pièce Antar El hachaïchi qui dénonçait la propagation de la drogue au sein de la société à l’époque. En 1931, il avait écrit la pièce El khalifa et le sayad de Baghdad, puis Halaq Gharnata, écrites en dialecte arabe. 

Toutes ses pièces exprimaient le vécu social de l’époque. Recruté à la société du tramway d’Alger, il avait subi des pressions de choisir entre le théâtre et son travail. Il a préféré s’occuper de sa famille en leur assurant de quoi vivre», a ajouté Hamid Rabia. Allalou est, selon lui, le père du théâtre populaire algérien.    
 

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