Samira Brahmia. Auteur, interprète, compositrice et actrice : «Il faut absolument créer un marché culturel africain»

17/04/2023 mis à jour: 17:03
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Photo : D. R.

A la faveur d’un concert, donné  le week-end dernier à Alger, l’artiste Samira Brahmia-qui est installé en France depuis quelques années déjà, revient dans cet entretien sur son nouvel album « Awa ».  Avec la spontanéité et la mesure du verbe qu’on lui connait, elle évoque également sa prochaine tournée  en Algérie, prévue l’été prochain.

  • Vous êtes de retour en Algérie pour un concert exceptionnel qui s’est déroulé le week-end dernier à Alger.  Comment étaient  ces retrouvailles avec votre public ?

Après ma participation l’année dernière  au festival européen au niveau du TNA, me voici de retour, à Alger, pour ce concert à Dar Rais de Sidi Fredj à Alger. Lors de cette soirée, nous avons essayé de donner un avant-goût de mon nouvel album  « Awa », sorti en septembre dernier sur les plates-formes numériques. Mon désir, c’est de rencontrer mon public  qui est exceptionnel. Il ne faut pas oublier que le public algérien est mon premier public.

C’est un moment de partage qu’on recherche tous.  Je suis aussi très heureuse d’être accompagnée par  mes amis musiciens de route avec   Karim Ziad à la batterie,  Youcef Boukella à la basse et  Khliff Mizialloua à la guitare. Durant cette soirée, il n’y avait pas juste le projet de l’album mais j’ai  gratifié l’assistance de plusieurs surprises.  J’ai proposé  un voyage entre le passé, et ce que je suis aujourd’hui. Cette soirée était fabuleuse et le public était des plus chaleureux.

  • Parlez-nous de votre dernier né «Awa » ? Comment l’avez-vous imaginé et conçu ?

Pour la genèse de cet album, je dirai  qu’on passe tous par des phases bien et moins  bien. L’album est arrivé à un moment où j’avais  entamé cette rétrospection qui est mon identité, ce dont je suis fier. Le fait d’assumer mes racines, mon histoire et mon désir d’affronter ou d’aborder la vie. Je suis  une femme Nord africaine berbère. Je suis une artiste  qui a envi de raconter des choses.  Cet  album est  un bilan de spontanéité.  Il y a des titres qui sont originaux. Il  y  aussi des reprises qui ont été réarrangées par mes soins et par mes musiciens.

Il faut dire aussi que la pandémie du Covid est passée par là.  Je me suis retrouvée  avec un album où je rends hommage à la  femme, notamment  à Miriam Makeba à travers « Mama ». C’est un titre qui est venu spontanément. Quand on écrit et qu’on prépare un album,  c’est limite  un accouchement. C’est  une urgence de produire, de créer. Ce n’est pas une commande. Je suis dans une période de ma vie où j’ai envie de rendre hommage à toutes ces femmes  que je croise et  que je rencontre.

Des femmes de tous bords et  de différents profils. C’est aussi mon envie de dire  qu’une femme passe par plusieurs phases et que ce n’est pas le regard extérieur qui doit l’enfermer dan une case de  mère-courage,  travailleuse ou encore  d’engagée. On peut être  en une seule journée tout cela.

  • Dans votre album vous faites, aussi,  un clin d’œil aux mères de l’immigration ?

Tout à fait. Près 18 ans de présence  en France, je me rends compte qu’on  n’a pas assez rendu hommage à ces femmes qui n’ont pas choisi l’exil. Elles vivent l’exil très souvent avec beaucoup de nostalgie et de douleur parce qu’elles  ont été séparées de leurs familles et de leurs parents.

Elles ont quand même donné naissance à  des enfants et les ont élevés. Elles ont supporté la vie. Souvent, l’ancienne génération ne parlant pas le français, a dû quand même éduquer ses enfants. J’ai rencontré plusieurs de ces femmes dans un cadre culturel.

Ce sont des femmes qui ne savent pas lire mais qui font du théâtre et qui veulent chanter. Je trouve cela très émouvant. On a toujours parlé de l’exil à travers tous ces hommes qui allaient travailler à l’usine. On n’a pas assez parlé de ces femmes qui n’avaient pas forcément choisi l’exil.

  • Mis à part la femme et l’exil, vous avez abordé dans cet album d’autres thèmes importants de la vie ?

Mon album est constitué de treize titres. Effectivement, mis à part la femme et l’exil, j’aborde d’autres thématiques dont l’amour avec le titre « Hey Meli ». C’est  une ballade qui nous emmène très loin dans nos origines ou on essaye de séduire quelqu’un. On essaye d’utiliser même les sortilèges, les prières et les incantations.

Dans cet album, j’ai aussi adoré me réapproprier des titres  comme « Koubou » qui  a toujours été interprété par des hommes. Et c’est là où j’ai donné ma touche personnelle. Je voulais aussi dire que je suis Samira Brahmia. Je  suis artiste et je ne veux pas être enfermée ni dans la folk, ni dans la pop, encore moins dans  le rai. Jai  tout simplement envie de folie.

  • Justement, dans quel registre pourrions-vous définir votre musique ?

Il est compliqué pour moi de répondre à cette question. Je dirai que je fais de la world pop mais en vrai je fais de la musique. Je suis  assez nostalgique de la période des années 70. Preuve en est : je suis fascinée par  la légende du groupe de rock américain «Eagles», Jacque Brel, El Hachemi Guerrouabi ou encore Abdelkader Chaou.

Quand on  écoute, mon album, c’est un voyage entre  « Bati Lalla»  et «Koubou». Il  n’y a aucune relation entre les deux chansons. Cependant, le  seul lien, c’est ma voix et mon intention.

  • Entre l’écriture, la composition et les arrangements, vous avez mis combien de temps pour réaliser votre opus « Awa » ?

Pour être honnête, cela a duré des années parce que la vie a fait que  j’avais des engagements. J’avais des choses à faire. De plus, j’ai toujours dis que je n’étais pas une faiseuse d’albums. Maintenant un peu plus car j’ai pris goût et je réalise que je pouvais apporter mon regard. Mais disons que j’ai mis quatre ans pour réaliser mon album. Il est  vrai que j’ai pris beaucoup de temps pour cet opus mais j’en suis très fière.

Par ailleurs, la  vie a fait que le Covid a eu un impact sur toute la planète.  Le monde était au ralenti à cause du confinement. J’ai  eu le privilège d’avoir mes parents chez moi pendant  le Covid.

Je suis très fière de dire  que j’ai été contente de ne pas faire de musique pendant la pandémie et de profiter de mes parents, de faire de la bonne nourriture, de préparer des makrouts et de m’amuser. Et surtout  de profiter du temps.

  • - L’album est certes sorti sur les plates-formes digitales, à quand une sortie physique en Algérie et ailleurs dans le monde pour les collectionneurs ?

Il y a eu une  sortie digitale. Pour l’album physique, comme je suis ambassadrice des droits d’auteurs en Afrique auprès de la  Confédération Internationale des Sociétés d’Auteurs et de Compositeurs (CISAC)  en France et de l’ Office Nationale des Droits d’Auteurs et Voisins (ONDA) , on m’a confirmé que  le Cd est mort en Afrique.

En Algérie, cela n’existe plus. Nous avons  fait des CD physiques, justement pour rencontrer le public et les gens qui veulent garder un souvenir. Mais c’est vrai que le Cd et le disque, c’est vraiment pour les fans, les collectionneurs. J’adorerai qu’il soit distribué mais le problème, quand on pose la question, on me dit que cela ne se distribue plus.

  • Parlez-nous du clip de la chanson «  Mama » qui  illustre votre album  «Awa » ?

Il y a un single intitulé « Mama » dont je suis très fière. Le clip a été tourné en une seule journée avec la présence de 64  femmes, venues d’horizons différents.  C’est un titre où je suis  en duo avec la  chanteuse sénégalaise Young. Je suis très heureuse et très chanceuse car les paroles m’ont été offertes par  le parolier et l’écrivain Magyd Cherfi.

  • Vous préparez, actuellement, en collaboration avec le ministère de la Culture, un nouveau projet « Awa tour »,  une  tournée artistique nationale durant  l’été prochain ?

Dans le cadre de la promotion de mon album, il y a aussi cette tournée que je veux absolument faire en Algérie. C’est une tournée assez spéciale pour moi  car je sors d’une résidence où on a monté un show. Ce n’est plus un concert mais un show. Dans ce projet  « Awa », il y a  entre autres de la chorégraphie, de la danse, de la lumière, de la  scénographie ainsi que plusieurs tableaux.

C’est quelque chose qui me tient à cœur. Pour moi, c’est très important de le faire  en Algérie car on doit lancer des  messages. En  tant qu’artiste, on doit se lancer des défis, de dire qu’on est capable de faire le même show à Alger,  à Annaba, comme à Las Vegas, à Paris,  ou encore à Madrid.

Dans le cadre de cette tournée,  nous allons essayer, aussi, de monter avec toute l’équipe des master classes, des rencontres avec des artistes en  développement  pour proposer et sélectionner par la suite  un artiste qui viendrait faire une première partie ou qui  partagerai  un moment de  la scène avec moi. Je coacherai, certainement, les potentiels artistes  car j’ai des choses à donner  par rapport à cela.

J’adorerai inclure, dans cette tournée, du coaching assez poussé et clair et ce, dans le seul but de découvrir l’importance des métiers du spectacle. Nous sommes en train de construire des partenariats avec  le ministre de la Culture et  avec d’autres partenaires.

La tournée en question  est imminente. Elle se déroulera, certainement, au courant du mois de  juin ou de juillet. J’adorerai faire toutes les wilayas du pays. Nous allons commencer par  les régions où les salles peuvent se prêtaient à notre show. D’emblée, je pourrais vous dire que nous nous produirons à Alger, à Annaba, à  Oran, à  Bejaia et à  Tamanrasset.

  • Vous  êtes une musicienne  qui a un triomphé aussi en tant qu’actrice.  Que vous a apporte le cinéma dans  votre carrière ?

Pour rappel,  en 2001,  j’ai joué dans le film L’Autre Monde du réalisateur algérien Merzak Allouache.  J’ai été sélectionnée à nouveau comme actrice par la réalisatrice Rachida Brakni, pour jouer dans le long métrage, De sas en sas, sorti t en 2016. . Sinon, je viens de tourner dans un film qui va sortir sur  la plateforme Amazon.

Je suis super intéressée par le cinéma. C’est quelque chose qui me parle et qui m’intrigue en même temps.  J’espère que j’aurais l’occasion de réessayer encore au cinéma. J’ai envie de faire des  choses et d’avancer. Je n’ai plus envie de perdre du temps. C’est vraiment mon objectif dans les années à venir. C’est d’essayer de faire le maximum de choses  intéressantes

  • Tout au long de votre carrière, vous avez rencontré de grandes pointures de la musique internationale. Quels sont les  artistes    qui vous ont  marquée ou encore qui vous ont apporté quelque chose ?

Je dirai que Youcef Boukella m’a apporté la force et l’importance du silence dans mes chansons. Ce que je retiens du regretté  Idir, c’est la rigueur et la bienveillance.  Il était une force tranquille. Quand il avait quelque chose à dire, il le disait avec le sourire, ses paroles étaient mesurées.

C’était quelqu’un d’exceptionnel. C’était un grand homme. Je suis super  fière, d’ailleurs de partager des  moments avec sa fille Tanina et  avec son fils Tarik Ait Hamou. J’évoquerai aussi Sting. C’est quelqu’un  que  j’aime beaucoup et pour lequel, j’ai beaucoup de respect.

Ce que je retiens de lui, c’est  l’audace dans la création musicale. Des arrangements improbables qui font une carrière et c’est cela que j’aime chez l’artiste. C’est de prendre le risque de faire des choses et de surprendre les oreilles des auditeurs.  Je n’ai rien à dire  sur la chanteuse de jazz américaine Ella Fitzgerald, si ce n’est que c’est une diva extraordinaire.

  • Vous  avez un lien viscéral avec l’Afrique puisque vous préconisez  le retour vers  ce continent aux potentialités certaines…

Il est clair qu’en tant qu’ambassadrice, il y a des pays qui n’ont pas les moyens. Je pense qu’il faudrait commencer à faire une vraie synthèse et un vrai constat de  ce qui se fait en matière musicale en Afrique. Il  faut absolument créer un marché culturel africain mais cela doit  passer par l’éducation.

Géolocaliser les festivals tous disciplines confondus, avec le respect des droits d’auteurs. Il faut absolument que l’on intègre dans  nos circuits d’apprentissage le lien à la culture.  Il faut établir des conventions et créer une culture de la consommation culturelle respective et respectueuse des normes et des droits d’auteur.

Je pense qu’en Afrique, nous en sommes capables. Il y a l’histoire qui est  passée par là. On n’a pas ce réflexe de se regarder vers le Sud. J’espère que de mon vivant, on arrivera à le faire. Construire un socle solide passe par l’éducation. Il faut  intégrer dans nos programmes la culture africaine.

  • Avez-vous d’autres projets en perspectifs ?

On prépare une réédition pour l’automne, de l’album «Awa».  C’est une stratégie à l’américaine. On  revient à la charge avec de l’actualité. 

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