Relations algéro-françaises : Charge politico-médiatique contre les Accords de 1968 en France

07/06/2023 mis à jour: 01:33
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L'ex-Premier ministre français Edouard Phillippe s'attaque à un accord qui ne profite plus aux Algériens - Photo : D. R.

Depuis quelques mois, et encore plus ces dernières semaines, partis, personnalités politiques et médias montent au créneau pour dénoncer des prétendus avantages algériens en matière d’immigration.

Edouard Philippe, ancien Premier ministre, président du parti Horizons et futur candidat potentiel à la présidence de la République, s’en prend à son tour aux Accords franco-algériens de 1968, rejoignant la cohorte qui vilipende une convention interétatique dont il ne subsiste pas grand-chose.

Cette nouvelle montée au créneau interroge quant aux commanditaires, à quelques jours d’un voyage du président Tebboune, non encore confirmé, et sachant que la plupart des clauses de 1968 sont aujourd’hui caduques, le cas des Algériens étant largement entré dans le droit commun des règles d’organisation de l’immigration en France.

Alors que le gouvernement français tergiverse sur l’énième loi sur l’immigration visant à son contrôle accru, Edouard Philippe a choisi le magazine L’Express pour estimer qu’il était temps de mettre un terme à l’accord post-indépendance entre la France et l’Algérie : «Les raisons qui ont conduit à la négociation et à l’adoption de cet accord et la situation actuelle me laissent à penser qu’il est temps de revenir en arrière.»

Cependant, les juristes établissent le fait que l’accord a été largement désossé au fil des remises à plat entre les deux gouvernements. Pourtant, M. Philippe insiste : «Bien entendu, il y a des relations historiques extrêmement puissantes entre la France et l’Algérie, mais le maintien aujourd’hui d’un tel dispositif avec un pays avec lequel nous entretenons des relations compliquées ne me paraît plus justifié», parlant par avance des «difficultés que cela engendrerait», «en termes juridiques, plus encore en termes diplomatiques».

Pourtant, si après 1968, les Algériens ont pu être favorisés par rapport aux autres étrangers, rançon de l’histoire de la dépossession, ils ne le sont plus depuis longtemps (notamment en matière de regroupement familial) et, pour certaines catégories, ils sont comme les autres nationalités, notamment pour les étudiants, qui restent, toutes origines confondues, un vecteur important d’entrées sur le territoire français. A remarquer d’ailleurs que ce sont les Marocains qui emportent la palme en la matière de suivis des Algériens puis des Italiens 
et des Chinois…

Le maire du Havre indique : «La particularité de l’accord franco-algérien est qu’il détermine complètement le droit applicable à l’entrée et au séjour des ressortissants algériens, avec des stipulations qui sont beaucoup plus favorables que le droit commun (...). Aucun ressortissant d’un autre Etat ne bénéficie de tels avantages.»

Mettre la pression sur l’Algérie est l’objectif inavoué de cette campagne éminemment politique. Déjà il y a quelques semaines, plusieurs journaux avaient réagi promptement lorsque l’ancien ambassadeur de France en Algérie Xavier Driencourt avait tiré les premières salves avec une étude publiée par la Fondation pour l’innovation politique (fondapol.org). Une intervention qui se résume par «la remise à plat du dispositif créé en 1968 au profit des Algériens, voire son éventuelle suppression». Et de proposer «l’arrêt de toute délivrance de visas ou, au moins, la fixation d’un quota annuel (avec évidemment les problèmes politiques qui en résulteraient)…».

«Ultime avertissement à l'Algérie»

Le bréviaire de Driencourt à l’usage des dirigeants français est clair, net et sans bavure : «La France pourrait dénoncer unilatéralement ce traité. La raison de le faire existe. La France fonderait sa décision sur le fait qu’elle estime cet accord obsolète car ne répondant plus au contexte politique ou social initialement lié à l’immigration.»

Il veut se rassurer en estimant que «la dénonciation de l’Accord de 1968 n’aurait pas pour effet de rétablir les conditions antérieures des Accords d’Evian, plus favorables encore aux Algériens, celles-ci ayant en fait été implicitement abrogées par le texte de 1968. Dans ce contexte, la dénonciation de l’Accord du 27 décembre 1968 serait non pas ‘‘l’arme atomique’’ mais plutôt l’ultime avertissement pour obliger Alger à renégocier, ce qu’il s’est toujours refusé à faire».

L’ex-diplomate estimait dans un propos contradictoire : «Si l’Accord de 1968 a été révisé en 1985, 1994 et 2001, les principes qui le fondent et les dérogations au droit commun qui le caractérisent ont toujours été maintenus.»

C’est donc la forme et non le fond d’un traité international que certains hommes politiques en France veulent changer, sachant que la substance même des accords n’est plus qu’une coquille vide, d’application en application des avenants successifs. Alors que la maîtrise de l’immigration tend à devenir un totem en vue des prochaines échéances électorales, les Algériens deviennent comme des marqueurs vis-à-vis de l’opinion publique, victimes des échecs en la matière, toutes tendances politiques confondues.

La question sensible des laissez-passer consulaires

Alors qu’en ce XXIe siècle, le gros des nouvelles arrivées n’est plus originaire d’Algérie, Xavier Driencourt reste sur une image figée : «En France, les Algériens représentent la plus importante communauté étrangère. En 2021, selon l’Insee, 887 100 ressortissants algériens vivaient sur le territoire français, soit 12,7% des immigrés vivant en France.» Il ne dit cependant pas que d’autres communautés s’accroissent plus rapidement que la communauté algérienne, notamment nos voisins marocains. Driencourt persiste à dire que «les Algériens ne sont pas soumis aux lois sur l’immigration».

Et il s’en prend ensuite «à la mauvaise volonté dont font preuve les consulats algériens dans la mise en œuvre des laissez-passer consulaires, nécessaires à l’expulsion des ressortissants sous obligation de quitter le territoire (OQTF)». Il s’agirait donc de pousser Alger à obtempérer. Avec un point faible, les visas. «L’obtention d’un visa revêt une dimension particulière en Algérie, aux yeux du gouvernement algérien mais plus encore aux yeux de la population.

Certes, il demeure, théoriquement, pour la France, un moyen de contrôle des flux migratoires (légaux).» «Mais le visa joue dans la société algérienne un rôle de régulateur des problèmes, car il fait fonction de soupape. Dans une société qui va mal, chacun trouve une façon de ‘‘tenir le coup’’ et de vivre ou survivre, tant bien que mal. Parmi ces régulateurs, il peut y avoir le sport (le football en particulier), la religion, la violence, le marché noir et, bien sûr, le visa. Il représente l’espoir de partir.»

Le fantasme d’un régime dérogatoire

Agir sur les clandestins en France est le but, sauf qu’en ce domaine, les Algériens ne sont pas le plus grand nombre : «La France souhaite que l’Algérie, et particulièrement les consulats algériens, se montrent plus coopératifs lorsqu’il faut procéder à des reconduites à la frontière soit de clandestins, soit de terroristes sortant de prison. Certes les performances de l’Algérie dans ce domaine sont meilleures que celles des autres pays du Maghreb, mais la coopération consulaire pourrait être améliorée et accélérée.»

Puis l’ancien ambassadeur d’un pays qui a colonisé 132 ans l’Algérie lance son souhait majeur : «Puisque les Algériens bénéficient d’un régime dérogatoire au titre de l’Accord de 1968, il serait logique que les Français bénéficient, à leur tour, de facilités par rapport aux autres nationalités pour entrer et s’installer en Algérie. Or, non seulement les religieux et les journalistes ont beaucoup de difficultés pour obtenir des visas de long séjour, mais les hommes d’affaires et enseignants de nos écoles également. Tous doivent retourner régulièrement en France, tous les trois mois, pour régulariser leur situation.»

Quelques données sur les visas

Dans son texte, Driencourt apporte des chiffres sur la baisse des visas : «En 2012, les trois consulats français en Algérie délivraient 213 000 visas par an, un chiffre qui doublait en 2017, atteignant 410 000. Cette augmentation était largement due aux instructions gouvernementales.» Il ajoute : «En 2017, les demandes de visas étaient de 631 466 ; les visas délivrés atteignaient le chiffre de 411 979 ; les visas refusés étaient de 233 754 ; en 2018, les demandes de visas n’étaient que de 568 882 pour un nombre de visas délivrés de 293 926 et les visas refusés de 275 740 ; en 2019, les demandes avaient à nouveau chuté à 351 289, les visas délivrés étaient de 183 925 et les visas refusés de 157 307.» Selon nos informations, 50% des visas auraient été refusés pour le dernier exercice connu. «Entre 2017 et 2019, les demandes de certificat de capacité à mariage ont augmenté de 40%. L’acquisition de la nationalité française pour les Algériens a augmenté de 50%» pour la même période. W. M.

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