Le plan lancé dernièrement par l’envoyé de l’ONU en Libye, Abdoulaye Bathily, appelle à réunir les cinq principaux acteurs dans une conférence pour lever les obstacles face à la tenue des élections en Libye.
Il s’agit de Mohamed El Menfi, le président du Conseil présidentiel, Khalifa Haftar le chef d’état-major de l’armée de l’Est libyen, nommé par le Parlement, Aguila Salah, le président du Parlement, Mohamed Takala, le président du Conseil supérieur de l’Etat et Abdelhamid Debaiba le chef du gouvernement d’Union nationale. Tous les acteurs se disent favorables à la tenue des élections. Mais, chacun a ses propres conditions, remettant en cause de fait cet accord de principe. Ainsi, hormis le militaire Khalifa Haftar et le président fédérateur Mohamed El Menfi, murés dans le silence, les trois autres ont exprimé des positions, parfois diamétralement opposées.
D’ailleurs, ces différends interlibyens ont fait dire à Abdoulaye Bathily dans une récente interview à Jeune Afrique qu’il a accepté «la pire mission au monde». L’envoyé du Secrétaire général de l’ONU accuse la majorité des parties politiques influentes en Libye de «ne pas vouloir faire des élections et de se plaire à renvoyer l’échéance de manière indéterminée».
M. Bathily s’est dit convaincu que «ce qui les intéresse uniquement, ce sont les bénéfices du pétrole, sans parler de l’absence de confiance entre les deux chambres et des différends concernant le gouvernement unifié envisagé».
Pour comprendre la position de Abdoulaye Bathily, il suffit de passer un spectre sur les diverses positions libyennes.
Le chef du Parlement Aguila Salah et le président du Conseil supérieur de l’Etat Mohamed Takala s’opposent à la présence du chef du gouvernement d’Union nationale, Abdelhamid Debaiba, dans cette conférence, proposée par l’envoyé de l’ONU.
Les deux chambres ayant déjà retiré la confiance à Debaiba. Elles exigent l’installation d’un mini-gouvernement de technocrates pour les élections, d’autant plus que Debaiba n’a pas caché ses intentions de se présenter aux urnes. Et si les deux chambres sont d’accord concernant le départ de Debaiba, un différend les sépare à propos des lois électorales, ratifiées par le Parlement et transférées à l’Instance supérieure des élections (ISIE).
Le Conseil supérieur de l’Etat exige le maintien des formulations sorties de l’accord de la commission 6+6, réalisé à Bouznika au Maroc, en mai 2023, que le Parlement a légèrement modifiées, avant de les voter et transférer à l’ISIE. Le Parlement se considère, en tant que législateur suprême, en droit de les modifier.
Des concertations sont en cours au Caire entre Aguila et Takala pour résoudre ce différend. Pour ce qui est de Debaiba, il s’abstient à ne remettre son poste qu’à un gouvernement nommé par un Parlement nouvellement élu. «Pourtant, c’est ce Parlement et ce Conseil supérieur de l’Etat qui l’ont intronisé en mars 2021.
Normalement, celui qui nomme, a le droit d’écarter», remarque le juge libyen Jamel Bennour, en poursuivant que «faute de poids tribal, nécessaire en Libye, Debaiba tire sa force de son poste. Il n’aurait aucune chance dans les élections s’il partait du gouvernement».
Des casse-têtes qui ont toujours marqué la Libye, même avec les sept précédents envoyés de l’ONU et qui font perdurer indéfiniment la crise.
Doutes
Écartés d’habitude des grands dossiers politiques, les municipalités libyennes sont sorties cette fois de leur silence et ont exprimé leur opposition à la politique de la délégation de l’ONU en Libye. Ils ont même eu recours à un communiqué commun qui a déjà réuni 20 municipalités de l’Ouest libyen et 56 de l’Est et du Sud, sur les 120 municipalités désignés par la loi de 2013 pour toute la Libye. Les municipalités signataires du communiqué «déplorent l’éloignement du gouvernement Hammad (celui de l’Est) du processus de préparation des élections».
Le politologue Ezzeddine Aguil explique les réactions de ces municipalités par le fait que «le gouvernement Hammad est leur vis-à-vis dans la gestion des affaires courantes ou face aux catastrophes comme lors du cyclone Daniel». Le politologue rappelle que «le pouvoir de Debaiba se limite à un rayon de 50 à 70 kilomètres en dehors de Tripoli, comme l’ont montré les incidents de fin octobre à Gharyan, 100 kilomètres au sud de Tripoli. Ce sont les notables locaux qui ont fait calmer la situation». La municipalité de Gharyan est signataire du communiqué contre la politique de Bathily.
Les récents propos de l’envoyé de l’ONU Abdoulaye Bathily à Jeune Afrique, concernant les protagonistes de la scène libyenne, laissent planer des doutes certains quant à l’issue de sa mission. «Si Bathily n’est pas convaincu de la bonne volonté des protagonistes libyens à aller de l’avant sur la voie des élections, comment veut-il que les observateurs et, surtout, les Libyens en soient convaincus ?», s’interroge le politologue libyen Mustapha Fitouri.
Pour ce dernier, «les réactions des municipalités libyennes sont venues après l’interview de Bathily sur Jeune Afrique, qui a laissé apparaitre un manque évident de professionnalisme de la part d’un diplomate, qui se dit désespéré alors que son dossier est encore en cours. Il aurait mieux valu qu’il démissionne !»
Mustapha Fitouri est convaincu que «mis à part les politiciens libyens et les milices qui remplissent leurs poches des bénéfices du pétrole, ainsi que plusieurs pays ayant des intérêts en Libye et de l’influence pour que la communauté internationale ferme les yeux sur ce chaos sévissant dans ce pays, le Libyen lambda peine pour joindre les deux bouts et le plan de Bathily ne propose rien de concret pour faire bouger les choses ».
Tunis
De notre correspondant Mourad Sellami