Courtisée par les puissants du monde, l’Afrique reste pourtant maintenue dans un rôle platonique au sein du système de gouvernance mondial. Avec ses 54 Etats membres et ses 1,5 milliard d’habitants bientôt, l’Afrique représente 25% des membres de l’ONU. Mais seuls trois sièges non permanents lui sont attribués pour des périodes de deux ans sur les 15 du Conseil de sécurité.
La question de la représentation de l’Afrique dans les organes délibérants et les instances de décision internationales, vieille de plusieurs décennies, resurgit de plus belle aujourd’hui, à la faveur des crispations géopolitiques que connaît la planète. En décembre dernier, lors du 2e sommet Etats-Unis/Afrique, tenu à Washington, il a été retenu «l’engagement des Etats-Unis à œuvrer pour une plus grande représentation de l’Afrique au sein des instances internationales, y compris de la gouvernance internationale».
Le sommet, coprésidé par le président américain, Joe Biden, et le président sénégalais, Macky Sall, président en exercice de l’Union africaine (UA), a également soutenu que le partenariat entre la première puissance mondiale et le continent «participe de la conviction que les gouvernements et peuples d’Afrique aideront à déterminer l’avenir de l’ordre mondial pour relever les défis les plus urgents dans le monde». Joe Biden a ainsi évoqué un plan de reforme du Conseil de sécurité de l’ONU, dans le sens de l’ouvrir à une représentation permanente des voix africaines, et a promis dans le lot un soutien actif pour faire admettre l’organisation continentale, UA, au sein du G20. Le Japon et l’Allemagne, alliés de Washington, sont sur la même longueur d’onde et ils le font savoir.
Les promesses de la Maison Blanche
Une semaine avant l’énoncé de ces bonnes intentions américaines, le coordonnateur du Groupe des membres africains non permanents du Conseil de sécurité de l’Onu, le MAE Kenyan Alfred Mutua, réitérait la demande d’une représentation moins platonique du continent au sein de l’organe de décision international. «Après plus de 60 ans d’indépendance de la plupart des pays africains et leur adhésion à l’ONU, et compte tenu du fait que les questions africaines constituent 70% de l’ordre du jour du Conseil de sécurité, les pays africains ont le droit de disposer d’un siège permanent dans cette instance importante.»
Le diplomate kenyan s’exprimait à partir d’Oran à l’occasion de la tenue de la 9e conférence de haut niveau sur la paix et la sécurité en Afrique, entièrement consacrée à «L’Appui aux nouveaux membres africains du Conseil de sécurité des Nations unies». C’est dire combien les ambitions onusiennes de l’Afrique forment désormais un leitmotiv que les «puissances» ne peuvent plus faire mine d’ignorer.
La générosité subite de la Maison-Blanche, même s’il faut attendre de la voir se transformer en actes, doit tout au nouveau contexte mondial, marqué par l’exacerbation de la compétition pour plus d’influence géopolitique sur le continent, estiment les observateurs. La Maison-Blanche est convaincue qu’il faut vite rattraper l’erreur d’avoir laissé le champ libre à la Chine et à la Russie dans le continent, notamment sous le règne de Donald Trump, en multipliant les actions diplomatiques bilatérales en direction des Etats et les promesses d’accéder à la demande, pratiquement obsessionnelle dans la communauté africaine, de camper des rôles autres que ceux de figurants au sein des instances qui comptent au sein de l’ONU.
La délivrance de chèques, pour «soutenir des programmes de développement humain», est donnée en gage des nouvelles dispositions favorables de la Maison-Blanche. Les engagements pris en décembre ont été ainsi assortis de l’annonce d’une enveloppe de 2,5 milliards de dollars pour lutter contre l’insécurité alimentaire à travers le continent, 75 millions de dollars pour «renforcer les institutions démocratiques», ainsi que 100 millions de dollars en «assistance sécuritaire»…
Et de cette demande, plus ou moins discrète, en direction des pays africains de voir dans quelle mesure une coopération peut être menée pour mettre un terme à la présence du groupe Wagner, réputé proche de Moscou, sur le continent. L’inquiétude de Washington se porte évidemment sur la présence russe, plus visible dans l’Afrique francophone. Le fait que 24 pays africains n’aient pas pris de position condamnant la Russie au lendemain du déclenchement des hostilités en Ukraine (17 abstentions, 7 non-participations au vote), a été pris en Occident comme une preuve de la persistance de l’influence russe en Afrique, voire de son renforcement, au-delà de ce qui était craint.
Terrain de concurrence entre grandes puissances…
Dans le contexte, la position sur le conflit russo-ukrainien sert de ligne de démarcation en raccourcis des dispositions africaines, alors que sur le continent, des voix s’élèvent pour revendiquer le droit au «non-alignement». La Chine, pour sa part, fortement engagée économiquement sur le continent, ne reste pas à l’écart de ce débat autour de la redistribution des cartes au sein des instances de l’ONU.
En janvier dernier, soit quelques semaines après les engagements américains du sommet de Washington, le ministre des Affaires étrangères chinois inaugurait, à Addis-Abeba (Ethiopie), le Centre africain de contrôle et de prévention des maladies, entièrement financé par son pays.
Il ne se fait pas prier pour rester dans l’air du temps et plaider une place moins mineure à l’Afrique au sein des institutions internationales. «Nous devrions renforcer la représentation et la voix des pays en développement, notamment ceux d’Afrique, au sein du Conseil de sécurité des Nations unies et d’autres organisations internationales», estime Qin Gang, ajoutant que «l’Afrique devrait être un carrefour pour la coopération internationale, et pas le terrain d’une concurrence entre grandes puissances».
Les voix les plus prépondérantes au sein du Conseil de sécurité ne s’opposent donc pas à l’octroi d’un statut plus décisif à l’Afrique au sein de l’instance. Mais il y a sans doute un pas entre les déclarations diplomatiques et les actes politiques, qu’on continuera à hésiter, ou refuser, de franchir.
L’incapacité des pays africains à régler les conflits via les instances continentales comme l’UA, les consensus fragiles en son sein, le faible poids stratégique, financier et économique ainsi que l’absence d’influence diplomatique sur la scène internationale… peuvent toujours être opposés au continent pour retarder la promotion de ses représentants comme acteurs majeurs à l’ONU. Ce n’est pas pour autant que l’Afrique cessera d’être assidûment courtisée.