Les ministres des Affaires étrangères des BRICS, réunis en amont en juin dernier, ont réitéré l’appel à la réforme des principaux organes de l’ONU. Rappelant le document final du Sommet mondial de 2005, ils ont réaffirmé la nécessité de la rendre plus représentative, efficace et efficiente, et d’accroître la représentation des pays en développement, en adéquation avec les défis mondiaux et les aspirations croissantes à une meilleure gestion du monde.
Il existe un consensus mondial autour de la nécessité de revoir la place et le rôle de l’ONU. Les positions divergent cependant selon les intérêts de chaque bloc, voire de chaque pays. Paralysée par les effets de la guerre froide, l’ONU n’a jamais pu retrouver la vertu sur laquelle elle a été fondée et a perdu sa légitimité au fil des ans et des violations de sa Charte. Et les tentatives de réformes enclenchées dès les années 1990 se sont toutes brisées sur le rocher de l’unilatéralisme américain et la division du monde.
Il y a 20 ans, le diplomate français Hubert Vedrine expliquait que «la réforme des Nations unies sur les points clés – Conseil de sécurité, veto, chapitre VII, recours à la force – a plus de chances d’avoir lieu si elle a été mûrement pensée, si elle est soutenue par un grand nombre de pays et d’opinions dans le monde et si des circonstances internationales (inflexion de la politique américaine) modifient le rapport de force entre partisans du statu quo et réformateurs, et que ceux-ci (les Européens) savent saisir avec hardiesse le moment opportun».
Sur l’état de l’ONU et «les égoïsmes nationaux» qui bloquent sa réforme, la réflexion d’Hubert Vedrine, publiée dans la revue Pouvoirs, est toujours d’actualité malgré ses deux décennies d’âge. Mais force est de constater que de nombreuses conditions sont aujourd’hui réunies pour dire que le moment est opportun. S’il ne faut pas s’attendre à ce que la Chine et la Russie abandonnent leur droit de veto pour les beaux yeux du Sud global, il y a de fortes chances de soulever un vent de changement pour permettre à l’institution internationale de reprendre sa place initiale et sa crédibilité, et de s’extirper de la bureaucratie.
Paix et sécurité d’abord
En parlant de bureaucratie, les réformes engagées sont tellement lentes et laborieuses que les résultats en deviennent inaccessibles. C’est le cas de la réforme des mécanismes onusiens de développement. Il y a quatre ans, un projet de restructuration a été officiellement engagé avec pour objectif d’assurer la réalisation du Programme de développement durable à l’horizon 2030.
La guerre en Ukraine a aggravé l’état du monde, déjà mis à mal par la pandémie de Covid-19 et les crises successives (alimentaire, énergétique et financière), mais comme si ces aléas ne suffisaient pas pour entraver l’aide au développement dans les pays nécessiteux, le serpent bureaucratique continue à parcourir le bâtiment new-yorkais et saper les projets et les bonnes volontés. D’où le désir de changement de paradigme dans la gestion de l’ONU pour passer l’Organisation d’une culture du processus à une culture du résultat.
« Notre objectif doit être un système des Nations unies pour le développement d’un XXIe siècle davantage tourné vers l’humain que vers les procédures. Le véritable test de cette réforme se traduira par des résultats tangibles dans la vie des personnes que nous servons – et par la confiance de ceux qui soutiennent notre travail», affirmait Antonio Guterres en novembre 2018.
C’est la réforme du pilier paix et sécurité qui importe plus aux 193 Etats membres de l’ONU. La Charte des Nations unies stipule dans son article 2 que les membres de l’Organisation doivent s’abstenir, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout Etat, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations unies.
Empêcher la violation de cet article est pour la majorité des membres une priorité absolue au vu du bilan des 20 dernières années, fait de guerres et d’agressions, notamment celles des Etats-Unis, souvent, comme en Irak, accompli avec la complicité de l’OTAN. L’intervention russe en Ukraine est aussi classée dans cette case. En mars 2022, l’Assemblée générale a voté avec 141 voix en faveur d’une résolution exigeant que la Russie retire sans délai et inconditionnellement ses forces militaires d’Ukraine.
En finir avec ce cycle, passe par le retour à la légitimité et au respect de l’autorité de l’organisation internationale. Pour les BRICS, cet idéal, que d’aucuns qualifieront de romantique, n’est pas de mise, mais un rééquilibrage des forces est possible désormais. Un rééquilibrage qui permettra au moins de neutraliser les forces hégémoniques et donner plus d’égard aux voix de la sagesse.