Redouane Tlemçani. Directeur de la maison d’intelligence artificielle de l’USTO : «l’IA n’est pas restreinte à un domaine d’application car on la retrouve désormais un peu partout»

15/01/2025 mis à jour: 20:10
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Photo : D. R.

Informaticien de formation, Redouane Tlemçani s’est vu confier la direction de la maison d’intelligence artificielle de l’USTO, la première MIA à Oran. Il évoque dans cet entretien le contexte de cette initiative mais aussi d’autres aspects liés à la promotion de l’IA en Algérie.

  • Dans quel contexte a été créée cette maison de l’intelligence artificielle ?

La MIA a été créée en février 2024 et fait partie de la stratégie du Conseil de l’intelligence artificielle, décidé par le président de la République et réunissant des chercheurs algériens de l’extérieur et de l’intérieur du pays, comme le célèbre Belkacem Habba, Mourad Bouachir, Riadh Baghdadi ou  Merouane Debbah. Ce dernier est d’ailleurs actuellement responsable de la  stratégie émiratie dans ce domaine. C’est donc ce conseil qui a proposé au ministère de l’Enseignement supérieur de créer des maisons de l’intelligence artificielle au sein des universités algériennes, les universités pôles bien entendu, et la ville d’Oran est chanceuse dans la mesure où chacune de ses universités en est dotée.

Nous étions les premiers à l’USTO, mais d’autres en sont dotées également. L’objectif est d’inciter les gens à se former dans ce domaine et il y a donc lieu d’assurer des formations, d’organiser des ateliers et, pourquoi pas, d’initier des projets dans le monde socioéconomique, c’est-à-dire à l’extérieur de l’université.

Etant récente, la MIA n’a pas encore réellement son assise en termes de budget, d’organigramme, etc., mais, pour ne pas rester immobiles, nous commençons déjà à organiser de petites conférences, participer aux autres quand il y en a, et nous organisons aussi des ateliers au profit des étudiants. Pour vous dire, au départ, je n’avais même pas la salle. On en a rénové une spécialement à cet effet et nous attendons du matériel qui va arriver bientôt pour commencer les ateliers. L’opération est en cours, la MIA est bel et bien créée mais elle est en phase de structuration.

  • Est-ce à dire que c’est maintenant qu’on commence à prendre conscience de l’importance de l’IA ?

L’intérêt accordé à l’IA n’est pas quelque chose de nouveau dans l’université algérienne. Il faut garder en tête tous les labos qui ont été créés à partir des années 1999-2000, et à l’USTO, on en a eu deux. L’un dans la faculté de génie électrique (robotique au départ et systèmes intelligents par la suite), et l’autre, dans la faculté mathématiques et informatique.

Au départ, ce n’était pas une obligation de migrer vers l’IA, alors que maintenant, c’est vraiment indispensable. Cela ne relève plus du confort de se dire nous travaillons sur l’IA, mais c’est réellement une obligation et c’est une tendance mondiale. Aujourd’hui, il y a une profusion de dispositifs comme les portables et il y a aussi une immense quantité de données, et le souci pour le futur, c’est de se dire comment gérer tout cela.

Tout est numérique ou tend à l’être, et l’IA n’est pas restreinte à un domaine d’application car on la retrouve partout, dans les systèmes embarqués dans les voitures par exemple, dans celui de la sécurité, la cyber sécurité, dans l’économie, dans l’agriculture pour ce qui est des systèmes d’irrigation ou de gestion des feux de forêt et même dans le domaine militaire (les drones, etc.)

  • Quelle est la stratégie adoptée dans ce domaine ?

La stratégie algérienne est désormais là, et l’Etat lui accorde beaucoup d’importance en parallèle avec le passage au numérique. A ce sujet, je sais qu’il y avait une conférence au Club des Pins samedi    21 décembre. Je n’ai pas pu assister car l’invitation m’est parvenue en retard, mais là, on a dû parler de la stratégie à suivre pour ce qui est de l’intelligence artificielle, et un texte devra sûrement sortir de cette rencontre et va définir les étapes à suivre. Pour ma part, je pense qu’en gros, dans un premier temps, c’est une dynamique qui a été impulsée, c’est-à-dire commencer avec des conférences, faire circuler de l’information et après on passe à la structuration avec des financements adéquats.

L’été dernier, nous avions été invités en tant que directeur de la MIA par Sonatrach dans son centre de formation (Sonatrach Managelent Academy, près de l’ex-Sheraton) et il y avait justement Mourad Bouachir, membre du Conseil de l’intelligence artificielle et Merouan Debbah qui a intervenu à distance à partir des Emirats, mais aussi des universitaires, des spécialistes de l’IA, des directeurs de Sonatrach et quelques ingénieurs.

Il y a une maturité à Sonatrach qui est prête à introduire ces nouveaux outils, mais l’avantage avec cette compagnie, c’est qu’elle a déjà passé l’étape de la numérisation et depuis déjà pas mal de temps. Malheureusement, d’autres secteurs n’ont pas encore passé l’étape de la transformation numérique, mais on sait qu’ils sont sur la bonne voie.

La transformation numérique est un préalable important et je vois trois tendances qui se dégagent pour les entreprises et les établissements algériens. D’abord, travailler conjointement avec les universités et les labos de recherche, ensuite favoriser les Internet des objets pour tout ce qui est smart cities, réseaux de capteurs, etc. et, enfin, la réalité augmentée pour les simulations. Celle-ci est couteuse en termes de logiciels mais, à terme, cela permet de gagner de l’argent et du temps !

  • Les techniques ou les outils de l’IA sont-ils disponibles ?

Il y a une véritable explosion depuis quelques années avec de nouveaux langages informatiques, et maintenant, il y a des bibliothèques prêtes à être utilisées autant pour les étudiants que pour les développeurs. C’est un avantage, mais en même temps un challenge, un défi. Les outils sont prêts à l’usage, mais il ne faut pas perdre de vue le fondement théorique.

A mes étudiants, je donne toujours les fondamentaux, sinon, ils ne pourront pas utiliser efficacement le modèle dans la réalité et dans la société. Ce n’est pas difficile de maitriser un outil même pour les non informaticiens mais il ne faut, en général, pas négliger le bagage théorique qui nous donne la possibilité de modifier ou d’adapter un modèle en fonction des problématiques réelles à traite. C’est un piège de vouloir tout de suite passer à la pratique, car si on ne maîtrise pas le fondement mathématique, on va tôt ou tard rencontrer des problèmes.

  • Quand on évoque l’IA on pense aussi au domaine de la robotique. Qu’en est-il sachant que l’USTO est également dotée d’un laboratoire dans ce domaine ?

C’est l’intersection entre trois disciplines, le génie électrique ou l’électronique, l’informatique et les mathématiques qui sont cachées derrière. Les électroniciens dans la robotique partent des composants, et le logiciel vient comme une finalité. Nous, c’est l’inverse. Nous commençons avec le logiciel et nous nous arrêtons à un niveau inférieur pour ce qui est du matériel, mais aujourd’hui, c’est complémentaire. Il faut juste garder à l’esprit que la robotique est un domaine qui concentre un peu tout. Le software, l’automatisme, la consommation d’énergie (batterie), etc., c’est un domaine délicat, mais c’est le domaine d’application de l’IA par excellence

  • Dans tous les cas, le matériel est indispensable, et cela a un coût. Qu’en est-il pour cet aspect des choses ?

De manière générale, il y a un volet formation même pour les utilisateurs car ceux-ci doivent quand même avoir un certain niveau de maîtrise et l’autre volet concerne les équipements, le matériel avec lequel on fait apprendre aux machines, et ce sont des unités à calcul intensif, les GPU (graphic process unit). C’est un matériel qui coute cher. D’ailleurs, on va me ramener une unité vraiment petite et c’est déjà de l’ordre d’un million de dinars. Pour le cluster avec quoi nous allons  commencer, il faut compter pas moins de 20 millions de dinars. 

L’université peut s’en sortir avec, en plus des sponsorings d’entreprises, des budgets du ministère. En France, l’université Haute Alsace à Mulhouse est dotée de ces clusters. Je donne cet exemple, car nous avons envoyé une doctorante là-bas, du fait qu’ici, nous ne disposons pas d’unités de calcul intensif. Elle est partie avec un modèle tout prêt, on lui a donné un accès et elle est revenue avec un article et des résultats scientifiques. Ils ne nous ont pas aidé sur le plan des idées comme c’était le cas avant mais juste côté matériel et c’est ce qui est encourageant.

Bio-express

Redouane Tlemçani est titulaire d’un ingéniorat d’Etat en informatique, option reconnaissance des formes et intelligence artificielle à l’USTO. Avant de passer son doctorat à l’USTO, il a été enseignant puis cadre à Sonelgaz entre 2007 et 2009. Il est ensuite revenu à l’enseignement en 2009 et a travaillé pendant 10 ans à l’école des Télécoms d’Oran où on forme des ingénieurs en télécommunications car le programme actuel comprend 80% d’informatique.

Il est retourné à l’USTO en tant que chef de département informatique jusqu’en 2022 et, depuis 2024, il est responsable de la maison de l’intelligence artificielle. J’ai aujourd’hui postulé en parallèle pour créer un laboratoire data sciences, un terme générique plus actuel qui englobe l’IA, un labo de recherche pour cibler la post-graduation car la MIA est pluridisciplinaire et ouverte aux licences et aux étudiants qui ne viennent pas forcément de l’informatique.  
 

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