Rachid Sekak a débuté sa carrière en 1983 en qualité d’enseignant avant de rejoindre en 1990 la Banque d’Algérie en tant que secrétaire général du Conseil de la monnaie et du crédit puis comme directeur de la dette extérieure. Il rejoint ensuite l’Union de Banques arabes et françaises (Groupe Crédit Lyonnais) d’abord comme directeur du réseau et de la zone Asie puis comme directeur de la zone Afrique et de la division commerciale chargée des projets énergétiques et des activités de négoce de commodités. En 2006, il rejoint le groupe HSBC et devient directeur général de HSBC Algeria. Depuis 2015, il active dans le Conseil et la formation bancaire et financière. Dans cet entretien, il estime que les efforts consentis pour moderniser le secteur des finances sont méritoires et qu’il y a une volonté de faire avancer les choses. Mais, précise-t-il, le problème n’est pas technocratique, il relève plutôt du champ politique. Il nécessite un consensus et un dialogue social renouvelé.
- Avec un déficit budgétaire qui devrait s’accentuer pour passer de 7 039,66 milliards de dinars (19,8% du PIB) en 2024 à 8.271,53 milliards de dinars (21,8% du PIB) en 2025, quelles solutions pour régler cette équation ?
Les chiffres que vous énumérez sont effectivement alarmants. La situation de nos finances publiques est clairement intenable dans la durée. Les solutions ? Du simple bon sens paysan : accroître les recettes et réduire les dépenses !
Des marges de manœuvre existent. Notre ratio recettes fiscales par rapport à notre PIB est faible et peut largement progresser de 3 à 5%. Une révision de notre fiscalité est un MUST et les modalités de recouvrement de l’impôt aussi. Par ailleurs, trop d’avantages fiscaux sont accordés sans études préalables sérieuses de leurs impacts. Ces avantages et ces exonérations méritent un meilleur ciblage pour viser une influence plus grande et plus utile sur notre croissance et notre développement
Pour les recettes fiscales tirées de hydrocarbures, il faut aussi relever que la politique actuelle de taux de change destinée à modérer une inflation que l’on pense importée… pénalise assez lourdement aussi nos recettes budgétaires… sans parler du souci évident pour la compétitivité à long terme de notre économie. Attention aux distorsions qui donnent une rente aux importations.
Nos dépenses budgétaires, notamment de fonctionnement, sont excessives. On peut relever notamment que les effectifs de notre fonction publique sont clairement excessifs. Il va falloir sérieusement réfléchir à cela. Un blocage des recrutements me paraît indispensable. Le non-remplacement des départs à la retraite pourrait être une solution utile. Une digitalisation efficiente serait aussi un levier possible. La réforme de notre politique de subventions dont on parle depuis longtemps est une urgence absolue.
Un meilleur ciblage de ces subventions est une évidence. Notre système de subventions et notre système de protection sociale sont de plus en plus inégalitaires et ne bénéficient pas toujours au plus nécessiteux que nous devons protéger Nos dépenses d’investissement publics sont le plus souvent inefficaces et ne produisent souvent pas les effets attendus sur la croissance, la création d’emplois ou le développement régional là aussi, un meilleur ciblage apparait indispensable. On parle de projets «structurants» c’est un bonne chose. Mais structurant en quoi ? quels sont les objectifs concrets qui sont visés, mesurés et contrôlés ? Des études plus fines en amont m’apparaissent indispensables et un contrôle à postériori plus tatillon aussi.
- La Banque mondiale préconise dans cadre l’adoption d’une politique de dépenses publiques prudente pour 2025, qu’en sera-t-il des conséquences dans le contexte économique dans le contexte économique mondial marqué par la baisse des prix du pétrole ?
La Banque mondiale est une nouvelle fois très modérée dans ses propositions. Avec les déficits budgétaires observés ces dernières années et celui annoncé pour l’année prochaine… Le retour à une trajectoire budgétaire soutenable ne relève pas d’un souci d’une seule année. Un tel rééquilibrage, indispensable, prendra de nombreuses années. Les efforts seront à faire dans la durée.
Cela suppose un programme rigoureux et courageux sur 7 à 10 ans et au préalable la construction d’un consensus social fort… Car cela sera forcément douloureux et il sera indispensable que cela soit équitable. Le sujet est donc ici éminemment politique. Quant à votre anticipation d’une baisse du prix du pétrole et du ? Only God knows… la géopolitique mondiale décidera…
- Quelles marges de manœuvre dans le cadre de l’utilisation des ressources du Fonds de régulation des recettes (FRR) ?
Je vous renvoie la question : à quoi sert le FRR avec de tels niveaux de déficit budgétaire ? A quoi sert ce double prix des hydrocarbures dans les prévisions… quand le déficit est abyssal ? Franchement le souci et les solutions ne sont pas là.
- Comment évaluez-vous l’impact des mesures mises en œuvre jusque-là pour moderniser la gestion des finances publiques ?
Les efforts des structures de notre ministère des Finances sont méritoires. Il y a une vraie volonté de faire avancer les choses et de moderniser les différents processus. Des gens de qualité se battent au quotidien pour améliorer tout cela. Mais le problème n’est pas technocratique mais relève d’abord du champ politique et surtout d’un consensus social large et d’un dialogue social renouvelé. A quoi sert d’améliorer la gestion des compteurs quand les robinets sont ouverts un peu partout ? Nous devons impérativement sortir de l’économie de rente… et tout le monde doit comprendre cela et prendre sa part d’efforts et de sacrifice.
Courage, lucidité et rationalité seront le maître mot.
- La création de banques digitales est désormais autorisée. Les conditions sont-elles assurées à cet effet, notamment, pour ce qui est des outils technologiques ?
Les banques digitales étaient prévues par la loi monétaire et bancaire de juin 2023. Le règlement de Banque d’Algérie d’octobre dernier est venu compléter le dispositif réglementaire sur ce segment.
Je me dois d’être franc avec mes anciens collègues de la BA. Le règlement a été perçu comme trop restrictif par les opérateurs intéressés par un tel projet. Il a considérablement refroidi les ardeurs.
A lecture du texte, j’ai ressenti une appréhension chez nos régulateurs, une surestimation des risques, pourquoi ? La peur en face de l’innovation n’est pas justifiée. A vouloir tout réguler… On prend le risque de tuer l’innovation. Laissons nos jeunes innover et si nécessaire… régulons ensuite.
De plus, sur le même registre les textes d’application sur les PSP sont attendus avec impatience.
Vos appréhensions sur le volet technologique ne sont pas justifiées. Notre pays dispose de jeunes bien formée aux différentes techniques de traitement de la DATA et en cas de manque dans la chaîne de compétence, il sera toujours possible de recourir à nos compatriotes résidant à l’étranger ou à une expertise étrangère. Le volet technique ne sera jamais un blocage car la technologie peut toujours s’acheter.
- Quel bilan faire de l’expansion que connaît le marché financier près d’une année après l’ouverture du capital du CPA en bourse ? L’entrée de la première start-up sur le marché, le lancement de l’emprunt obligataire de Tosyali en attendant l’introduction de Djezzy et de la BDL. Est-ce que cela ouvre de nouvelles perspectives pour le financement alternatif de l’économie nationale ?
L’ouverture du capital du CPA a été une réussite : pourquoi ? Une valorisation professionnelle et crédible sous-jacente à cette mise sur le marché. Une équipe de direction fortement motivée autour de l’objectif. Une bonne politique de communication. Voilà les principales guidelines pour la réussite d’une opération identique pour la BDL. L’opération Toysali et celle de MLA sont encourageantes, car bien réfléchies et bien «pricées». Si confirmée, la mise en bourse de Djezzy sera un événement majeur pour l’approfondissement de notre marché boursier.
Quant aux start-ups, je ne suis pas certain que leur place soit actuellement à la Bourse. La problématique de ce segment relève plutôt du Capital risque et de la levée de fonds en dehors de la bourse. Il est dangereux pour la crédibilité de notre bourse en gestation de confondre «vitesse et précipitation». L’échec d’une opération en dehors de normes acceptables risque de nuire à la totalité des introductions en bourse qui sont projetées.
Notre pays est actuellement totalement dépendant de l’intermédiation bancaire pour son développement. Et il a été largement démontré que cette dernière a été au moins partiellement inefficace. Alors bienvenue à la finance directe-finance de marché.