Qualifié de «grave danger» par la Chine : Le candidat indépendantiste Lai Ching-te remporte la présidentielle à Taïwan

14/01/2024 mis à jour: 00:03
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Lai Ching-te a obtenu 40,2% des voix

Le candidat Lai Ching-te a remporté hier l’élection présidentielle à Taïwan, selon les résultats officiels quasi définitifs, rapporte l’AFP. Vice-président sortant, Lai Ching-te, du Parti démocrate progressiste (DPP), il a obtenu 40,2% des voix, selon ces résultats portant sur 98% des  bureaux de vote. Après son élection, il a promis de «protéger Taïwan des menaces et intimidations de la Chine». 

Lai Ching-te est qualifié par Pékin de «grave danger», car son  parti milite en faveur de l’indépendance de l’île. Candidat du Kuomintang (KMT) qui prône un rapprochement avec Pékin, son principal opposant Hou Yu-ih, a récolté 33,4% des votes, selon ce décompte de la Commission électorale centrale et a reconnu en conséquence sa défaite. «Je respecte la décision finale du peuple taïwanais» et «je félicite Lai Ching-te  et Hsiao Bi-khim (sa colistière, ndlr) pour leur élection, en espérant qu’ils ne décevront pas les attentes du peuple taïwanais», a-t-il déclaré devant ses partisans. 

Il a observé que «quelles que soient les turbulences qui  ont marqué le processus électoral, tout le monde s’unira après le scrutin pour  faire face à l’avenir de Taïwan». Le troisième candidat, Ko Wen-je, du Parti populaire taïwanais (TPP) et qui se présente comme anti-establishment, est troisième avec  26,4%. Il a  reconnu à son tour la défaite. Les Taïwanais votaient également pour renouveler les 113 sièges du  Parlement, où le DPP pourrait perdre sa majorité. 

De son côté, la Chine a prévenu qu’elle ne tolérerait pas d’«activités séparatistes» à Taïwan. «Nous nous (...) opposerons fermement aux activités séparatistes visant l’indépendance de Taïwan ainsi que l’ingérence étrangère», a averti Chen Binhua, un porte-parole du bureau chinois responsable des relations avec Taïwan, cité par l’agence officielle Chine nouvelle.

Un peu plus tard, le président américain, Joe Biden, a affirmé que les  Etats-Unis ne soutenaient pas l’indépendance de Taïwan. «Nous ne soutenons pas l’indépendance», a-t-il déclaré à la presse à la Maison-Blanche.

Le statut de Taïwan constitue l’un des dossiers sensibles qui alimentent la rivalité entre la Chine et les Etats-Unis, premier soutien militaire de Taipei, et Washington a prévu d’envoyer une «délégation informelle» sur l’île après le  vote. Vendredi, le secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken, a rencontré à Washington Liu Jianchao, à la tête de la division internationale du Comité  central du Parti communiste chinois. Il lui a rappelé l’importance de «maintenir la paix et la stabilité dans le  détroit de Taïwan». 
 

La poudrière

Un conflit dans le détroit de Taïwan provoquera une catastrophe pour l’économie mondiale : l’île fournit 70% des semi-conducteurs de la planète et plus de 50% des conteneurs transportés dans le monde transitent par le détroit.  Large de 130 kilomètres à son point le plus étroit,  le détroit,   qui sépare l’île de la Chine continentale, est un point de tension géopolitique depuis la fin de la guerre civile chinoise en 1949, et a déjà connu plusieurs crises militaires.

Pour schématiser, la première crise du détroit de Taïwan éclate en août 1954, lorsque les nationalistes de la République de Chine, le nom officiel de Taïwan, déploient des milliers de soldats sur les îles Kinmen et Matsu, situées à quelques kilomètres du continent. Pékin réplique par des bombardements d’artillerie sur les îles et par la prise des îles Yijiangshan, à environ 400 kilomètres au nord de Taipei. La crise a failli précipiter la Chine et les Etats-Unis dans un conflit direct.  

En 1958, des combats éclatent à nouveau lorsque les forces de Mao bombardent Kinmen et Matsu dans le but d’en déloger à nouveau les troupes nationalistes. Craignant que la perte de ces îles n’entraîne l’effondrement des nationalistes et la prise de contrôle de Taïwan par Pékin, le président américain Dwight D. Eisenhower ordonne à ses militaires d’escorter et de réapprovisionner leurs alliés taïwanais. Les Etats-Unis envisagent même brièvement d’employer l’arme nucléaire contre la Chine. 

N’ayant pas réussi à prendre les îles situées près de ses côtes, Pékin annonce un cessez-le-feu. Un statu quo  s’installe alors, mais les forces de Mao continuent à bombarder Kinmen par intermittence jusqu’en 1979. Les tensions montent à nouveau en 1995, lorsque la Chine commence à effectuer des tirs d’essai de missiles dans les eaux entourant Taïwan pour protester contre une visite du dirigeant taïwanais Lee Teng-hui aux Etats-Unis. Ce dernier est favorable à l’indépendance de l’île. 

 De nouveaux essais de missiles sont effectués par la Chine un an plus tard, alors que Taïwan organise sa première élection présidentielle au suffrage universel direct. En la circonstance, les États-Unis dépêchent deux groupes de porte-avions dans la région et Lee Teng-hui remporte une victoire écrasante aux élections. L’année suivante, Newt Gingrich devient le premier président de la Chambre des représentants des Etats-Unis à se rendre à Taïwan, un précédent que Nancy  Pelosi renouvelle en 2022, un quart de siècle plus tard.
 

«Jamais le moindre compromis»

Lors de discussions militaires organisées lundi et mardi au ministère américain de la Défense à Washington, de hauts responsables militaires chinois ont affirmé à leurs homologues américains que la Chine ne fera «jamais le moindre compromis» sur Taïwan et exhorté les Etats-Unis à «cesser d’armer» l’île. «Sur la question de Taïwan, la Chine ne fera jamais le moindre compromis ou concession», a affirmé la délégation militaire chinoise lors de ces entretiens bilatéraux, selon un communiqué du ministère chinois de la Défense rendu public mercredi. «Elle exige des Etats-Unis qu’ils respectent le principe d’une seule Chine, qu’ils respectent leur promesse de façon concrète en cessant d’armer Taïwan et en s’opposant à toute indépendance de Taïwan», a-t-il indiqué.

La Chine estime que Taïwan est l’une de ses provinces, qu’elle n’a pas encore réussi à réunifier avec le reste de son territoire depuis la fin de la guerre civile chinoise en 1949.  Elle dit privilégier une réunification «pacifique», mais elle n’a jamais renoncé à employer la force militaire. 

En 1950, Taïwan devient un allié des Etats-Unis dans la guerre intercoréenne (1950-1953). En 1979, Washington rompt ses relations avec Taipei et reconnaît la République populaire de Chine. Dans le même temps, les Etats-Unis continuent à apporter leur soutien à Taipei. En vertu d’une loi adoptée par le Congrès, Washington est tenu de vendre des armes à Taïwan pour que l’île puisse assurer sa défense face à la Chine. Mais les Etats-Unis maintiennent une «ambiguïté stratégique» en s’abstenant de dire s’ils interviendraient ou non militairement pour défendre Taïwan en cas d’invasion. 

Face à la volonté de la Chine d’intégrer l’île à son territoire continental, l’idée d’abandonner l’«ambiguïté stratégique» commence à faire son chemin à Washington. 

En application de ce qui est appelé la «politique d’une seule Chine», Washington reconnaît officiellement un seul gouvernement chinois, celui de Pékin. Mais, en même temps, les Etats-Unis se gardent d’approuver la position de Pékin selon laquelle Taïwan est une partie inaliénable de la Chine unique qui sera réunifiée un jour. 

Les Etats-Unis estiment que c’est à Pékin et à Taipei de trouver une solution, mais s’opposent à tout usage de la force pour changer le statu quo.  Officiellement, Washington ne reconnaît pas Taïwan. 

Néanmoins, Taïwan jouit de tous les avantages de ses relations avec les Etats-Unis. Ces derniers n’ont pas d’ambassade à Taipei, mais un «Institut américain» en fait office. Aux Etats-Unis, le «Bureau de représentation économique et culturel de Taipei» est également une ambassade qui ne dit pas son nom.  Et si les Etats-Unis reconnaissent la République populaire de Chine comme le seul gouvernement chinois légitime, ils sont également le principal fournisseur d’armes de l’île (officiellement la République de Chine). 

Le 14 mars 2005, Pékin adopte une loi anti-sécession prévoyant des moyens «non pacifiques» si Taïwan déclare l’indépendance.

En 2008, Pékin et Taipei reprennent leur dialogue suspendu en 1995. En 2010, ils signent un accord-cadre de coopération économique, puis nouent, quatre ans plus tard, un dialogue entre gouvernements. 

Les relations entre Pékin et Taipei se sont envenimées en 2016, avec l’arrivée à la présidence de Tsai Ing-wen. 
La dirigeante du parti DPP défend «l’identité nationale» de l’île et réclame un dialogue «d’égal à égal» avec la Chine. Pékin suspend toute communication et accentue sa pression diplomatique et économique sur l’île. 

En 2019, Xi Jinping affirme qu’il ne renoncera pas à la force pour récupérer Taïwan, puis avertit Washington de «ne pas jouer avec le feu» après une nouvelle vente d’armes à Taipei. 

En janvier 2020, Tsai Ing-wen, réélue, affirme que Taïwan est «un pays en tant que tel». Début octobre, Xi Jinping demande à l’armée de «se préparer à la guerre». En octobre 2021, Taipei et Washington ont confirmé la présence de soldats américains sur l’île. 

Le 22 octobre, le président américain Joe Biden a affirmé  que son pays est prêt à défendre militairement Taïwan en cas d’attaque par la Chine. Dans la foulée, la Maison-Blanche soutient toutefois que sa politique à l’égard de Taïwan, «d’une ambiguïté stratégique», reste inchangée. Le 27, la Chine rejette une proposition américaine d’accorder à Taïwan une «participation significative» à l’ONU.

 Le lendemain, la présidente de Taïwan reconnaît publiquement, une première depuis 1979, la présence de troupes américaines sur son sol.  

En mai 2022, le président Biden a répondu par l’affirmative à la question de savoir si les Etats-Unis défendraient militairement Taïwan. Rapidement, la Maison-Blanche a précisé que la position américaine sur Taïwan n’a pas changé et a réitéré son engagement envers la politique d’«une seule Chine». 

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