Procès en appel de Sonatrach : Falcon et ses liens avec la îssaba mis à nu 

11/04/2023 mis à jour: 06:54
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Photo : D. R.

Renvoyé devant la chambre pénale près la cour d’Alger, le procès de l’affaire Sonatrach, qui regroupe plusieurs contrats impliquant BRC, SLC-Lavalin, Saipem, Petrofac, JGC et une trentaine de prévenus parmi eux trois anciens ministres, trois anciens PDG de Sonatrach et un PDG de Sonelgaz, s’est poursuivi hier avec l’audition des prévenus.

 Le premier à être appelé à la barre est Amar Ghoul, ancien ministre des Travaux publics condamné à 10 ans, en première instance pour «octroi d'indus avantages» et «dilapidation de deniers publics». D’emblée, il déclare : «Ce dossier a déjà été examiné en 2015. Je n’ai aucun lien avec les faits. Un seul point me concerne, auquel j’ai déjà répondu en 2006, est celui lié à Falcon [Pierre Falcon, homme d’affaires français, NDR]. Je l’ai fait par lettre au directeur de cabinet pour démentir de manière officielle toute relation avec ce monsieur ou une quelconque invitation. Le Secrétaire général des travaux public a lui aussi écrit un courrier en 2006, où il fait le même démenti. 

En2010, j’ai écrit au ministre de la Justice sur ce point pour lui dire que je n’ai aucun lien avec Falcon». La juge : «Quelle est votre relation avec l’autoroute ?». Ghoul : «Aucune». La réponse avec un ton colérique a irrité la magistrate. «Ne vous énervez pas. Ce n’est pas à vous de diriger l’interrogatoire». Elle lui demande de rejoindre le box pour se calmer puis le rappelle quelques minutes après. «Cela fait dix ans que j’en souffre. Je suis en prison. J’ai une condamnation de 10 ans pour cette affaire.» La présidente : «Dans le dossier autoroute, le cahier des charges à fait l’objet de modifications, et les montants transférés à la société chinoise. Qu’avez-vous à dire ?». Amar Ghoul : «Tout ce dossier est lié à l’implication de Falcon et en 2006, il y a eu une réponse». 

La juge : «Vous étiez témoin dans l’affaire.» Ghoul dément et la magistrate l’interroge sur le cahier des charges mais encore une fois Ghoul lance : «Ce dossier est parti d’une lettre anonyme en 2006, après la mise à l’écart des sociétés américaines et françaises dont les offres n’ont pas été retenues. J’ai déjà répondu que je n’ai pas invité ni rencontré Falcon. La visite de Falcon à été faite en janvier 2005 et la décision de réaliser l’autoroute est venue en mai 2005. Comment peut-il intervenir ?». 

La présidente insiste sur Falcon et Ghoul s’énerve : «Il est venu en Algérie dans un avion spécial avec 13 cadres militaires ; pourquoi va-t-il rencontrer ou être invité par le ministère des Travaux publics ? Vendons-nous des armes pour le voir ?». 

La présidente : «Quelle relation a-t-il avec les sociétés chinoises ?» «L’invitation de Falcon était prise en charge par le MAE» 

Ghoul : «Ce Falcon était hébergé à l’hôtel Sheraton où résident des Espagnoles et des Britanniques. Il a rendu visite au ministère de la Défense et reçu par le président du Conseil constitutionnel (Mohamed Bedjaoui alors ministre des Affaires étrangères). Ce dernier a déclaré qu’il  a été accueilli au ministère de la Défense et non pas au ministère des Travaux publics. Il est venu en mission militaire, il a été reçu par des militaires puis il est parti. Il est donc venu dans un cadre militaire.»

Ghoul poursuit ses déclarations en précisant que «le Secrétaire général du ministère des Affaires étrangères avait expliqué que les délégations de Falcon, des Espagnols et des Britanniques ont été invitées par le ministère de la Défense. L’invitation, la prise en charge et les visas ont été assurés par le président du Conseil constitutionnel, qui a également assuré leur réception et les visites.Mais après, il y a eu une sorte de dissipation. Le 14 janvier 2005, lorsqu’ils ont rempli la demande d’atterrissage de l’avion de Falcon, ils ont mis invités du ministère des Travaux publics». 

Ghoul ignore les raisons d’une «telle erreur» mais ajoute : «Peut-être que c'était pour cacher l’information. Ils sont libres de l’écrire, mais ont-ils un document qui le prouve ? Rien. C’est sur ce document qu’ils ont basé le dossier. Bencheman, qui était directeur de l'aviation civile, avait saisi le secrétaire général du ministère des Travaux publics qui lui a bien déclaré que son département n’avait aucun lien avec cette visite». 

La présidente : «Vous aviez nié l’invitation de ses accompagnateurs mais pas celle de Falcon». 

Le prévenu conteste. Il exhibe un document et affirme : «Lisez bien ; l’équipage a envoyé un fax sur lequel il est écrit invité du ministère de l’Energie et non pas des Travaux publics».

Sur les modifications du cahier des charges, Ghoul déclare que celles-ci ont été opérées après la suspension du responsable en charge de l’élaboration du cahier des charges, en raison du retard engendré. Il a été remplacé en octobre 2005. «Il a mis du temps pour signer les passations de consignes et profité durant cette période pour déposer le cahier des charges. Il a été obligé de le retirer pour des raisons techniques». 

La juge : «Parlez-moi de celui qui comporte les montants». 

Ghoul : «C’est le même. On a juste introduit des décisions comme la réalisation en trois lots, 40 mois de délais et 6 voies avec péage, avec des normes européennes». Ghoul évite de parler de montants qui, selon lui, relèvent de l’Agence nationale des autoroutes (ANA) et se décident, précise t-il, entre l’ANA et la Commission nationale des marchés. 

La juge : «La commission à émis des réserves»

Ghoul : «Je ne suis pas responsable. Les décisions relèvent de ses prérogatives. Mais j’ai saisi l’IGF et j’ai demandé le pourquoi du montant. C’était après l'octroi du marché aux sociétés chinoises. Et ce, après une réunion avec le Chef du gouvernement Belkhadem. Il a été conclu que c’était entre l'ANA et la commission».

La juge appelle Abdelmoumen Ould Kadour condamné, en première instance, à 10 ans de prison. Il commence par revenir sur sa carrière avant que la juge ne le ramène aux faits, à savoir les onze contrats de BRC.

«Je suis rentré au pays 30 ans avant Khelil»

«Beaucoup de gens me lient à Chakib Khelil alors que je suis rentré en Algérie, 30 ans avant lui. Je n’avais pas de relation avec lui et c’est à cause de lui que j ai été incarcéré à Blida en 2007. Il y avait des problèmes entre Khellil et un responsable des services de sécurité (en référence au général Toufik, patron du DRS). Ma relation avec lui est celle d’un ministre avec son subordonné. De plus, BRC est responsable de la réalisation mais pas de la conception». 

La juge:  «C’est ce que vous reproche l’expertise de l’IGF»

Ould Kadour : «Les inspecteurs n’ont aucune notion de notre travail. Ils n’ont pas eu d'information. Sonatrach a investi beaucoup pour ses réalisations. C’est tout à fait normal qu'elle sollicite ses filiales.» 

A propos des présumées surfacturations, Ould Kadour déclare : «Rien ne se fait sans le visa du conseil d’administration de BRC, composé de trois représentants de Sonatrach. D’ailleurs nos partenaires américains n’étaient pas d’accord pour la réalisation de villa et ce type de construction. Mais Sonatrach n’y a pas tenu compte. Nous ne pouvons pas refuser. Il y avait un sérieux problème lié au changement des travaux en cours de réalisation par Sonatrach. Sans oublier qu’il y a eu des travaux supplémentaires liés aux obstacles rencontrés sur le terrain. Pour nous, ces opérations étaient minimes par rapport aux gros marchés comme par exemple celui de Hassi Barkine pour un montant 1,5 milliard USD. D’ailleurs, même le conseil d’administration de notre partenaire américain était contre ce genre de projets. Mais que voulez-vous ? Nous ne pouvions pas refuser.» 

Ould kaddour revient sur les capacités humaines de BRC avec «ses 2000 ingénieurs et concepteurs dans toutes les spécialités possibles et imaginables au service de l’engineering».

Selon lui, BRC faisait 12 à 13% de bénéfices engrangés par Sonatrach. Sur la dissolution de BRC en 2007, il explique que la raison était «un différend entre le ministre de l’Energie et le responsable de la sécurité. 80% des ingénieurs de BRC sont aujourdhui à l’étranger. Sonatrach a investi dans BRC comme outil de travail. C’est une entreprise commerciale. Elle fait du business. Le rapport de l’IGF est une aberration. Il est insensé».

 Avant de reprendre sa place au box, Ould Kaddour évoque son affaire liée au rachat de la raffinerie Augusta en disant : «On m’a condamné alors que cette raffinerie fait d’énormes bénéfices. C’est d’ailleurs maintenant qu’il faut acheter une deuxième. Son prix a été amorti. Après mon incarcération en 2007. Je suis parti au Qatar avec mon épouse et en 2017 on m’a fait appel pour prendre Sonatrach et voilà où je me retrouve. Mon épouse a été chassée de la maison familiale à 21h. Elle n’a personne.» 

Les auditions se poursuivaient jusqu’en fin de journée avec les autres prévenus.

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