Un communiqué des services du Premier ministère a formellement démenti les allégations faisant état de «prétendues mesures restrictives» aux opérations commerciales entre l’Algérie et la France. Le communiqué réagissait à un post publié par Xavier Driencourt sur le réseau X, dans lequel l’ancien ambassadeur de France à Alger soutient que «l’Algérie a décidé de bloquer toutes les importations françaises et les exportations vers la France».
Après des rumeurs insistantes qui ont circulé ces derniers jours faisant état de blocage des relations commerciales entre l’Algérie et la France, les services du Premier ministre, Nadir Larbaoui, ont réagi ce jeudi 7 novembre en démentant formellement ces allégations.
Sous le titre «Commerce extérieur : les services du Premier ministre démentent les allégations mensongères de l’ancien ambassadeur français», une dépêche de l’APS diffusée avant-hier rapportait : «Suite aux allégations mensongères colportées par l’ancien ambassadeur de France à Alger, dans son délire haineux et coutumier à l’égard de l’Algérie, au sujet de prétendues mesures restrictives au commerce, la cellule de communication auprès du Premier ministre tient à apporter un démenti catégorique à ces informations erronées et totalement infondées.»
Le communiqué laconique des services du Premier ministre fait ici allusion à la dernière sortie de l’ancien ambassadeur de France à Alger Xavier Driencourt. Dans un message posté le mercredi 6 novembre sur le réseau social X, M. Driencourt relayait une note anonyme, sans en-tête, sans signature et sans cachet, en un mot ne présentant aucun caractère officiel, qui disait : «Nous vous informons qu’à compter du 05/11/2024, les domiciliations d’importation ayant pour origine et/ou provenance la France ne seront plus traitées par les banques de la place, les opérations d’export vers la France sont également concernées.» Xavier Driencourt ne s’est pas privé d’accompagner son post d’un énième commentaire désobligeant à l’égard de l’Algérie en écrivant : «Pour remercier la France, l’Algérie décide de bloquer toutes les importations françaises et les exportations vers la France. Nous sommes décidément aveugles.»
Un document non authentifié
Faisant écho à ce même document non authentifié, Le Figaro s’est fendu d’un papier au ton quelque peu alarmiste, ce même mercredi 6 novembre, intitulé : «Algérie : menace sur les relations commerciales avec la France, panique dans les milieux d’affaires». «Les opérations d’import et d’export, de et vers la France, pourraient ne plus être traitées», affirme le quotidien français, avant de faire remarquer : «Si les autorités venaient à finalement confirmer cette mesure, cela équivaudrait à une suspension des relations commerciales entre les deux pays.»
Et d’ajouter : «Selon les informations recueillies par Le Figaro, l’Association professionnelle des banques et des établissements financiers (ABEF, association algérienne, ndlr), institution publique servant de porte-voix aux autorités pour réguler le commerce, a convoqué lundi 4 novembre les banques locales pour les informer d’une nouvelle mesure : les opérations d’import et d’export, de et vers la France, ne pourront plus être traitées.»
Le Figaro précise dans la foulée que «l’information a été donnée verbalement par une organisation qui n’a, sur le papier, aucune prérogative pour prendre une décision aussi sérieuse. Par ailleurs, aucune note officielle n’existe. Mais un document non authentifié résumant ce qui s’est dit lors de cette réunion a beaucoup circulé dans la communauté française, alimentant les pires craintes».
Dans un article paru le lendemain, jeudi, après le démenti des autorités algériennes, Le Monde maintient le flou en titrant : «Confusion en Algérie sur l’imposition de sanctions commerciales à la France». Dans l’exergue, l’article résume : «L’Association des banques a annoncé des mesures de rétorsion contre Paris, après son virage diplomatique promarocain. Alger a pris ses distances avec cette initiative en parlant d’''informations erronées''.»
De son côté, Europe 1 s’interroge dans un papier publié sur son site : «Rapprochement Paris-Rabat : l’Algérie a-t-elle acté le gel de ses relations commerciales avec la France ?»
«Cela n’a pas été porté officiellement à notre connaissance»
Christophe Lemoine, porte-parole du ministère français des Affaires étrangères, a été questionné hier, lors d’un point de presse hebdomadaire, sur ces «éventuelles mesures de rétorsion commerciale». Il a répondu, selon des propos rapportés par Reuters : «De telles mesures n’ont pas été portées officiellement à notre connaissance, mais nous suivons évidemment la situation de nos entreprises en Algérie avec beaucoup de vigilance.»
Force est de le constater : malgré le démenti officiel des autorités algériennes, le flou persiste, et les dégâts sont faits.
C’est en grande partie en raison de «l’effet Driencourt». S’il n’est pas à l’origine de cette opération d’intox, il a extraordinairement contribué à l’amplifier. Le fait qu’il se soit chargé de donner du crédit à un document non authentifié en le relayant sans réserve sur son compte officiel sur l’ex-Twitter et en l’accompagnant d’un commentaire aussi discourtois, c’est cela qui a aggravé l’imbroglio.
On connaît les positions peu aimables de l’auteur de L’énigme algérienne. Chroniques d’une ambassade à Alger, lui qui, décidément, ne rate jamais une occasion de déverser son fiel sur l’Algérie. Son activisme anti-algérien s’inscrit en droite ligne de l’agressivité dont font preuve les milieux néo-colonialistes en France. L’extrême droite «décomplexée» a redoublé de virulence depuis qu’elle a les faveurs des urnes pratiquement dans toute l’Europe. On voit comment ce courant se déchaîne avec une violence inouïe à chaque geste mémoriel de Paris.
Outre la montée vertigineuse de l’extrême droite, avec ses contingents de nostalgiques de l’Algérie française et d’anciens OAS, il convient de noter aussi que la relation avec Emmanuel Macron lui-même s’est lamentablement détériorée avec le temps. Jusqu’en 2021, elle était globalement chaleureuse. Les deux présidents avaient réellement de l’estime l’un pour l’autre. On était sur une bonne séquence de coopération mémorielle, Macron multipliant les déclarations de reconnaissance des crimes coloniaux.
Le 13 septembre 2018, il reconnaissait «au nom de la République française», que «Maurice Audin a été torturé puis exécuté ou torturé à mort par des militaires qui l’avaient arrêté à son domicile». Le 3 juillet 2020, la France restituait à l’Algérie les restes mortuaires de 24 héros de la résistance populaire, qui seront inhumés solennellement le 5 juillet à El Alia.
Quelques jours plus tard, le président français chargeait l’historien Benjamin Stora d’une mission sur «la mémoire de la colonisation et de la Guerre d’Algérie». Le 20 janvier 2021, l’historien remettait son rapport. Et c’est sur la base des préconisations du rapport Stora que le chef de l’Etat français recevait, le 2 mars 2021, «quatre des petits-enfants de Ali Boumendjel pour leur dire, au nom de la France, ce que Malika Boumendjel aurait voulu entendre : Ali Boumendjel ne s’est pas suicidé. Il a été torturé puis assassiné». Dernier geste en date : Macron vient de reconnaître officiellement que Ben M’hidi a été exécuté par les militaires français.
Chronique d’une relation abîmée
Le tournant dans la relation entre Macron et l’Algérie a été sa diatribe malheureuse du 30 septembre 2021 lorsque, en échangeant avec des jeunes qu’il avait reçus à l’Elysée, il avait laissé échapper quelques petites phrases assassines. Le journaliste du Monde qui était présent à cette rencontre note : «Il se félicite que la France, ''pays d’immigration'', se soit emparée des mémoires franco-algériennes ; mais il regrette que les autorités de l’autre rive n’aient pas emprunté ''ce chemin''.
Il dénonce une ''histoire officielle'', selon lui, ''totalement réécrit(e) qui ne s’appuie pas sur des vérités'' mais sur ''un discours qui, il faut bien le dire, repose sur une haine de la France''.» «La nation algérienne post-1962 s’est construite sur une rente mémorielle», avait encore lancé Macron. Et de renchérir : «La construction de l’Algérie comme nation est un phénomène à regarder. Est-ce qu’il y avait une nation algérienne avant la colonisation française ? Ça, c’est la question.» C’était le premier grand coup de froid dans la relation entre Emmanuel Macron et l’Algérie.
Dernier épisode de ce feuilleton à rebondissements : le 30 juillet 2024, la France reconnaît officiellement la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental. En guise de protestation, l’Algérie rappelle son ambassadeur à Paris «avec effet immédiat». Et il n’y a toujours pas d’ambassadeur algérien à Paris.
Fatalement, la visite d’Etat du président Tebboune, programmée à l’automne après plusieurs reports, a été définitivement enterrée. «Je n’irai pas à Canossa», tranchait le chef de l’Etat dans une interview télévisée dans une allusion claire à cette visite. La brouille s’aggrave encore avec la visite officielle de Macron à Rabat où, devant le parlement marocain, le 29 octobre, il réitère la position officielle de la France concernant la question sahraouie.
En méditant ces quelques stations, on voit clairement comment la relation entre Alger et Paris n’a fait que s’abîmer ces derniers mois jusqu’à frôler la rupture. Et c’est cette dégradation accélérée qui a donné du crédit à la «bombe Driencourt». En répondant avec véhémence à cette intox malveillante, nos autorités viennent peut-être de signifier que tout n’est pas cassé dans nos liens à la fois si passionnels et si compliqués avec l’ancien colonisateur.