Pr Mohamed Yacine Achouri. Vice-président de la Société algérienne de pharmacie hospitalière et oncologique (Sapho) : «L’usage excessif des antibiotiques entraîne une antibiorésistance»

14/04/2025 mis à jour: 21:00
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Quelle est la cause principale de l’antibiorésistance ?

La cause principale de l’antibiorésistance réside dans l’usage excessif et parfois inadapté des antibiotiques. Ce qu’il faut comprendre, c’est que les antibiotiques n’agissent pas uniquement sur la bactérie responsable de l’infection pour laquelle ils sont prescrits, ils impactent aussi toutes les autres bactéries présentes dans notre organisme, y compris celles qui nous sont bénéfiques. Il faut savoir qu’il existe des bactéries utiles pour notre santé, qu’on appelle la flore résidente ou microbiome. Elles vivent naturellement sur et dans le corps humain ainsi que chez les animaux, notamment au niveau de la peau, des voies respiratoires, de la bouche, du tube digestif ou encore des voies génito-urinaires, sans provoquer de maladies. Ces bactéries jouent même un rôle protecteur essentiel, par exemple en facilitant la digestion ou en empêchant le développement de bactéries plus dangereuses. Lorsqu’on prend un antibiotique, il élimine non seulement la bactérie responsable de l’infection, mais aussi une partie de cette flore protectrice, ce qui déséquilibre notre microbiome. Cela laisse alors la place à des bactéries résistantes qui survivent, se multiplient et peuvent transmettre leur résistance. Plus on utilise d’antibiotiques, plus on favorise ce phénomène.


La prise d’antibiotiques entraîne-t-elle des résistances ? 

Oui, la prise d’antibiotiques peut entraîner des résistances, surtout lorsqu’ils sont utilisés de manière répétée, excessive ou inappropriée. Il est important de rappeler que l’antibiorésistance n’est pas un phénomène nouveau. Chaque nouvelle génération d’antibiotiques a vu apparaître, tôt ou tard, des mécanismes de résistance correspondants. Le problème devient encore plus grave lorsque les antibiotiques sont mal utilisés, c'est-à-dire prescrits sans réelle nécessité, pris à des doses inadaptées, arrêtés trop tôt ou utilisés contre des infections virales, comme les rhumes ou les angines d’origine virale, pour lesquelles ils sont totalement inefficaces. Malheureusement, ce type de mauvaise utilisation reste très fréquent en Algérie, ce qui accélère la propagation de l’antibiorésistance et réduit dangereusement nos possibilités de traiter efficacement certaines infections graves.


Concrètement, comment traiter un patient qui a développé une résistance aux antibiotiques ? 

Si un patient présente une infection causée par une bactérie résistante, la situation devient beaucoup plus complexe par rapport à une infection due à une bactérie sensible. Les antibiotiques classiques ne seront plus efficaces pour guérir cette infection, il faudra alors se tourner vers des molécules plus puissantes, souvent appelées «antibiotiques de dernier recours», comme les carbapénèmes ou encore la colistine. Ces traitements sont utilisés avec prudence car ils peuvent entraîner davantage d’effets secondaires et sont parfois moins bien tolérés par les patients, voire toxiques pour certains d’entre eux. Mais dans certains cas graves, même ces antibiotiques échouent. Il arrive que certaines bactéries soient résistantes à quasiment tous les antibiotiques disponibles dans l’arsenal thérapeutique de nos hôpitaux. Dans ces situations critiques, les soignants disposent de très peu d’options et doivent recourir à des stratégies combinées, à savoir associer plusieurs antibiotiques pour tenter de juguler l’infection, ajuster les doses de façon précise, ou parfois intervenir chirurgicalement pour retirer un foyer infectieux, comme un abcès par exemple. Le problème, c’est qu’on entre alors dans une médecine plus lourde, plus risquée, plus coûteuse et parfois sans garantie de succès. 


Comment éviter d’en arriver là ? 

C’est justement pour éviter d’arriver à ce genre de situation que la préservation des antibiotiques est devenue une priorité. Car lorsqu’un antibiotique ne fonctionne plus, on se retrouve confronté à des infections que l’on savait très bien soigner il y a quelques années mais qui redeviennent malheureusement potentiellement mortelles. Et ce qui inquiète encore aujourd’hui, c’est que nous commençons à enregistrer, même en Algérie, des bactéries résistantes aux carbapénèmes, ces antibiotiques de dernier recours censés, nous protéger dans les cas les plus graves. Cela signifie que certaines infections risquent de devenir quasiment impossibles à traiter, ce qui fait peser une menace réelle sur la prise en charge de nombreuses maladies infectieuses graves dans nos hôpitaux. En quelque sorte, sans des actions concrètes et durables, nous faisons un retour inquiétant vers l’ère d’avant la découverte de la pénicilline, une époque où une simple infection pouvait suffire à mettre un pronostic vital en jeu.


Comment lutter contre l’antibiorésistance? 

La lutte contre l’antibiorésistance repose sur une approche qui combine plusieurs leviers essentiels, à savoir l’optimisation de la prescription des antibiotiques, la prévention des infections, la surveillance épidémiologique et, bien entendu, la formation des professionnels de santé. Dans ce dispositif, les microbiologistes ont un rôle clé à jouer. Ce sont eux qui permettent, grâce à des diagnostics précis et des bilans de sensibilité aux antibiotiques, d’orienter les traitements de manière ciblée et adaptée. Sans eux, il est très difficile d’assurer un bon usage des antibiotiques, notamment dans les situations complexes. 
 

D’ailleurs, à titre personnel, lorsque j’assurais des responsabilités pédagogiques à la Faculté de Médecine de Sidi Bel Abbès, j’ai modestement essayé d’encourager le développement de la formation spécialisée en microbiologie, en accompagnant le lancement du résidanat dans cette discipline au niveau de ma faculté. L’idée était de répondre à un vrai besoin, car disposer de microbiologistes formés sur place est un atout majeur pour renforcer la qualité des soins et soutenir efficacement les démarches de lutte contre l’antibiorésistance dans nos établissements. A l’hôpital, les pharmaciens hospitaliers sont également fortement impliqués, notamment à travers les programmes d’Antibiotic Stewardship. Il s’agit d’une démarche structurée qui vise à encadrer l’utilisation des antibiotiques, en s’assurant que chaque prescription est justifiée, optimisée et sécurisée. Au-delà des établissements de santé, la prévention des infections, la vaccination, le respect des mesures d’hygiène et la gestion des dispositifs médicaux sont aussi des axes essentiels pour limiter le recours aux antibiotiques et ainsi freiner la propagation des résistances.

Propos recueillis par Sofia Ouahib
 

Bio express

Pr. Mohamed Yacine Achouri est chef de service de pharmacie du CHU Hussein Dey, vice-président de la Société algérienne de pharmacie hospitalière (SAPHO) mais aussi président de la section communication scientifique de la FAP.

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