Pour booster la filière lait à Aïn Témouchent : Une femme produit de l’orge hydroponique pour son élevage

12/04/2022 mis à jour: 21:30
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La filière lait face à de nombreux défis

Il y a à peine quelques années, Aïn Témouchent était réputée pour être un prospère bassin laitier. Ce n’est plus le cas puisque ce Ramadhan, l’immanquable amas de sachets de leben ou de lait qui barrait l’entrée des épiceries a disparu. Le lait UHT en conditionnement Tétra Brik l’a détrôné. 

Cette situation n’est en vérité pas propre à Témouchent puisqu’elle est observable à travers tout le pays. Néanmoins, pour se soustraire des généralités, que s’est-il précisément passé ? Cinq années plus tôt, en 2016, l’élevage comptait un effectif de 21 138 bovins dont 12 300 vaches laitières, soit la moitié, avec une production de 75, 9 millions de litres de lait/an et une demande locale estimée à 58, 2 millions litres/an. Pourquoi s’arrêter à 2016 ?

Parce que 2015 a été la dernière année faste pour la filière lait selon les éleveurs. «2015 a cependant laissé entrevoir les prémices d’une dégringolade à venir avec un premier effet d’une sécheresse qui allait s’installer dans la durée puisque l’un des trois aliments bétail de base, le fourrage, devient moins disponible», relève Mahalaïne Lyllia, vice-présidente du conseil interprofessionnel de la filière lait. 

En 2016, les choses se précisent du fait d’une production céréalière estimée à 42 952 q en matière d’aliment bétail contre une demande locale de 62 369 q, soit un déficit de 19 417q. 

La tension, qui s’amorce sur les autres aliments de base, tels que l’ensilage et la paille, entraîne une augmentation des coûts qui érode la marge bénéficiaire des producteurs que leur rapporte le lait. En 2017, la flambée des prix qui se poursuit sur l’aliment face à la stabilité obligée du litre de lait entraîne la vente des vaches laitières aux boucheries, d’abord par les plus fragiles des éleveurs, ceux qui sont en hors-sol et qui constituent 80% des producteurs de lait. 

Ils ne disposent que d’un hangar, en général loué, et ne possèdent pas les quelques arpents de terre nécessaires pour produire de quoi nourrir en partie leur bétail. Ils vendent de leur cheptel, une à une leurs vaches, pour acheter de quoi nourrir les autres et de voir venir de meilleurs jours. 

Les premiers à être vendus sont les vaux : «Les éleveurs ne peuvent plus les engraisser pour une vente plus rémunératrice parce qu’alors ils consommeraient le lait que produit leur mère.» 

En 2019, les jours meilleurs ne sont pas au rendez-vous bien que la production laitière était surabondante. En mars 2020, la production de lait chute drastiquement. Abderrahmane qui, outre d’être un producteur de lait, gère un centre de collecte de lait en recevait 17000 litres/jour ne recueille plus que le tiers. 

L’année suivante, le fourrage vert enrubanné, dit ensilage qui était à 9000/10 000 DA la boule d’une tonne, passe à 18000/20  000  DA, soit le double. Alarmés, les propriétaires de laiterie, mus par la nécessité de récupérer le peu de lait qui se produit, proposent les unes après les autres, depuis janvier dernier, un prix de 55  DA l’achat de litre de lait au lieu des 42 DA précédemment. 

Ce prix est entériné par le ministère de l’agriculture. La sauvage loi du marché est pour une fois à l’avantage de l’éleveur mais c’est trop tard. En 2021, l’aliment bétail en général a atteint des sommets au point que le quintal d’orge varie entre 4400 DA à 6500 DA chez le céréalier. La spéculation est d’ailleurs telle que les CCLS n’ont rien engrangé, elles qui maintiennent le prix administré à l’achat, soit 2500 DA. 

Pour 2022, la concurrence fait que la production annoncée pour cet été est en train d’être achetée sur pied par les gros fournisseurs de l’aliment bétail. Ils vont d’ailleurs la moissonner eux-mêmes  : «Qu’attendent les pouvoirs publics pour réagir ?» s’exclame Lillia. «Mais, faut-il tout attendre de l’État ? Je sais que vous êtes engagée dans une initiative palliative», lui renvoyons-nous. «Oui, effectivement pointer du doigt la cherté de l’aliment bétail est vain parce que c’est un cercle vicieux. Cette situation a conduit à ce que le régime alimentaire normal de la vache soit 85% en vert et 15% en concentré, soit inversé au profit de ce dernier. 

En effet, pour ma part, j’ai décidé d’investir dans une solution palliative qui a fait ses preuves au Sahara. Parce qu’il n’est nul besoin de chercher un modèle du côté de l’Europe. Il faut voir ce qui se pratique dans notre continent africain pour ne plus dépendre exclusivement de l’importation.» Lillia a choisi de produire de l’orge hydroponique qui, juge-t-elle, couvre 40% des besoins de ses vaches. Elle nous emmène voir son champ…pardon !, sa chambre hydroponique, une sorte de serre de 40 m2. 

Nouvelle alternative

Sur cette minuscule surface, et sur des étagères superposées, dans de simples bacs en plastique, elle étale une quantité d’un kilogramme d’orge qu’elle arrose et la laisse pousser durant une semaine pour obtenir une botte de 8 kg de vert. Elle peut ainsi nourrir 20 vaches : «Ma chambre me fournit l’équivalent de ce que produisent localement 50 ha de terre !» Encouragée, Lillia s’apprête à s’engager dans une nouvelle alternative. Pourtant, rien ne destinait cette jeune femme dans cette aventure, elle, issue de la «Tchitchi oranaise» des années 1980, papillonnant entre théâtre, cinémathèque, Centre culturel français et autres lieux de culture et de distraction. 

Ce sont ses parents qui ont décidé dans les années 1990 à quitter El Bahia qui ne l’était plus, et à s’installer du côté de l’ex-village socialiste agricole Aurès El Meïda d’où leur ferme, qu’ils ont fondée pierre par pierre, surplombe Hammam Bou Hadjar, la réputée cité des thermes qui s’étale plus loin en plaine. 

Lillia, devenue technicienne supérieure en informatique, a décidé de les rejoindre et de devenir une terrienne. Son nouveau projet ? «Je vise la culture du panucame une plante africaine fort nutritive que ce soit en vert ou en sec, riche en fibres et qui assure 37% de protéine. Mais encore : elle est peu gourmande en eau, résistante et supporte les sols salins. Mieux, elle n’a pas besoin d’une grande surface pour sa plantation : 500  m2 de terre peuvent nourrir 20 vaches ! En outre, cette plante une fois fauchée se régénère et produit pendant sept ans encore. Et on moissonne tous les 25 jours ! Cela me fera l’économie du son, de la paille et réduirait le granulé au strict minimum. Je serai dans l’autosuffisance alimentaire». 

Lillia nous entraîne vers un bassin d’eau en cours d’achèvement. Il domine le quart d’hectare destiné à la culture du panucame. De cette façon, elle va l’irriguer gravitairement par le système du goutte-à-goutte. Abderrahmane témoigne : «Lillia ne s’est pas lancée à l’aveuglette dans cette nouvelle opportunité. Nous avons été sept éleveurs, dont elle, à acquérir du panucame en semence ou en plants à Oued Rhiou. Cela a bien donné. Mais d’entre nous, elle va être la pionnière à Témouchent»

Sollicité, Saci Belgat, professeur en agronomie à l’université de Mostaganem, émet un bémol quant aux vertus présumées de la culture hydroponique. 

Il juge son coefficient de nutrition très faible, par contre, ajoute-t-il, ce n’est pas le cas pour le panucame : «C’est un excellent palliatif, comme quelques autres plants qui ont fait leurs preuves au Sénégal et au Birkina Faso. C’est une des solutions d’avenir aux conséquences du réchauffement climatique, à la réduction de la pluviosité et à l’élévation de la température induisant une évapotranspiration de plus en plus importante». 

La question se pose alors quant à l’attitude des pouvoirs publics qui ne semblent pas prêt à relever le défi présent et celui qui s’amorce en matière de réchauffement climatique. 

En effet, nombre d’études récentes insistent pour que l’État tourne le dos à sa politique en matière de réformes de la filière lait, une politique qui, selon Kousseila Bellil et Moussa Boukrif dans les cahiers du Cread n° 2 de 2021, «oppose deux logiques paradoxales, une politique de développement de la production locale et une autre de soutien à la consommation. Cette situation impose à la filière une double extraversion : celle de la poudre anhydre et celle des intrants à la production. La politique actuelle s’apparente plus à une politique alimentaire qu’à une politique de développement de la production locale». 

Du coup, avec l’évidence d’une vérité première, il s’impose à l’esprit, même de celui qui n’a jamais approché le pis d’une vache, la nécessité pour l’État de saisir l’opportunité des initiatives qui se font jour, ici ou là, afin d’encourager des solutions palliatives et susciter un salvateur effet d’entraînement.  

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