Politiques monétaires et budgétaires : Nouvelles dans le monde et en Algérie pour lutter contre les chocs externes

30/10/2023 mis à jour: 00:15
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Une économie stable, qui passe par une banque centrale indépendante, le contrôle de l’inflation et des finances publiques en ordre, conduit à une monnaie stable et ouvre la voie à la croissance et à la création de l’emploi. 

Après une longue période de taux d’intérêt et d’inflation faibles, l’économie mondiale est entrée dans une phase de turbulences caractérisée par : (1) des chocs fréquents causés non seulement par une variation de la demande mais également de l’offre (comme cela a été le cas lors de la stagflation des années 1970) et d’autres risques systémiques transitoires et permanents ; (2) une inflation élevée (alimentée par des effets inflationnistes de second tour du fait des chocs de l’offre) dont le traitement passe par une réponse proactive de la politique monétaire et (3) des hauts niveaux de dettes publique et privée dont le service s’alourdit et pèse sur le budget en raison du resserrement des conditions financières dictées par la hausse de l’inflation. 

En conséquence, les gouvernements font face à des défis macroéconomiques différents, ce qui implique : (1) une politique monétaire plus nuancée qui établisse un équilibre complexe entre réduction de la demande globale (qui implique hausse des taux d’intérêt) et stabilité financière pour éviter que les banques ne soient fragilisées dans un contexte de dette publique élevée et (2) une politique budgétaire qui devient, depuis le début de la pandémie, un moteur important de l’inflation au moment où elle doit désormais prendre en charge un grand nombre de défis structurels liés au renforcement des chaines d’approvisionnement et la transition écologique.

 L’Algérie, pour sa part et à l’instar d’autres pays du monde, fait face à une résurgence de l’inflation en raison de facteurs macroéconomiques (interne et externes) et des rigidités structurelles domestiques. En même temps, en tant que pays exportateur de pétrole, elle bénéficie d’une amélioration des termes de l’échange qui lui offrent un espace budgétaire et externe devant permettre de conduire une gestion macroéconomique saine et viable et jeter en urgence les bases d’une refondation du modèle économique et social dans le sens d’une inclusivité et modernisation. Discutons de tous ces points. 
 

L’évolution des politiques monétaires : (1) La dominance monétaire de 2008 à 2020 :  pour combattre une inflation qui a pour origine un excédent de demande (et non d’origine budgétaire), les banques centrales agissent sur les taux d’intérêt. Cette approche est qualifiée de dominance monétaire et implique une indépendance de la Banque centrale non seulement de jure (le pouvoir légal de fixer les taux d’intérêt sans ingérence du gouvernement) mais également de facto (ne pas se soucier de l’alourdissement de l’endettement public induit par la hausse des taux d’intérêt que le gouvernement doit alors compenser par une réduction des dépenses et un ralentissement de l’économie). C’est précisément ce qui s’est passé après la crise financière de 2008.

 Considérant que le problème central était le risque de déflation lié à une faiblesse structurelle de la demande, les banques centrales ont librement fixé les taux d’intérêt indépendamment de leurs effets. Une fois ces derniers ayant atteint la limite zéro, elles ont même développé des outils non conventionnels (assouplissement quantitatif, taux négatifs et indications prospectives) pour appuyer la relance économique et réaliser d’autres objectifs sociétaux, tels que l’accélération de la transition verte ou la promotion de l’inclusion économique et (2) la fin de la dominance monétaire après 2020 du fait de la pandémie et l’impuissance de la politique monétaire à contrôler l’inflation qui est également d’origine budgétaire. A partir de 2020, les gouvernements à travers le monde ont apporté des soutiens budgétaires massifs pour renforcer les dépenses de santé et protéger les ménages et les entreprises des impacts négatifs du choc sanitaire. 

Cette expansion budgétaire a contribué, dans une certaine mesure, à l’inflation aux États-Unis et en Europe d’autant plus que l’économie mondiale faisait face à des chocs d’approvisionnement massifs. Depuis, l’économie mondiale prend note que les chocs de l’offre ont généré une inflation d’origine budgétaire de l’inflation, amoindrissant ainsi le rôle de la politique monétaire dans la lutte contre l’inflation et ouvrant la voie à la dominance monétaire. Un tournant de taille pour la conception des politiques macroéconomiques. 
 

Le nouveau rôle de la politique budgétaire dans la lutte contre l’inflation ou l’avènement de la dominance budgétaire. Alors que les faibles niveaux d’endettement et la nécessité de mesures de relance ont permis aux autorités monétaires et budgétaires d’agir de concert après la crise financière mondiale de 2008, la perspective d’une domination budgétaire depuis le début de la pandémie se profile d’autant plus que la politique budgétaire doit désormais couvrir les dépenses structurelles pour améliorer les chaines d’approvisionnement et faire face à la transition écologique. Les banques centrales doivent augmenter les taux d’intérêt pour freiner l’inflation, ce qui alourdit la dette de l’Etat. 

Ce dernier préfère au contraire que les banques centrales monétisent sa dette par le biais d’un achat de titres publics (qui n’intéressent pas les investisseurs privés). De ce fait, les banques centrales font désormais face à un dilemme : si elles monétisent une dette excessive, elles compromettent leur indépendance et leur crédibilité auprès du public ; si elles ne le font pas, elles contraindront les gouvernements à réduire leurs dépenses ou à augmenter les impôts (ou un mix des deux). Elles pourraient alors s’exposer à une offensive du législateur pour modifier ses bases juridiques, notamment si elles ont besoin de recapitalisation (si son bilan contient des actifs risqués qui deviennent plus fragiles en cas de hausse des taux d’intérêt). En tout état de cause, nous assistons à une certaine dominance budgétaire qui va demander une nouvelle gestion macroéconomique. 
 

Les marchés financiers et la lutte contre l’inflation ou la domination financière : Après la crise financière de 2008, les banques centrales ont été confrontées au double problème de la faiblesse de la demande et de l’instabilité financière et ont pris des mesures pour résoudre ces deux problèmes, y compris par le biais des programmes non conventionnels cités plus haut. Dans ce cadre, elles ont acheté de grandes quantités d’actifs risqués au secteur privé pour in fine stimuler les prêts et financer l’activité réelle et agir en tant qu’intervenant de dernier ressort sur le marché. De ce fait, le secteur privé a été alimenté en liquidités de la part des banques centrales et s’est habitué à un environnement de taux d’intérêt bas. 

Avec la résurgence de l’inflation depuis la mi-2021, les banques centrales ont lancé un processus progressif de hausse des taux directeurs pour stabiliser les prix. Cet objectif est en directe collision avec celui de la stabilité financière. Un resserrement monétaire pourrait déstabiliser le secteur financier et fragiliser davantage l’économie. L’ampleur de la domination financière dépend du degré de capitalisation des banques privées pour résister aux pertes subies. En conséquence, la lutte contre l’inflation se fera aux dépens de la croissance (et au prix d’une récession). En attendant, les banques centrales doivent imposer une surveillance macroprudentielle accrue pour préserver la solidité des institutions individuelles et également la stabilité du système financier dans sa globalité.  
 

La stabilité des banques et du système bancaire dans son ensemble. Une étude récente du FMI à l’échelle mondiale menée sur près de 900 prêteurs dans 29 pays a produit trois conclusions remarquées :

 (1) le nombre d’établissements potentiellement vulnérables a explosé au début de la pandémie et a augmenté à un rythme régulier à la fin de 2022 quand les effets de la hausse des taux d’intérêt ont commencé à se faire sentir (y compris les quatre banques qui ont fait faillite ou ont été rachetées en mars 2022), (2) le système bancaire mondial semble pour l’heure globalement résilient avec 30 établissements bancaires uniquement (3 % des actifs bancaires dans le monde) ayant un faible niveau de fonds propres  et (3) une atténuation des tensions bancaires est en cours, ce qui donne l’opportunité aux institutions de contrôle et de régulation de renforcer la résilience des banques pour se protéger des effets négatifs des éventuelles hausses de taux d’intérêt. De ce fait, l’étude montre également qu’en cas de détérioration de l’économie mondiale (forte inflation et contraction de l’économie mondiale de 2 %), de nouvelles hausses des taux directeurs des banques centrales : (1)  vont relever le nombre de banques fragiles passerait à 153 (30 % des actifs bancaires au niveau mondial) ; (2) excluant la Chine, les pays avancés compteraient bien plus de banques fragiles que les pays émergents et (3) un ensemble considérable de petites banques seront à risque aux États-Unis ainsi qu’en Chine et en Europe. 
 

Algérie : renforcer l’efficacité des leviers monétaires et budgétaires dans le cadre d’une refonte du modèle économique et social pour l’adapter aux nouvelles donnes domestiques et internationales. 
 

Point 1 : La Banque d’Algérie, comme beaucoup d’autres banques centrales, est aux prises avec la question complexe de l’efficacité du resserrement de la politique monétaire alors que l’inflation semble être au moins en partie tirée par des chocs d’offre. Une étude récente du FMI fait ressortir que l’inflation en Algérie est le résultat : (i) de chocs de l’offre externe (perturbations de la chaîne d’approvisionnement pendant la pandémie, conflit en Ukraine, crise alimentaire mondiale) et interne (récente sécheresse et dysfonctionnement des circuits de la distribution notamment pour l’offre intérieure de certains produits de base) et (ii) de chocs de la demande (faiblesse de la production, politique monétaire accommodante et politique budgétaire expansionniste). 
 

Point 2 : La masse monétaire est impactée par l’évolution des créances nettes de l’Etat qui sont devenues une contrepartie dominante. Entre 2012 et 2022, la masse monétaire est passée de 11,013 milliards de dinars à 22,470 milliards de dinars, soit une augmentation de 104%. Pendant cette période, la part des créances nettes de l’Etat dans le processus de création monétaire est passée de moins 42,8% (désendettement de l’Etat) à plus de 47,7 % (recours de l’Etat aux appuis bancaires) en 2022. Un facteur prépondérant dans l’expansion de la masse monétaire et de l’inflation. 
 

Point 3 : Les canaux de transmission de la politique monétaire sont en grande partie inopérants en raison de facteurs conjoncturels et structurels : (i) le canal du signal ou des anticipations d’inflation : celui de la communication de la Banque centrale qui est inexistant ; (ii) le canal de la masse monétaire : l’ajustement des taux de réserves obligatoires impacte la base monétaire et affecte in fine le niveau de la masse monétaire et le coût du crédit. Toutefois, les fuites importantes hors du système bancaire - illustrée par la forte quantité de monnaie en circulation qui représente près de 43 % de la masse monétaire - amoindrissent l’efficacité de la masse monétaire en tant que canal de transmission et affaiblissent le multiplicateur monétaire, (iii) le canal des taux directeurs : la modification de ces derniers se répercute sur les taux du marché, permettant ainsi à la politique monétaire de peser sur le crédit, l’épargne ou la richesse et en dernier ressort sur l’inflation ; toutefois, le canal de transmission est faible en raison des rigidités du système bancaire ; ajoutons à cela la surliquidité de certaines banques qui ne souhaitent ni récolter des dépôts ni consentir des prêts et (iv) les variations de taux de change : affectent la masse monétaire, à travers la contrepartie des avoirs extérieurs nets avec l’objectif de moduler la demande globale par le biais d’une modification des prix intérieurs.
 

Point 4 : Stratégie de réformes. Les réformes monétaires, bancaires et financières s’imposent et doivent être cohérentes avec un cadre stratégique global qui inclut : (i) des réformes structurelles de grande ampleur pour réduire la dépendance de l’économie aux hydrocarbures, transformer le secteur privé en moteur de croissance et soutenir l’activité économique, (ii) une reprise du contrôle des finances publiques pour restaurer leur viabilité, reconstruire l’épargne budgétaire et garantir l’équité intergénérationnelle et (iii) une réhabilitation de la politique de change et de la politique commerciale comme leviers de gestion, de création de valeur ajoutée et d’ajustement macroéconomique. 
 

Point 5 : Les réformes financières (moyen terme). L’objectif est d’accroître la souplesse des taux d`intérêt, assurer une meilleure allocation du crédit, renforcer l’indépendance de la Banque centrale et asseoir l’expansion des marchés monétaire et financier. Pour ce qui est de la politique monétaire, pour le court terme, l’urgence est de maitriser la gestion de la liquidité en période de tension alors que sur le moyen terme, la préoccupation sera de renforcer les canaux de transmission. Toutes ces réformes auront des conséquences importantes pour l’élaboration et la conduite de la politique monétaire et de la politique macroéconomique en général.
 

Point 6 : Les réformes relatives à la politique monétaire. Pour le court terme, la politique monétaire doit mieux gérer les tensions sur la liquidité et apporter son soutien aux entreprises, notamment les SME qui constituent l’épine dorsale du pays. 
 

La BA a encore des marges de manœuvre pour gérer les tensions sur la liquidité en : (1) baissant davantage, si besoin est, le taux des RO,  (2) déprécier davantage le taux de change et (3) assurer une meilleure coordination entre les institutions financières et non financières et les autorités budgétaires. 

A moyen terme, les réformes doivent : (1) renforcer l’efficacité du canal de transmission, (2) mieux prévenir les crises systémiques de liquidité, (3) améliorer (fine tuning) la qualité de la gestion de la liquidité, (4) renforcer le cadre macroprudentiel, (5) renforcer l’indépendance de la BA qui a été écornée en 2001 et en 2017, (6) réduire l’écart entre le taux officiel et le taux sur le marché parallèle et (7) instituer une courbe de rendement bien définie. 

En appui de ces objectifs, les mesures-clés dans ce sens incluent : (1) une réforme du cadre juridique sur le rapatriement de toutes les recettes d’exportation du pétrole afin de mieux saisir la vraie demande de liquidité, (2) une politique proactive d’endettement du Trésor devant appuyer le développement des marchés financiers et désengorger le canal de transmission des taux d’intérêt et (3) l’élimination des subventions sur les taux d’intérêt. 
 

Par Abderahmi Bessaha , Expert international

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