Le recours à la langue arabe classique a toujours été problématique dans le théâtre algérien, depuis ses premiers balbutiements à aujourd’hui, pour des raisons généralement extra-théâtrales et extralinguistiques.
Nostalgia, qui signe remarquablement le retour du Théâtre du Point après une éclipse d’une décennie, y déroule du bon théâtre, certes élitiste, mais sans componction aucune, sans être le moins du monde mandarinal.
Avec une pièce au titre originel, et tout aussi original pour ne pas dire fantaisiste que «l’histoire des ours panda racontée par un saxophoniste qui a une petite amie à Francfort» du Franco-roumain Matéi Visniec, Lakhdar Mansouri s’est coltiné à un thème délicat par certains aspects au risque de se mettre à dos la bigoterie et la pudibonderie qui dominent depuis les années 1990 en notre pays.
De la sorte, il s’est coltiné à d’avérés enjeux sur une question profusément humaine où le féminin et le masculin s’affrontent autour du triptyque de la vie, la mort et l’amour, titillant le refoulé d’une société corsetée par ses tabous. La traduction du texte a été assurée par le dramaturge et metteur en scène marocain, Abdelmadjid Al Haouasse, un adepte des nouvelles écritures dramatiques et scéniques largement en partage au Maghreb, un courant soulignant le pathétique de la condition humaine. Le prétexte dans Nostalgia ?
Un musicien, en proie au doute au point d’être timoré, se réveille un matin avec une belle inconnue dans son lit. A brûle pourpoint, il l’interroge, plus inquisiteur que curieux, s’ils ont fait l’amour, une question jamais posée dans un spectacle théâtral algérien. C’est ce qui explique en partie l’option pour une langue soutenue, comme en métaphore, le propos en darija, risquant de verser dans le graveleux.
Si pour le metteur en scène, les enjeux de mise en scène ne sont pas minces, ils sont tout autant périlleux pour son duo de comédiens campant les deux protagonistes. En effet, il est fait appel au plus intime de leur mémoire affective afin d’investir les ressorts d’une intrigue aussi aventureuse et donner chair à des personnages à l’intériorité constamment sollicitée. Le risque pour les comédiens est de se mettre à nu sans retenue, de se dévoiler personnellement, de révéler trop sur soi-même.
A ce jeu, Asma Cheikh a pris tous les risques, habitant son personnage au plus près de son extravagance, de son audace dans le propos, entre ambigüité et sincérité, à force de gestuelle libérée, de minauderies coquines et d’un rire cristallin, mélange de moquerie et de provocation à l’endroit d’un pataud compagnon d’infortune. Fathi Mebarki, quant à lui, semblait être dans l’inconfort, se limitant au rôle de faire valoir plutôt que de sparring-partner de Asma Cheikh comme il se doit dans un huis-clos.
Ainsi, donne-t-il l’impression de ne pas croire à son personnage, n’habitant la fos-ha pas aussi familièrement que sa comparse, faisant montre de retenue là où il conviendrait qu’il se lâche dans le geste, la posture. Etait-il dans un jour sans, sur la scène de la maison de la culture de Témouchent ? Effectivement comme nous l’a révélé une captation du spectacle effectuée sur une autre scène.
Quant à Lakhdar Mansouri, il s’est lui aussi lâché dans une pièce qui entrelace tous les genres entre comédie, tragi-comédie, cruauté, avec un personnage féminin, mélange de séductrice, de manipulatrice sans vergogne, voire de succube.
Et, pour couronner le tout, la pomme du péché originel s’invite dans l’intrigue. Enfin, la traduction scénique du texte, au demeurant assez langagier, entre dialogues et monologues-confessions, n’a pas perdu de vue d’inscrire des moments de respiration où s’invite le silence pour laisser s’incruster des moments de poésie, Lakhdar mettant à contribution des effets de scénographie. Nostalgia, à voir et à applaudir.