Petite industrie et artisanat du cuir : Une filière qui se cherche

01/07/2023 mis à jour: 05:23
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L'industrie du cuir peut apporter beaucoup à l'économie nationale - Photo : D. R.

Chaque année, des millions de bêtes sont sacrifiées lors des fêtes religieuses et autres occasions, dont les mariages. Cependant, des centaines de milliers de précieuses peaux, notamment de mouton, sont jetées, privant ainsi toute une industrie d’une matière première presque gratuite. Le marché mondial du cuir pèse près 250 milliards de dollars et les prix de la matière première ont connu une augmentation ces dernières années.

Le cuir, ce matériau qui entre dans la fabrication de nombreux articles qu’on utilise quotidiennement. Chaussures, sandales, vêtements, ceintures, cartables, sacs, objets de décoration, etc., et la source de ce matériau est exclusivement animale, la peau. Mohamed Arezki Abane, artisan maroquinier de la commune d’Ahnif, à l’est de Bouira, estime que la matière première produite localement est disponible et d’une qualité supérieure par rapport à celle importée.

«C’est chez des grossistes à Djelfa que je m’approvisionne en cuir. La meilleure qualité est celle qu’on désigne de pleine fleur, coûtant dans les 300 DA le pied carré. C’est l’équivalent de 30 centimètres carrés», a-t-il fait savoir.

Le jeune artisan aspire aussi à investir dans le créneau de la collecte et de la transformation du cuir. «Si je disposais d’une camionnette, je me serais lancé dans la collecte des toisons qu’on jette un peu partout et réaliser un projet qui me tient à cœur, celui d’une tannerie dans ma propriété. A ce que je sache, la wilaya de Bouira ne dispose d’aucune unité de ce genre. Je sollicite vivement l’aide des pouvoirs publics afin d’asseoir ce projet», espère notre interlocuteur. Quant à son associée, Karima Saoudi, elle déplore une concurrence déloyale et une sous-estimation du produit local.

«C’est le cuir algérien exporté à bas prix qui nous revient sous forme d’articles qui coûtent cher, cinq fois plus que le produit artisanal local. Paradoxalement, c’est ce produit importé qui est le plus demandé sur le marché. Idem pour d’autres articles en faux cuir importés. Pourtant, ce qu’on produit dans nos ateliers est plus durable.» Malgré son amer constat, elle ne perd pas espoir et compte continuer avec son métier acquis suite à une formation dans un centre de formation professionnelle. «Nous pouvons relever le défi et concurrencer les marques internationales car nous disposons des meilleurs cuirs au monde. Cependant, il faut mettre des moyens à la portée des artisans pour qu’ils puissent développer leurs activités.

Bêtes sacrifiées, cuir de meilleure qualité !

En revanche, Kamel Oudjet, artisan spécialisé dans la production des chaussures en cuir, issu de la localité d’Ath Amrane, au sud de Boumerdès, a un autre avis. Il considère que les cuirs produits localement coûtent très cher, notamment ceux bovins et caprins. «La cherté de la matière première a un impact direct sur les prix de nos produits artisanaux. Ce qui repousse des fois les clients», dira-t-il. Toutefois, notre interlocuteur ne manque pas de vanter les qualités du cuir algérien.

«Beaucoup d’artisans ne savent pas de les cuirs locaux issus des bêtes sacrifiées et vidées de leurs sang est beaucoup plus raffiné, durable et sain que celui de l’importation. C’est ce que j’ai découvert à travers mes 20 ans d’expérience dans ce domaine», explique-t-il. Par ailleurs, les peaux des moutons sacrifiés sont aussi la source d’une autre matière première, en l’occurrence la laine qui rentre dans la production d’habits traditionnels, tels le burnous, les tapis, des chandails, des oreillers, etc. Néanmoins, même si la laine est disponible sur le marché, le métier de tissage traditionnel a perdu du terrain. Il a même tendance à disparaître malgré l’existence d’une clientèle.

C’est ce que pense Baya, une tisserande septuagénaire originaire du village Toulmout, au sud de Boumerdès. «Le poids des années me pèse sur les épaules, mais je continue quand même à tisser des burnous comme le faisaient nos ancêtres. J’ai commencé à apprendre le tissage à un âge précoce, vers 12 ans. Malheureusement, il n’y a plus de relève maintenant. Les jeunes filles ne s’intéressent plus à ce métier ancestral qui a tendance à disparaître laissant la place à la production industrielle», regrette-t-elle.

Un trésor inexploité

En Algérie, chaque année des millions de bêtes sont sacrifiées lors des fêtes religieuses et autres occasions, tels les mariages. Cependant, des centaines des centaines de milliers des précieuses peaux, notamment de moutons sont jetées, privant ainsi toute une industrie d’une matière première presque gratuite.

Mohamed Charef, président de la fédération des artisans de la wilaya de Boumerdès et coordinateur des trois wilayas de Bouira, Boumerdès et Tizi Ouzou, estime la production locale entre 4 à 5 millions de peaux d’animaux chaque année.Le syndicaliste lutte et sensibilise depuis des années les pouvoirs publics et la société civile sur la nécessité de conjuguer les efforts afin de tirer profit des sous-produits des animaux, en l’occurrence les peaux, notamment pour le secteur artisanal. Néanmoins, ces dernières années, des opérations de collecte ont été lancées par les pouvoirs publics. Cependant, les résultats ont été en deçà des attentes.

Selon des chiffres du ministère de l’Industrie et des Mines, seuls 900 000 pièces et 500 tonnes de laine ont été récupérés à travers le territoire national en 2018. Le jet anarchique des peaux et déchets des moutons sacrifiés pose un problème à la fois environnemental et sanitaire. Et cela persiste malgré les campagnes de sensibilisation que mène à chaque fois le ministère de l’Environnement.

La collecte des peaux, le maillon faible de l’industrie du cuir

«L’idée d’asseoir une stratégie de récupération des peaux d’animaux abattus remonte à plus de 10 ans. Sur proposition de notre fédération, une première initiative a été concrétisée en 2018 dans 3 wilayas pilotes, à savoir Alger, Tipasa et Blida. Cependant, l’opération de récupération n’a pas été renouvelée ni généralisée sur les autres wilayas du pays. L’année passée, nous avons collecté 4000 pièces au chef lieu de Boumerdès», déplore-t-il et d’ajouter qu’une réunion a été tenue récemment à Boumerdès entre des représentants de la direction locale de l’industrie et ceux de la société civile afin de lancer dans de brefs délais, une campagne de collecte des peaux d’animaux lors de la prochaine fête de l’Aïd El Adha.

«Nous avons proposé aux pouvoirs publics d’organiser un concours à travers lequel seront récompensées les communes qui collecteront le plus grand nombre de peaux de bêtes sacrifiées. Nous avons également réclamé des endroits spéciaux pour leur stockage afin de leur éviter le pourrissement avant de les acheminer vers les tanneries. Nous voulons éviter l’expérience de 2021 et 2022 lorsque des milliers de peaux collectées au niveau de la commune de Boumerdès ont fini au CET de Corso car la tannerie qui devait les récupérer avait fait deux fois machine arrière», indique-t-il.

La récupération de l’énorme quantité de peaux des bêtes sacrifiées et leur transformation aura des retombées plus que positives sur le marché du cuir algérien, entre autres, la disponibilité permanente de la matière première et une baisse de ses prix des produits, qu’ils soient artisanaux ou industriels. Selon notre interlocuteur, il existe environ 20 000 artisans à l’échelle nationale spécialisés dans le travail du cuir. Il y a lieu de noter que plusieurs petites unités de fabrication de chaussures et autres articles en cuir ont vu le jour ces dernières années à travers le territoire national.

La demande de la matière première connaitra sûrement une forte augmentation, d’où l’impératif d’asseoir une nouvelle stratégie de récupération des peaux et de leur transformation afin d’alimenter le marché national, faire face à la concurrence et se lancer en force dans l’exportation. Le marché mondial du cuir pèse près 250 milliards de dollars et les prix de la matière première ont connu une augmentation des dernières années.

Plus de 17 000 peaux de mouton collectées à Médéa

Plus de 17 000 peaux de mouton de l'Aïd El Adha ont été collectées à Médéa dans le cadre de l’opération de collecte et de valorisation de cette matière première, selon un bilan provisoire établi jeudi par la direction locale de l’Environnement et des énergies renouvelables. Le dispositif de collecte mis en place pour la collecte des peaux de moutons a permis de récupérer, au premier jour de l’Aïd El Adha, pas moins de 17 145 peaux de mouton à travers plusieurs agglomérations urbaines, a indiqué à l’APS le directeur de l’Environnement et des énergies renouvelables, Mustapha Rafei.

Selon ce responsable, la plus grande quantité de peaux collectées a été enregistrée au niveau de la décharge contrôlée de Médéa où il a été comptabilisé 7700 peaux, suivi de celle de Chahbounia (sud), avec 6525 peaux, et 3354 peaux collectées au niveau du Centre d’enfouissement technique de Ksar El Boukhari, situé également au sud de la wilaya.

Une quantité de 2370 peaux a été réceptionnée par le CET de Zoubiria, sud-ouest, 2000 autres unités recensées au niveau de la décharge contrôlée de Chellalet El Adhaoura, à l’extrême est de Médéa, tandis que la plus «faible» quantité de peaux ramassées a été enregistrée au niveau de la décharge contrôlée de Ain Boucif, au sud-est, avec seulement 200 peaux, a expliqué M. Rafei. L’opération de ramassage et de collecte va se poursuivre encore, d’après ce responsable, et devrait permettre de tirer vers le haut le nombre des peaux récupérées qui seront, par la suite, acheminées vers les unités de traitement spécialisées en vue de leur valorisation, a-t-il conclu. (APS)

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