Oppositions intellectuelles à la colonisation et la guerre en Algérie : Retour et questions autour d’un colloque

29/01/2022 mis à jour: 19:25
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Dans cette édition, nous revenons sur le colloque les «Oppositions intellectuelles à la colonisation et à la guerre d’Algérie», qui s’est tenu les 20, 21 et 22 janvier 2022, correspondant à l’une des préconisations du rapport remis au président Macron par Benjamin Stora, et avec le soutien de l’Elysée l Organisé par l’historien Tramor Quemeneur et l’anthropologue Tassadit Yacine, il a été l’occasion d’interventions et de débats intenses et animés, mettant au jour des intellectuels aux positionnements sur la question coloniale divergents l Un colloque dont le contenu et l’intitulé ont soulevé des interrogations, des réserves, des incompréhensions, voire un certain malaise l Autant de réactions qui ont appelé des clarifications de la part des organisateurs.

A entendre les communicants (une trentaine appartenant à diverses disciplines) du colloque «Oppositions intellectuelles à la colonisation et à la guerre d’Algérie», on constate que l’anticolonialisme et le refus de la guerre de Libération nationale ont revêtu de la part d’intellectuels français des formes et des positionnements allant du plaidoyer pour plus de justice dans un système colonial réaménagé sans être remis en cause, à une cohabitation de toutes les communautés dans une «Algérie fraternelle», au rejet du système colonial et au soutien de la lutte pour l’indépendance de l’Algérie, voire à une participation active. Autant de positionnements d’intellectuels d’après-guerre 40-45 (et de variantes) classés par l’historien Pierre Vidal-Naquet en trois courants : le courant dreyfusard ou éthique, le courant bolchevik et le courant tiers-mondiste. 

Si la position de soutien au FLN et à la lutte du peuple algérien pour son indépendance adoptée par nombre d’intellectuels chrétiens et laïcs de gauche, communistes, sans réserve, la position de nombre de «l’entre- deux» n’est pas sans ambivalence, ni ambiguïté. Dans un texte remis aux organisateurs pour expliquer son refus d’y participer (El Watan du 18 janvier), Aïssa Kadri relève que «la problématique initiale du colloque, telle d’ailleurs que la confirme le titre même du colloque, me semblait très claire. 

Il s’agissait en effet de rendre compte des oppositions des intellectuels entendus au sens large, à la guerre d’Algérie et plus généralement au colonialisme...» «L’intrusion de personnalités partisanes de la répression dans le programme complet et définitif reçu tardivement, change la perspective d’approche et peut être comprise par un large public, comme une tentative de révisionnisme historique qui n’est pas clairement assumée. Sans doute, ne suffit-il pas d’un seul colloque pour parler de certaines figures dont l’engagement contre la guerre a été incontestable...»

«Mais la mise en avant de thuriféraires affirmés de la colonisation et d’acteurs de la répression, et ‘‘l’oubli’’ ou l’absence d’évocation (même sous la forme de citation de leurs seuls noms en ouverture du programme et du colloque) de certaines personnalités emblématiques, allant de l’extrême gauche à la droite libérale en passant par des humanistes, des chrétiens, des juifs ou de simples citoyens, mobilisés contre la guerre et contre ‘l’innommable’…, interroge sur les présupposés politiques d’une telle rencontre, qui met au-devant de la scène, un des fondateurs de cette criminelle organisation (l’OAS, ndlr), Jacques Soustelle». 

L’historien Gilles Manceron a lui aussi exprimé verbalement son «incompréhension» quant à l’adjonction de Jacques Soustelle, gouverneur général de l’Algérie en 1956, fervent défenseur de «l’Algérie française», puis de l’OAS, à la liste des intellectuels opposés à la colonisation, 

«Je m’étonne que Jacques Soustelle fasse partie du programme de ce colloque». «Cela traduit une évolution qui renvoie aux divisions de la société française depuis les débuts du fait colonial, pas seulement sur l’Algérie». «Ces divisions se manifestent plus clairement après l’affaire Dreyfus quand Jean Jaurès s’est rendu compte du racisme colonial», a souligné l’historien et membre de la ligue des droits de l’homme. 

«Dans ‘‘la France libre’’ il y avait aussi des divisions». «Ces divisions étaient jusque dans la résistance de l’intérieur». L’historien rappelle que «Simone Veil avait publié des articles juste avant sa mort pour dire que ‘‘les peuples colonisés ont le même droit de se libérer comme nous-mêmes nous avons combattu le nazisme’’». Et il considère qu’«il faut s’interroger sur qui défend l’Algérie française, qui la dénonce en signant les manifestes». 

Les organisateurs ont dû expliciter le choix des thèmes du colloque. Ainsi l’historien Tramor Quémeneur, a expliqué qu’ «il y a des parcours et des positionnements qu’il faut comprendre et aborder comme par exemple celui de Camus qui après avoir appelé à protéger les civils, s’est par la suite tu» et «a refusé de prendre position dans le conflit algérien jusqu’à sa mort accidentelle le 4 janvier 1960». Ou celui de Jacques Soustelle, «un homme de gauche qui a viré en faveur de ‘l’Algérie française’ et de l’OAS». Pour l’anthropologue Tassadit Yacine, l’autre organisatrice «traiter de figures emblématiques, c’est un travail facile, on a besoin d’éléments nouveaux, de prendre une distanciation. Ce sont surtout les figures ambiguës de l’entre-deux qu’il faut éclairer, montrer comment les parcours évoluent, les positions aussi». 

Et d’ajouter : «Pour nous chercheurs, ce colloque nous permet d’introduire ce sujet dans le champ des possibles de nos recherches dans l’autonomie de nos pensées». En écho à la déclaration du sociologue Aïssa Kadri, l’anthropologue indique que «le colloque peut poser question, susciter des critiques, c’est normal. Ces critiques sont nécessaires pour que demain puissent s’écrire une histoire, une sociologie, une anthropologie qui soient conformes à ce qui se fait dans le monde». «Ce colloque est un chantier ouvert qui demande à être travaillé». «Des figures manquent comme celle de Jean-Paul Sartre, des journalistes, des hommes d’église.» Et «en dehors des intellectuels, il faut encourager la micro-histoire et l’anthropologie pour comprendre ce qui s’est passé dans les corps sociaux». 

Paris. De notre bureau  Nadjia Bouzeghrane

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