Mustapha Boucetta. Artiste-peintre et sculpteur : «Quand on décide de devenir un grand artiste, on le devient»

08/01/2024 mis à jour: 05:37
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(photo : H. Lyès )

Mustapha Boucetta présente du 6 janvier au 6 février, au palais de la culture Moufdi Zakaria de Kouba à Alger, une rétrospective de ses peintures et ses sculptures intitulée «Racin-R». 

Rencontré au moment de l’accrochage de ses œuvres, l’artiste-peintre et sculpteur développe son parcours, son processus de création, tout en nous faisant saisir la profonde réflexion dont il est à l’origine. Entretien avec ce maître autodidacte du chevalet et de la sculpture.

 

Propos recueillis Par Nacima Chabani

 

-Pouvez-vous nous parlez de votre parcours jusqu’à aujourd’hui. Comment avez-vous commencé dans la peinture ?

Je dirai que j’ai toujours été dans le milieu de la peinture. Mon père était peintre en bâtiment au niveau de l’Amirauté à Alger. De plus, quand j’étais petit, nous allions souvent au mausolée de Sidi Braham. Donc, toutes ces images sont restées. Je les ai immortalisées sur mes tableaux. C’était des formes et des senteurs. C’est à l’âge de vingt ans que j’ai commencé à m’intéresser à la brocante. Ainsi, de fil en aiguille t en parallèle à mon métier, jadis de steward à Air Algérie, je faisais de petites affaires en achetant et en revendant dans la brocante. 

Ma fonction de steward m’a permis de voir beaucoup de choses et de voyager. J’ai fait aussi de la restauration de meubles traditionnels algérois. Pour la petite histoire, dans les années 80, un jour, j’avais un meuble algérois polychrome à restaurer. J’ai fait appel à un élève de troisième année de l’École des beaux-arts qui est venu pour effectuer la restauration. Il a commencé à faire le travail, mais très vite, j’ai vu que cela ne convenait pas. Je n’étais pas satisfait de son travail. Cela a été instinctif. Je lui ai  mélangé la couleur que je voulais. 

A un certain moment, cet étudiant m’a contrarié, car il ne connaissait rien en la matière. Je l’ai remercié en le payant. Et puis, j’ai terminé le travail. Ensuite, petit à petit, arrive le terrorisme. J’habitais à la cité des Annassers à Alger. J’avais  fait une dépression, car mon voisin est mort dans mes bras, sans parler des des attentas quotidiens. 

Un jour, j’ai accompagné ma femme et mes filles chez mes beaux-parents. Quand je  suis revenu à la maison, il y avait du papier et des petites boîtes de gouache de la marque Panda. J’ai pris ce papier et  j’ai  commencé à peindre n’importe quoi. Le rendu ne voulait rien dire et disait quelque chose en même temps. Pourquoi ? J’ai pris un stylo et j’ai commencé à le raturer. 

Cela a donné un visage. Et donc, c’était joli. Ma femme m’a dit de le signer. J’ai rigolé en lui disant qu’on ne vient pas subitement  dans l’univers de la peinture et qu’on signe son œuvre. Par la suite, j’ai signé ce dessin pour lui faire plaisir, et j’ai même mis la date. Un jour en faisant le ménage, ma femme a mis cette même œuvre dans le sens contraire. La signature était placée vers le haut. On ne savait pas au juste ce que cela représentait. 

D’un côté, c’était une femme et de l’autre un homme. C’était un visage, un portrait. Comme j’étais dépressif à l’époque, je me disais que je devais être cinglé. Un jour, l’artiste peintre et plasticien Mustapha Adane m’a demandé qui avait fait ce tableau, je lui ai dit que c’était moi. Il m’a dit sérieux ! Il a été émerveillé par ce premier rendu. Comme je connaissais beaucoup de monde dans le milieu des antiquaires et des vernissages, j’ai continué à peindre. La progression s’est faite rapidement. Il y a eu un autre événement marquant. 

C’était lors d’une imposante exposition de  peinture collective qui s’était déroulée  un 8 mars au niveau de  l’hôtel El Aurassi, à Alger, où la galeriste Zahia Guellimi m’avait  fait participer. Il y avait des peintres de talent et de grosses pointures. J’ai exposé quatre tableaux, dont deux  avaient été vendus. Quelques jours après, on m’a rappelé pour signer les certificats d’authenticité. Quand je les ai signés, je me suis dit en rigolant que j’étais devenu Picasso. En toute sincérité, cela a été une satisfaction parce que quand cela vous tombe sur la tête, vous ne vous attendez pas du tout. Quand l’artiste-peintre Mustapha Nedjai a vu mes toiles, il a été étonné de mon progrès phénoménal étalé sur quelques mois seulement. Par la suite, j’ai continué à faire de la peinture.

-Comment définissez-vous votre peinture ?

Je ne peux pas définir ma peinture. La peinture prend tout le temps le-dessus sur moi. De temps en temps, elle se laisse faire. Elle vous permet de la signer.

 

-Quand avez-vous ressenti le besoin de vous mettre à la sculpture ?

Cela fait vingt ans que je fais de la sculpture. La sculpture, je ne l’ai pas découverte. Je sculptais tout le temps en restaurant mes objets. C’est en travaillant la peinture que j’ai senti la nécessité de m’essayer à la sculpture. C’est du ressenti. Quand on vernis un meuble au tampon, on imbibe un chiffon d’alcool et de gomme de laque. On commence à travailler en étalant sur le meuble jusqu’à ce qu’il devienne net. Puis à un moment donné, on ressent le besoin d’en rajouter. C’est un dosage précis. Je dirai qu’en sculpture, c’est un peu la même chose. En peinture quand je peins, j’utilise beaucoup de matière. En peignant, j’ai cette sensation ou cette impression que je suis en train de faire de la sculpture. Parce que certaines formes sur ma peinture, je les façonne. Je travaille avec n’importe quel matériau. Je peux travailler avec une fourchette ou un chiffon. J’ai même travaillé avec mes doigts et mes pieds. Je pense que l’essentiel, c’est le rendu.

 

 

-D’où vous vient cette fascination pour le grand format dans vos sculptures, représentant généralement des animaux, la nature ou encore la cité qui n’est pas chose aisée ? 
 

Il est juste de dire que je travaille généralement sur de grands formats avec des tôles de voitures récupérées au niveau de certains ferrailleurs. Même quand la ferraille est toute neuve, je la rends ancienne. 

La sculpture, c’est un art à l’état brut. C’est un ressenti. Je ne trouve aucune difficulté à travailler sur des cultures grandeur nature. C’est comme on fait de la cuisine. Il ne faut pas grand-chose pour préparer un plat succulent. Tout est relatif. On doit connaître au préalable les ingrédients et les proportions. Il ne faut pas non plus avoir un super matériel pour être un artiste. 
 

L’essentiel, c’est le rendu et la signature. J’ai commencé ma première sculpture par un  gros poisson de trois mètres. Quand je l’ai emmené à Mostaganem, les gens m’ont demandé en riant où j’avais ramené cette créature. Sans prétention aucune, je suis fasciné par les documentaires sur les animaux diffusés sur  certaines chaînes de télévision spécialisées, à l’image de Arte. Certains animaux dégagent   prestance, sérénité et force. Les animaux font partie de notre quotidien. L’animal est un fidèle compagnon quand on réussit à l’amadouer. De par mon ancien métier d’antiquaire, j’aime bien construire, déconstruire et reconstruire afin que l’œuvre retrouve une certaine patine pour lui donner comme un visage.

 

-S’il ne pourrait rester qu’un seul art entre la peinture et la sculpture, lequel choisiriez-vous ?

Ma préférence irait par lâcheté  vers la sculpture. C’est dur de faire de la peinture. C’est plus facile de sculpter que de peindre. La peinture rend l’homme fou. La peinture est compliquée parce que c’est un art majeur.

-Quelle est votre plus grande satisfaction quand vous livrez vos émotions à travers une œuvre ?

Je demeure convaincu que la plus grosse satisfaction chez un artiste, c’est le  regard de l’autre quand il scintille par rapport à l’œuvre, et cela fait du bien à son ego.
 

-De par vos sculptures imposantes, avez-vous été sollicité par des dramaturges pour des décors de pièces de théâtre ou encore dans le cinéma ?

Pour être honnêtes avec vous, je dirai que je n’ai jamais été sollicité par le théâtre. Du haut de mes 75 ans, les dramaturges ne me connaissent pas, du moins pas tous. Je reste, toutefois,  ouvert à une éventuelle collaboration dans le quatrième art. On m’a contacté pour faire de la publicité de mes sculptures, mais j’ai catégoriquement refusé. Par ailleurs, quand j’étais antiquaire, j’ai loué des meubles ou encore des tableaux pour les besoins du grand écran. Certaines personnes étaient honnêtes et d’autres pas.
 

-Vos artistes préférés sont-ils une source d’inspiration ?

Toujours et partout. J’aime bien le sculpteur, le photographe, l’architecte, graveur, dessinateur et le lithographe  Egon Schiele. J’apprécie aussi le peintre et sculpteur Pablo Picasso et le  peintre allemand Emil Schumacher. J’admire aussi les regrettés artistes  peintres algériens M’hamed Issiakhem,  Baya et Djamila Bent Mohamed. Il y a plus de peintre que les essences de bois.

-Pourquoi aujourd’hui cette rétrospective de 25 ans de peinture et de sculptures ?

Tout simplement parce que je ne pense pas refaire une telle imposante exposition de peinture et de sculpture à l’avenir. Cela demande énormément de temps et d’espace pour mes sculptures. Je n’ai plus le temps, car j’avance aussi  dans l’âge. J’ai encore de la force, mais il faut reconnaître qu’il faut être musclé pour faire de la sculpture. Une telle exposition, c’est exceptionnel.  En somme, je n’ai plus ni l’âge, ni le temps, ni les moyens de monter une telle exposition. C’est la première fois que je présente 88 peintures et 20  sculptures en même temps. Je pense que c’est ma première et dernière exposition de peinture et de sculpture personnelle.

-Quels conseils prodigueriez-vous aux jeunes artistes apprenants ?

Si j’ai fait ce que je pouvais faire de mieux, c’est justement pour montrer aux gens, notamment aux jeunes, qu’il  suffit de ressentir, de pouvoir. Il faut surtout avoir envie de progresser. Mon travail est un clin d’œil en direction de la nouvelle génération. Les jeunes d’aujourd’hui n’ont aucune excuse à ne pas progresser. 

A titre d’exemple, la ferraille est à leur disposition. Ils peuvent en faire bon usage. Qu’il ne trouve pas de prétexte. Il faut travailler. Quand on décide de devenir un grand artiste, on le devient. La passion doit l’emporter. C’est un tout. C’est une nature. Quand je donne forme à un bourricot, je sais que personne ne va l’acheter. Mais au fond de moi, c’est surtout un challenge.

-Quels sont vos plans d’avenir ?

Pas grand-chose, si ce n’est que j’ai été sollicité par le directeur de l’Ecole des beaux-arts de Sétif pour exposer cette même exposition de peinture et de sculpture.  Bien entendu, je continuerai à produire au gré de mon inspiration.
 

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