Mustapha Benfodil et Badis Salah présentent leurs ouvrages à la librairie l’Abre à dires, à Alger : Deux écritures singulières et pensées plurielles

11/12/2023 mis à jour: 02:51
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A gauche l’éditeur Sofine Hadjadj, au centre Mustapha Benfodil et à droite Saleh Badis

 Les éditions Barzakh ont organisé, samedi dernier, au sein de la librairie l’Arbre à Dires, à Sidi Yahia, à Alger, une  rencontre littéraire suivie d’une vente-dédicace de deux de leurs auteurs, à savoir Mustapha Benfodil pour son roman Terminus Babel et de Salah Badis pour son recueil de nouvelles Des choses qui arrivent, publiés dans le cadre  du 26e Salon international du livre d’Alger.

 

C’est devant une assistance des plus nombreuses que ces deux voix de la littérature algérienne sont revenues sur la thématique de leurs derniers-nés, tout en mettant l’accent sur leur rapport de l’écriture. Cette rencontre littéraire s’est caractérisée par une triple complicité entre ces deux auteurs de deux générations différentes et de leur éditeur. 

En effet, reconnaissons à Sofiane Hadjadj, premier responsable des éditions Barzakh, les compétences d’un excellent modérateur, car il a mené le débat d’une main de maître en faisant une passerelle entre ces deux écritures singulières et différentes à la fois. D’emblée, Sofiane Hadjadj précise qu’il y a des points de rencontre dans leurs travaux littéraires, mais en même temps, ils sont tellement éloignés l’un de l’autre en termes de générations et de langues. Cependant, leur point commun est la ville d’Alger où ils déambulent et sur laquelle ils aiment écrire. Si Salah Badis est arabophone, Mustapha Benfodil, pour sa part, est francophone.
 

Né en 1994 à Alger, Salah Badis est à la fois journaliste, poète, écrivain et traducteur. Il est diplômé en sciences politiques de l’université d’Alger et collabore avec plusieurs médias arabes. En 2016, il publie son premier recueil de poésie suivi en 2019 de son recueil de nouvelles, tous deux publiés aux éditions Al Mutawassit (Milan-Bagdad). En tant que traducteur, il a traduit vers l’arabe le roman de Joseph Andras De nos frères blessés (Actes Sud, 2015) et le récit d’Eric Vuillard Congo (Actes Sud, 2012. Dans son dernier recueil de nouvelles Des choses qui arrivent - traduites de l’arabe au français par Lotfi Nia - Salah Badis dessine le portrait de la ville d’Alger et ses environs à travers neuf nouvelles. Quinze portraits de personnages terriblement lumineux aux profils différents, mais aux caractères bien trempés, se donnent à découvrir avec attachement. 

Ces derniers sont confrontés aux affres d’une société sclérosée. Le jeune écrivain de langue arabe explique le laboratoire dans lequel a germé l’écriture de ses nouvelles. Il révèle qu’il a eu à lire avec un grand intérêt le recueil de nouvelles A trois degrés vers l’Est, de Chawki Amari, publié par les éditions Chiheb en 2008. 

Pour rappel, le journaliste et auteur donne dans son ouvrage des nouvelles des gens du désert. Pour sa part, dans le recueil de nouvelles de Salah Badis, il y a un souci de réalisme et de cartographie de la ville. «Je viens de la banlieue de Réghaïa où j’ai passé toute ma vie. Cela m’a intéressé de raconter des histoires sur des gens qui habitent la banlieue et la grande périphérie d’Alger. Mais il y a un souci de réalisme, de brosser la vie des gens de ces trois dernières décennies en Algérie. Les personnages sont différents avec des voix plurielles.» 

Mais comment est né ce recueil de nouvelles  ? Le poète et journaliste confie qu’après avoir publié un livre de poésie en 2016, il voulait faire de la fiction. Il commence alors à écrire de petites histoires, sachant, qu’en même temps, il s’adonnait à la lecture de ce genre. A un certain moment, il comprend que la nouvelle n’était pas un roman avorté. «Chez les écrivains du monde arabe, latino ou américain, la nouvelle est pratiquée depuis longtemps. Il faut dire que c’est un genre qui m’intéresse. 

En même temps, il y avait l’envie de raconter plusieurs vies, plusieurs ambiances et plusieurs classes sociales. Je propose neuf nouvelles, plusieurs bulles, plusieurs vies minuscules qui racontent un peu cette ville», dit-il. On l’aura compris, Salah Badis a voulu raconter un territoire qu’il connaît fort bien avec une galerie de personnages assez attachants, porteuse de mémoires. «Si dans certains ouvrages d’auteurs, on sent un attachement envers des événements majeurs, moi, c’était le contraire. 

C’était l’ombre de ces événements, car dans mon livre, cela parle beaucoup de Réghaïa, de Rouiba, contenant des zones industrielles. On évoque souvent dans les années 70 la Révolution agraire et industrielle. Je pense qu’il y a des sociologues et des historiens pour raconter ce côté de l’histoire. Pour ma part, j’ai voulu raconter le quotidien et la vie de ces gens là-bas. Il y a des nouvelles qui parlent de jeunes et de moins jeunes. 

En même temps, dans mon recueil de nouvelles, je suis porteur d’histoire et d’anecdotes qui ont été racontées, surtout qu’on vient d’une culture orale. Je tiens toujours un carnet de notes où je note ces détails et ces histoires. Je pense aussi qu’à un certain moment, il faut faire passer par la fiction», argue-t-il. Salah Badis s’est certes attardé à brosser le portait de quinze tranches de vie avec une écriture et une temporalité spécifique pour chaque nouvelle.

 Il reconnaît qu’il écrit en langue arabe avec une narration à la première personne. «L’une des grandes leçons de la littérature, c’est quand on commence un roman ou un texte de fiction, on a l’impression que ce personnage nous parle. La question n’est pas une question de langue mais de langage», rappelle-t-il.

Pour sa part, dans son cinquième roman Terminus Babel brillamment mené, notre confrère, poète et écrivain Mustapha Benfodil redonne vie au K’tab («livre» en arabe), lui offrant de nouveau toute la lumière qu’il mérite. Avec l’imagination débordante qu’on lui connaît, Mustapha Benfodil plonge les lecteurs dans les rayonnages supérieurs de la Grande bibliothèque de Marseille. K’tab se retrouve dans une salle de transit, l’antichambre du pilon, avec ses compagnons d’infortune dont il partage la destinée des stars de la littérature universelle, à l’image entre autres de Craipu (Critique de la raison pure, Emmanuel Kant) , de TraiDez (Traité du désespoir, Sören Kierkegaard), de Cheqmenup (Chemins qui ne mènent nulle part, Heidegger), de ToTab (Totem et Tabou, Freud).Mustapha Benfodil avoue que le prétexte de l’écriture de son roman lui a été offert sur un plateau. En effet, c’est à l’initiative d’un atelier l’Euro-méditerranéen par la bibliothèque Saint Charles d’Aix-Marseille en 2012 qu’une première version de ce roman a été écrite sous le titre L’Antilivre. 

Ce projet relevait d’un programme de résidence d’artistes intitulé Les Métamorphoses du livre, initié par le service commun de documentation (SDC) de l’université, et réalisé en collaboration avec Marseille-Provence 3013. 

Le journaliste a donc travaillé sur la thématique du pilon. 

Il s’agit de la destruction d’exemplaires de livres, stockés dans les réserves des bibliothèques. Les livres qui partent au pilon redeviennent, par la suite, du papier. Le romancier indique qu’il s’est intéressé à la métaphore du pilon. «Je suis parti au-delà du pilon technique pour aborder la question du pilon politique, c’est-à-dire l’histoire des destructions des livres dans les bibliothèques dans l’histoire de l’humanité pour des raisons qu’on pourrait appeler civilisationnelles. Cela s’est produit avec la bibliothèque de Baghdad ou encore celle d’Alexandrie. On a connu cela en Algérie avec l’OAS. L’OAS a plastiqué la bibliothèque de la Faculté centrale d’Alger le 7 juin 1962. Il y a un autre processus qui m’a intéressé. 

Ce livre quand il va atterrir dans une réserve d’une bibliothèque qui s’appelle Keteb va rencontrer d’autres livres, et ces livres vont avoir une espace de vie sociale très absurde. Ce sont des livres stars. C’est l’absurdité du marché. Le livre est relégué au rang de produit. Il y a cette égalité absurde. Vous êtes des objets. Vous n’êtes plus des signes culturels. Ce livre va se mettre à raconter sa vie. Ce livre nous dit en gros, je pourrais être démoli, mais il faut voir le travail qu’il a fallu pour que je sois là. Cela nous amène à ce que j’appelle l’aquinove à la fois littéraire et social.»
 

L’histoire du livre, Kteb est amené à vivre sa déchéance, essayant de conjurer sa mort avec ses confrères de travail qui ont tous des acronymes et des contractions de leurs livres. Mustapha Benfodil confesse que tout son travail est centré sur l’écriture de la mort. Pourquoi ? Parce qu’il a perdu trois piliers de sa famille, à savoir ses deux grands-parents paternels et son père. 

Cette question à la mort prime depuis sa tendre jeunesse. Il appréhendait plutôt des questions philosophiques,  mais très vite, il a découvert le pouvoir de l’écriture. Il a commencé par tenir un journal, car, comme il le dit si bien, il était un garçon introverti. «Il y a toujours une partie exutoire dans l’écriture. Le journal est devenu très présent dans mon écriture. Après cela, tout s’est sophistiqué avec la pratique. Très vite, c’est devenu des écritures de contemplation. 

Cela prenait la forme d’euphorisme. Après, il y a eu la poésie, celle de capter quelque chose dans le langage de façon irrationnelle. Cette langue de pratique poétique est toujours présente dans mon écriture. L’écriture, c’est quand elle n’est pas assujettie à une forme de dénomination. Elle peut être juste dans une forme de voyage et de vertige. Cette écriture s’est vite articulée autour de la mort. C’est le grand sujet de mon écriture. 

C’est un projet de vie de se dire en quoi la littérature peut apprivoiser la mort, la sublimer ou transcender le trauma», argumente-t-il. Et d’ajouter : «Il y a eu un partage des rôles très rapide dans ma vie. Même si j’ai commencé par l’écriture fictionnelle poétique littéraire, bien avant de devenir reporter. Dans ma tête tout ce témoignage était pris en charge par le journalisme. 

Dans le journalisme, on est dans une forme d’urgence et une grande partie de mon travail consiste à fixer des choses. Ce travail a un rapport avec l’histoire et avec la mémoire collective, mais ce n’était pas ce qui était attendu dans la littérature en tant que tel, même s’il y a une partie que je revendique totalement qui est le devoir de l’écriture documentaire dans mon travail.» 

La part de la citation occupe une place de choix dans le travail de Mustapha Benfodil. Il dit être obsédé par l’écriture, par le making of, par les références et par l’inter-texte. «Si je voulais faire des romans efficaces, j’aurais fait des histoires à la main fixe. Parfois, j’ai eu des histoires - bouleversantes et émouvantes - clés en main. Je suis incapable d’écrire une histoire linéaire qui respecte jusqu’au bout le contrat auteur-lecteur. Je questionne plutôt le médium de l’écriture lui-même. 

Ce qui m’intéresse, c’est ce travail de déconstruction», conclut-il.
En somme, le roman Terminus Babel de Mustapha Benfodil et Des choses qui arrivent de Salah Badis sont des ouvrages alliant esthétiques, contenu et structure, à découvrir sans attendre !

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